Maisons Normandie

ET LA FERME DEVINT MANOIR

- Reportage : Michel Herman – Photos : Eric Exposito

Avant les désastres de la Seconde guerre mondiale, Lisieux était la capitale incontesté­e du pan de bois sculpté. L'un de ses plus beaux fleurons, le Manoir de la Salamandre, bénéficiai­t de la plus grande notoriété. Il a servi de source d'inspiratio­n à Eric qui, à partir de deux annexes bien endommagée­s, bergerie et charreteri­e, a réalisé une demeure aux allures manoriales tout en augmentant, notablemen­t, le volume initial.

Il n'y a pas trente-six manières d'agrandir l'espace habitable d'une maison : on peut l'allonger, utiliser les combles quand ils existent, voire la rehausser et recréer un étage complet ou lui donner des allures de manoir, en la dotant d'une tour qui permettra l'aménagemen­t de chambres. Ce fut le choix d'eric et il ne s'agit pas là seulement d'un gain d'espace, mais aussi d'une volonté d'esthétisme qui apporte une plusvalue incontesta­ble au bien, surtout quand celuici se réduit – ce qui était le cas – à deux simples annexes de ferme. Eric, admirateur et pratiquant de la tradition, s'est placé sous le signe de la salamandre : emblème de François 1er. Cet animal mythique, réputé résister au feu, était souvent présent autrefois sur les poinçons de charpente des manoirs où il avait pour fonction symbolique de protéger contre les incendies.

Ce manoir est tout à la fois maison et vitrine des savoir-faire d'eric Othon

Des restaurati­ons dans le droit fil de la tradition

Ébéniste depuis plus de vingt ans, Éric nous explique l'origine de son parcours qui, sans modifier son premier métier ni sa vocation d'artisan, a progressiv­ement enrichi ses compétence­s : «Je me trouvais à l'intérieur d'un beau manoir, à sculpter des meubles quand on vint me voir pour me proposer des travaux extérieurs sur des poutres. Il s'agissait de reprendre des embouts de sommiers, de réaliser des accolades gothiques au-dessus des portes... ». Il accepta et, de fil en aiguille, cela fait vingt ans qu'il restaure dans le droit fil de la tradition, rénove et aménage pour le compte de ses clients. Il est vrai que, dans la maison normande, dès lors qu'on travaille le bois et la poutre, l'ossature de base, on est quasiment obligé de connaître les complément­s de structure : la terre, donc, la pierre et, aussi, le torchis, deux matériaux qui s'ajoutent à l'emblématiq­ue pan de bois pour constituer la trilogie normande. Le petit manoir dans lequel nous entrons est quasiment terminé.auparavant, le lieu initial était entièremen­t réservé aux animaux, bergerie, et charretter­ie. C'était le dernier vestige d'un ancien corps de ferme devenu annexe d'exploitati­on. Dans la bergerie, constituée de murs en colombages/ torchis associés à la brique rose de pays, le plafond était recouvert de branches et de toile de jute, l'ensemble était recouvert d'un lit de fougère pour tenir au chaud les animaux. Il n'y avait pas de solivage.

Du côté de la charreteri­e s'ouvrait un grand volume cathédrale sans aucun sommier. Une charpente rudimentai­re montait jusqu'au faîtage et le sol était en terre battue dans une rigoureuse authentici­té. L'idée majeure qui allait guider les travaux était de s'adapter au style de vie de la famille, d'agrandir et de bénéficier d'un espace supplément­aire grâce à une tour, bien plus esthétique qu'une extension dans le sens de la longueur, puis un couloir destiné à desservir les chambres pour une distirbuti­on plus rationnell­e comme dans les manoirs d'origine. Les maçonnerie­s de la tour, reposant sur des blocs de grès, ont uniquement utilisé les pierres locales, notamment celles du plateau des Mailloc, une pierre qui ressemble à du silex, très légère et isolante, que l'on ne trouve qu'ici et qui fut associée à un lot de briques St-jean issues d'un démontage de bâtiment, une ancienne boucherie rurale située à deux pas.

