DES PSYCHOLOGUES FACE AU GRAND DéSARROI…
Ils sont 810 000 élèves suspendus à une plate-forme, à un numéro vert et à des conseils glanés par-ci, par-là, depuis une semaine. Stress et anxiété garantis.
Ce matin, Bastien, élève de terminale S à Paris, cherche encore une raison d’espérer. Il est abonné au « oui, mais en attente » sur ses cinq voeux en faculté de médecine. Son rêve ? Devenir Kiné. Après tout, le message du ministère de l’Education nationale incitait à rêver puisqu’il fallait formuler ses voeux au plus près de ce qu’on désirait. A Descartes Paris-V, il est placé 4 000e sur une liste d’attente de 9 000, mais impossible de connaître ses chances… Au fil des jours, sa place remonte tout doucement. « Bastien n’est pas du genre à se plaindre. Mais c’est dur, cette attente, il m’appelle plusieurs fois par jour au moment où il va voir où il en est sur les listes… Vous croyez qu’en pleine révision du bac, c’est rassurant ce tableau des scores qui défilent ? » dénonce sa mère. Lorsque Bastien a vu qu’il était à la 1 400e place, lundi 28 mai, il a cru que c’était bon ! Mais, en appelant le numéro vert affiché sur le site de Parcoursup depuis janvier 2018, il a encore plus flippé… Il lui faut remonter encore 1 400 places. Parcoursup ou le mythe de Sisyphe…
« Nous ne pourrons tirer de conclusions sur l’efficacité de Parcoursup qu’en septembre… explique Sylvie Amici, présidente de l’Association des psychologues de l’Education nationale (Acop), mais ce qui remonte des appels passés sur le numéro vert géré par mes collègues psychologues, ainsi que les cas qu’on traite en CIO [centre d’information et d’orientation], c’est un profond désarroi chez certains ainsi que dans leurs familles. Les élèves ont vraiment cru au discours porté par M. Blanquer [le ministre de l’Education nationale] et Mme Vidal [la ministre chargée de l’Enseignement supérieur]… Pas de voeux “par défaut”, mais des voeux au plus près de ce qu’ ils veulent. » Force est de constater que pour beaucoup d’entre eux, ce n’est ni l’un ni l’autre ! « Les questions d’avenir, d’ identité et de projection sont très structurantes à l’adolescence, et avec Parcoursup on est dans une phase d’affectation qui fait pour le moment défaut pour un grand nombre… » Cette question, Isabelle, la maman de Bastien, se la pose : « Ils ont voulu mettre en place un système participatif, où les élèves ont un rôle à jouer, mais au final ceux-ci se sentent impuissants et voient un compteur défiler… En plus, on les maintient dans un lointain espoir ? Mais on n’est pas à KohLanta. Le jour où ils seront à une ou deux places du but on va leur dire : “Pas de bras, pas de chocolat”, sans aucune raison en plus. Eliminé sans savoir pourquoi, c’est pas humain. » Léa, élève en terminale au lycée Suger, à Saint-Denis, s’est vu refuser son rêve : la Sorbonne en cursus d’anglais. Son « choix de coeur ». Son seul choix « de secours », et émis sous la pression de son lycée, lui est d’office attribué, mais elle l’a refusé d’emblée. Une affectation qui la ramène à sa condition de banlieusarde du 9-3. La faculté de Saint-Denis, dans une filière qui ne l’intéresse pas… Son père Etienne est très en colère, mais pas étonné : « Dès les premiers pas sur Parcoursup je savais que c’était foutu. Tous les voeux de Léa étaient “hors zone”. C’est une manière de sélectionner. On laisse les bonnes facs aux fils à papa et on ne laisse aucune chance à un jeune qui veut s’ émanciper et changer d’ horizon. » En attendant, Léa va donc passer son bac sans horizon. Si elle n’a rien après le recours fin juin ? « Y aura pas le choix, elle ira bosser comme tout le monde, envisage Etienne. Mais, je vous jure, ça me donne envie de hurler ! »