LE MANOIR DE BRAY
Depuis sa construction il y a deux siècles, le manoir de Bray appartient toujours à la même famille. À l'origine, les propriétaires y séjournaient seulement pour l'été et la saison de chasse. Leurs descendants résident aujourd'hui en permanence dans cette
Ce manoir fut autrefois placé sous le pouvoir des seigneurs de Tancarville. On peut y découvrir, non loin de l'édifice principal, trois porches romans, vestiges de l'ancienne église paroissiale du XIIE siècle. Ces terres d'épretot furent acquises après la Révolution. La famille qui s'y installa et fit construire le manoir possédait, par ailleurs, de bien vastes domaines. Cette demeure n'était alors qu'une « petite maison », celle de Paul Allard, historien, érudit surtout connu pour ses recherches sur les origines du christianisme à Rome et les persécutions auxquelles il fut confronté. C'est ainsi qu'il apposa son empreinte sur cette noble villégiature. Nichée dans une campagne sereine propice à l'inspiration et au travail d'écriture, elle devint naturellement manoir d'écrivain. On ne sait exactement combien de temps fut nécessaire pour construire cette habitation. En fait, comme nombre de maisons nobles, elle possédait une très grande ferme attenante, et c'est en fonction du temps disponible laissé par la plus ou moins grande importance des récoltes qu'elle fut bâtie en plusieurs années. Comme les demeures manoriales de son temps, cette maison a été conçue à l'échelle humaine avec des pièces spacieuses, confortables mais point trop grandes, eu égard à la tradition antérieure des manoirs. Sous des plafonds à bonne hauteur, l'ensemble est très équilibré et habitable au quotidien. L'architecture permet au désor foisonnant de trouver sa place et de créer des espaces à vivre tout à fait contemporains dans une ambiance d'époque remarquable.
Cette « petite maison » comme on la surnommait au XIXE siècle
Ici, tout a été conservé soigneusement depuis les origines. Du mobilier à la vaisselle et aux tableaux, tout a été maintenu en l'état dans une intemporalité qui fait le charme des lieux. Du vestibule où un piano à marqueterie, sans doute du XIXE, a trouvé sa place, à la cuisine au pied de l'escalier où les hôtes découvrent leur petit déjeuner, assis autour d'une grande table de monastère, au salon ou petit boudoir style Empire, exemplaire en matière de convivialité, l'espace est particulièrement accueillant sous les boiseries Trianon. Table de jeu et piano Gaveau numéroté 1927 demi-queue, viselle vieux Paris de Gilles Dupuy d'un bleu à dorures, cabriolets style Louis XV, fauteuils à crosse, méridienne Directoire, chaises gondoles, meuble haricot, secrétaire Louis Philippe : un ameublement de tradition sous de smurs ornés de tableaux d'artistes régionaux.
Le décor des chambres prolonge l'ambiance dédiée aux grandes heures du meuble. La chambre Napoléon III aux meubles sombres de cette « époque noire » dit-on, n'est pas sans faire songer à certaines tendances du design d'aujourd'hui. Elle est escortée d'une salle de bains des années 1930. La chambre Louis XIII abrite une bibliothèque et un coffre de cette époque, tandis que la chambre dite « royale » est dotée d'un ciel de lit qui évoque le charme des siècles passés. Dans sa salle de bains, des tapisseries verticales, décor papier en velours. Elles furent retrouvées dans une cloison lors de travaux de rénovation menés par les actuels propriétaires.voilà l'atmosphère de ce manoir d'écrivain qui s'est transmis de mère en fille. À chaque génération, la destinée d'une lignée s'est ainsi perpétuée au coeur de ce pays cauchois, riche en écrivains de renom, de Guy de Maupassant, le plus célèbre d'entre eux, à Maurice Leblanc, le créateur d'arsène Lupin. Le manoir connut aussi les vicissitudes de la Seconde guerre mondiale. Durant cette époque, la maison fut réquisitionnée par les médecins du Havre lorsque la ville fut quasiment détruite par les bombardements. Un réfractaire du STO, Service du Travail Obligatoire en Allemagne, qui se cachait dans les combles retrouva la liberté après la fameuse bataille qui libéra « la poche de Caen ». Bien loin de ces temps troublés, ce manoir a conservé l'esprit de ses origines. Il offre un accueil chaleureux dans un environnement qui, lui aussi, n'a guère varié depuis les lustres.