Du producteur au consommate­ur : une traçabilil­té exemplaire ! «Il a fallu, nous explique Eric, pas moins de dix bâtiments pour récupérér la pierre et le caillou typique, dans un rayon de dix kilomètres. Nous avons aussi récupéré le torchis des ossatures à colombages. On a remouillé ce torchis et lui avons donné une seconde vie. Ces bâtiments avaient peutêtre deux à trois siècles derrière eux. J'espère que ce torchis réemployé durera aussi longtemps...». La tour au rez-de-chaussée abrite désormais un vestibule et le départ d'escalier. Ses murs sont en torchis brut, seulement peints à la chaux naturelle, d'un aspect velouté qui laisse transparaî­tre les reliefs de la terre et éclaircit sans masquer. Outre les deux annexes, il existait aussi un petit appentis faisant office de sellerie dans lequel a été créé la cuisine. Côté charpente, le travail sur la tour consista à aménager de larges lucarnes pour les chambres et aussi d'assurer une liaison cohérente avec la partie existante, des doubles faîtages à croix de St-andré renforcent la bonne tenue de l'ensemble. Au total, une réalisatio­n magistrale qui aura duré de longues années, mais dont la richesse et la beauté des matériaux d'aménagemen­t assureront la pérennité pour les décennies à venir.

Une réalisatio­n magistrale qui aura duré de longues années

Ci-dessus / Ci-contre : au sol, sur les murs et l'entourage de cette salle de bains, la terre cuite est plébiscité­e. Cuits à haute températur­e, ces carreaux ont été jointoyés avec un mortier incorporan­t des morceaux de briques pilées, une technique également utilisée pour les extérieurs chaque fois qu'il s'agit d'apporter une protection efficace contre l'humidité.

 ??  ?? Assis sur de gros blocs de grès jointoyés à la chaux, la tour a été réalisée en briques, pierres blanches, cailloux et moellons issus du plateau des Mailloc où s'enracine ce petit manoir des temps modernes. Le bas des maçonnerie­s et les premiers rangs au-dessus ont été jointoyés à la chaux avec un mortier intégrant des briques pilées afin d'assainir la constructi­on et de la protéger contre les remontées capillaire­s.
Assis sur de gros blocs de grès jointoyés à la chaux, la tour a été réalisée en briques, pierres blanches, cailloux et moellons issus du plateau des Mailloc où s'enracine ce petit manoir des temps modernes. Le bas des maçonnerie­s et les premiers rangs au-dessus ont été jointoyés à la chaux avec un mortier intégrant des briques pilées afin d'assainir la constructi­on et de la protéger contre les remontées capillaire­s.
 ??  ?? Après l'édificatio­n de cette tour, Éric en a réalisé deux autres pour ses clients, notamment une tour médiévale avec des détails architectu­raux du XVE et des mouluratio­ns typiques de l'époque.
Après l'édificatio­n de cette tour, Éric en a réalisé deux autres pour ses clients, notamment une tour médiévale avec des détails architectu­raux du XVE et des mouluratio­ns typiques de l'époque.
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 ??  ?? Ci-dessus / Ci-contre / Ci-dessous : Partie prenante de l'ornementat­ion de l'édifice, le travail de ferronneri­e se retrouve sur de nombreuses portes.
Ci-dessus / Ci-contre / Ci-dessous : Partie prenante de l'ornementat­ion de l'édifice, le travail de ferronneri­e se retrouve sur de nombreuses portes.
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 ??  ?? Vue sur le premier étage qui dessert trois chambres et une salle de bains.
Vue sur le premier étage qui dessert trois chambres et une salle de bains.
 ??  ?? L'escalier aux marches en terre cuite gainée de bois. L'arrivée sur le palier est en Pré d'auge du XVIIE. Portes anciennes de récupérati­on naturellem­ent intégrées aux lieux.
L'escalier aux marches en terre cuite gainée de bois. L'arrivée sur le palier est en Pré d'auge du XVIIE. Portes anciennes de récupérati­on naturellem­ent intégrées aux lieux.
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