“L’ALGORITHME FONCTIONNE COMME UNE AGENCE MATRIMONIALE”
Après les premiers résultats et malgré des critiques, la chercheuse en est convaincue : le remplacement d’APB est le meilleur choix pour les élèves.
Marianne : En quoi consiste l’algorithme de Parcoursup ?
Claire Mathieu : Comme pour APB, nous avons utilisé la méthode GaleShapley que l’on appelle de façon un peu vieux jeu le « théorème des mariages stables ». Chaque femme (ici les élèves) fait un classement de tous les hommes, et chaque homme (ici les formations) fait un classement de toutes les femmes. Ils font ensuite leurs demandes en mariage, dans leur ordre de préférence. Chaque femme en accepte une, mais son engagement n’est pas définitif : elle est libre de rompre ses fiançailles pour choisir celui qu’elle préfère. On maximise ainsi les chances de créer une solution stable : du côté étudiant comme du côté formation, tout le monde est satisfait.
La différence fondamentale entre Parcoursup et APB est la fin de la hiérarchisation des voeux des lycéens. Pourquoi cette décision ?
Lorsque nous avons commencé à travailler sur l’algorithme, cette décision avait déjà été prise. Elle a sa justification, car, si les lycéens savent généralement quels sont leurs premiers voeux, ils ont des idées assez vagues sur les suivants. Parcoursup, qui s’ajuste de jour en jour, leur permet de réfléchir.
La non-hiérarchisation augmenterait le nombre de voeux dans certaines filières, les mettant artificiellement en tension. Les lycéens attendent pendant des jours des formations non sélectives qu’ils auraient dû obtenir sans problème…
Il y a de bonnes chances que Parcoursup se décante suffisamment vite pour atteindre une performance satisfaisante. A la même période, APB n’avait fait aucune proposition, car la première phase avait lieu le 8 juin… Plus j’en apprends sur l’ancien système, plus je me dis que Parcoursup est meilleur. Ne serait-ce qu’au niveau de la transparence ! Je reconnais que les rangs parfois très lointains attribués sur les listes d’attente peuvent en effrayer certains. Mais en leur donnant ces informations, nous les traitons en adultes.
Comment pouvez-vous parler de transparence sur Parcoursup alors que les élèves ignorent tout des critères sur lesquels ils ont été choisis en commission ?
Je ne m’occupe pas de ce qu’il se passe en commission. La responsabilité revient à chaque filière et ce qu’elles font avec les dossiers ne concerne pas Parcoursup. Je comprends que, du point de vue des lycéens, la plate-forme est responsable de tout. Mais ce n’est pas le cas ! Il faut l’imaginer comme une agence matrimoniale : elle se charge simplement de mettre en contact les élèves et les formations. Si, à la fin, ils ne sont pas satisfaits, ce n’est pas forcément la faute de l’agence… Je ne jette pas la pierre aux lycéens, mais j’aimerais qu’ils puissent se détendre, qu’ils se concentrent sur le bac. Ils n’ont aucune raison de s’inquiéter : chaque jour il y a de plus en plus de propositions.
Que répondez-vous à certains membres de commissions qui expliquent que départager des dossiers similaires jusqu’à six décimales après la virgule revient à les tirer au sort ?
Ce n’est pas vraiment étonnant. Lorsqu’on a énormément de dossiers, certains sont forcément équivalents et le tirage au sort se justifie davantage que dans le cas d’APB, où les candidats pouvaient avoir des dossiers très différents. Dans la Grèce antique, lorsqu’il fallait attribuer des responsabilités de stratège, on faisait un premier filtre pour choisir des personnes compétentes, avant de les départager au hasard, quand elles avaient des compétences à peu près équivalentes. Et dans la Bible, pour trouver un remplaçant à Judas, on a d’abord sélectionné deux disciples compétents, Matthias et Justus, puis tiré au sort pour choisir entre les deux.