ET LA FERME DEVINT MANOIR
Avant les désastres de la Seconde guerre mondiale, Lisieux était la capitale incontestée du pan de bois sculpté. L'un de ses plus beaux fleurons, le Manoir de la Salamandre, bénéficiait de la plus grande notoriété. Il a servi de source d'inspiration à Eric qui, à partir de deux annexes bien endommagées, bergerie et charreterie, a réalisé une demeure aux allures manoriales tout en augmentant, notablement, le volume initial.
Il n'y a pas trente-six manières d'agrandir l'espace habitable d'une maison : on peut l'allonger, utiliser les combles quand ils existent, voire la rehausser et recréer un étage complet ou lui donner des allures de manoir, en la dotant d'une tour qui permettra l'aménagement de chambres. Ce fut le choix d'eric et il ne s'agit pas là seulement d'un gain d'espace, mais aussi d'une volonté d'esthétisme qui apporte une plusvalue incontestable au bien, surtout quand celuici se réduit – ce qui était le cas – à deux simples annexes de ferme. Eric, admirateur et pratiquant de la tradition, s'est placé sous le signe de la salamandre : emblème de François 1er. Cet animal mythique, réputé résister au feu, était souvent présent autrefois sur les poinçons de charpente des manoirs où il avait pour fonction symbolique de protéger contre les incendies.
Ce manoir est tout à la fois maison et vitrine des savoir-faire d'eric Othon
Des restaurations dans le droit fil de la tradition
Ébéniste depuis plus de vingt ans, Éric nous explique l'origine de son parcours qui, sans modifier son premier métier ni sa vocation d'artisan, a progressivement enrichi ses compétences : «Je me trouvais à l'intérieur d'un beau manoir, à sculpter des meubles quand on vint me voir pour me proposer des travaux extérieurs sur des poutres. Il s'agissait de reprendre des embouts de sommiers, de réaliser des accolades gothiques au-dessus des portes... ». Il accepta et, de fil en aiguille, cela fait vingt ans qu'il restaure dans le droit fil de la tradition, rénove et aménage pour le compte de ses clients. Il est vrai que, dans la maison normande, dès lors qu'on travaille le bois et la poutre, l'ossature de base, on est quasiment obligé de connaître les compléments de structure : la terre, donc, la pierre et, aussi, le torchis, deux matériaux qui s'ajoutent à l'emblématique pan de bois pour constituer la trilogie normande. Le petit manoir dans lequel nous entrons est quasiment terminé.auparavant, le lieu initial était entièrement réservé aux animaux, bergerie, et charretterie. C'était le dernier vestige d'un ancien corps de ferme devenu annexe d'exploitation. Dans la bergerie, constituée de murs en colombages/ torchis associés à la brique rose de pays, le plafond était recouvert de branches et de toile de jute, l'ensemble était recouvert d'un lit de fougère pour tenir au chaud les animaux. Il n'y avait pas de solivage.
Du côté de la charreterie s'ouvrait un grand volume cathédrale sans aucun sommier. Une charpente rudimentaire montait jusqu'au faîtage et le sol était en terre battue dans une rigoureuse authenticité. L'idée majeure qui allait guider les travaux était de s'adapter au style de vie de la famille, d'agrandir et de bénéficier d'un espace supplémentaire grâce à une tour, bien plus esthétique qu'une extension dans le sens de la longueur, puis un couloir destiné à desservir les chambres pour une distirbution plus rationnelle comme dans les manoirs d'origine. Les maçonneries de la tour, reposant sur des blocs de grès, ont uniquement utilisé les pierres locales, notamment celles du plateau des Mailloc, une pierre qui ressemble à du silex, très légère et isolante, que l'on ne trouve qu'ici et qui fut associée à un lot de briques St-jean issues d'un démontage de bâtiment, une ancienne boucherie rurale située à deux pas.
Du producteur au consommateur : une traçabililté exemplaire ! «Il a fallu, nous explique Eric, pas moins de dix bâtiments pour récupérér la pierre et le caillou typique, dans un rayon de dix kilomètres. Nous avons aussi récupéré le torchis des ossatures à colombages. On a remouillé ce torchis et lui avons donné une seconde vie. Ces bâtiments avaient peutêtre deux à trois siècles derrière eux. J'espère que ce torchis réemployé durera aussi longtemps...». La tour au rez-de-chaussée abrite désormais un vestibule et le départ d'escalier. Ses murs sont en torchis brut, seulement peints à la chaux naturelle, d'un aspect velouté qui laisse transparaître les reliefs de la terre et éclaircit sans masquer. Outre les deux annexes, il existait aussi un petit appentis faisant office de sellerie dans lequel a été créé la cuisine. Côté charpente, le travail sur la tour consista à aménager de larges lucarnes pour les chambres et aussi d'assurer une liaison cohérente avec la partie existante, des doubles faîtages à croix de St-andré renforcent la bonne tenue de l'ensemble. Au total, une réalisation magistrale qui aura duré de longues années, mais dont la richesse et la beauté des matériaux d'aménagement assureront la pérennité pour les décennies à venir.
Une réalisation magistrale qui aura duré de longues années
Ci-dessus / Ci-contre : au sol, sur les murs et l'entourage de cette salle de bains, la terre cuite est plébiscitée. Cuits à haute température, ces carreaux ont été jointoyés avec un mortier incorporant des morceaux de briques pilées, une technique également utilisée pour les extérieurs chaque fois qu'il s'agit d'apporter une protection efficace contre l'humidité.