Victime de Tolkien
C’est le chef-d’oeuvre maudit de l’histoire littéraire.
Roman culte pour de petits cénacles de lecteurs, le Cycle
de Gormenghast ne fut pourtant jamais le raz-de-marée littéraire que lui promettaient ses qualités. Le premier opus de la saga du romancier et illustrateur anglais Mervyn Peake parut en 1946 ; les deux suivants, en 1950 et 1959. Las, entre le premier et le second tome, Tolkien publiait le Seigneur
des anneaux, tout aussi admirable mais surtout plus accessible que les aventures de Titus d’Enfer.
Au centre de ce récit fleuve de plus de 1 100 pages rééditées, se trouve une forteresse, Gormenghast. Un bâtiment immense dont les pièces sont des pays habités de peuplades différentes. Un univers à lui seul. C’est au coeur de ce bastion que naît Titus, 77e comte d’Enfer. Le jeune seigneur n’aura pas, contrairement à Bilbon Sacquet, le Hobbit, à affronter Nazgûls et autres Balrogs, mais des êtres de chair tout aussi extraordinaires. Si ses parents restent dans la norme (relative) de l’excentricité britannique – le père atteint de mélancolie, la mère, passionnée d’animaux, et la soeur, impénétrable –, il en va autrement des autres occupants du château. Au premier rang desquels trônent Lenflure, le monstrueux maître des cuisines, le valet Craclosse et le cruel Finelame. Les combats que se livrent ces personnages peu recommandables rythmeront l’enfance du jeune aristocrate qui ne nourrira plus au fil des tomes qu’un désir : fuir l’atmosphère étouffante de ce monde. Impossible, ensuite, de résumer ce roman qui fait penser à Tolkien, bien sûr, mais aussi à Lewis Carroll et Charles Dickens. Sachez seulement qu’une fois entré dans Gormenghast vous n’éprouverez pas, contrairement à Titus, l’envie d’en sortir.