L’Italie malade de l’austérité
Deux décennies de rigueur ont fait exploser le chômage et appauvri les Italiens. Jusqu’à quand ?
Deux décennies de rigueur ont fait exploser le chômage et appauvri les Italiens. Jusqu’à quand ?
Comment un jeune adulte italien de 20 ans ne pourrait-il pas se dire : “Essayons autre chose” ? » s’emporte Francesco Saraceno, directeur adjoint de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Il explique : « Trente ans durant, l’Union européenne a été pour les Italiens une force de progrès. Mais depuis vingt ans, et de façon encore plus sensible depuis la crise de 2008, elle est synonyme de chômage et de baisse des salaires. » Les indicateurs économiques de la troisième économie de la zone euro font froid dans le dos. Entre 1999 et 2017, le PIB par habitant du pays a reculé de 1,5 %. Autrement dit, les Italiens se sont appauvris.
Productivité en recul
A titre de comparaison, la France a vu ce même indicateur progresser de 12,5 % et l’Allemagne de 25 %. En Italie, le chômage a bondi à 13 % de la population active, son plus haut niveau historique. Le modèle industriel italien, vanté dans les années 70 et positionné sur le moyen de gamme, a explosé avec la globalisation et la monnaie unique. Le mal de l’économie a un nom : la faiblesse de la productivité. Selon Eurostat, la productivité a reculé de 1,5 % en vingt ans, contre une progression proche de 20 % pour la France. Ce recul se traduit par une atonie des salaires et donc une consommation faible. Or, depuis la crise de 2008, c’est la pire des recettes qui a été importée : l’austérité, laquelle a à son tour réduit la demande intérieure. « Outre une mauvaise gestion de la dépense publique, ce sont des politiques économiques inadaptées, mais compatibles avec les règles européennes, qui ont conduit le pays dans l’impasse », poursuit l’économiste. Et de conclure : « La droite a appliqué ses recettes avec quelques gagnants à la clé. Les populistes proposent des recettes aux perdants. »
Si les mesures de relance keynésienne annoncées dans le contrat de gouvernement de la Ligue et de M5S ont tout pour séduire « les perdants », elles n’ont rien pour plaire à Bruxelles : mise en place d’un Smic, nationalisation de l’eau, annulation de la récente réforme des retraites, pour un coût de 20 milliards par an, et instauration du revenu de citoyenneté de 780 €, lourd, lui, de 17 milliards par an.
Côté économies, les deux forces populistes prévoient de mettre un terme à l’énorme chantier ferroviaire du Lyon-Turin. Mais il leur reste 8,3 milliards d’euros à trouver sur les 25 milliards de dépenses. Le bouclage économique de leur « programme commun » dépend donc du retour très rapide d’une croissance forte : aux alentours de 3 %, à l’horizon 2021.
Sueurs froides pour l’UE
Un tel programme a tout pour creuser le déficit public à des niveaux records. Déjà plombées par une dette représentant 130 % du PIB, les finances de l’Etat italien donnent des sueurs froides à l’Union européenne, à commencer par Berlin et Paris. Impossible pour l’UE de recommencer avec l’Italie le terrible bras de fer qui avait fait plier Syriza en Grèce à l’été 2015 : l’économie italienne pèse 10 fois plus que celle de sa voisine méditerranéenne. D’où l’urgence d’empêcher la constitution du gouvernement d’alliance entre le Mouvement cinq étoiles et la Ligue. Mais la décision de Sergio Mattarella de récuser l’antieuro Paolo Savona aux Finances, puis de nommer Carlo Cottarelli, ancien du FMI, au Palais Chigi, a fait flamber un peu plus les marchés. Le
spread, soit l’écart de taux entre ce que paye l’Allemagne et ce que doivent payer les autres pays de la zone euro pour emprunter 1 €, atteignant 2,5 points pour l’Italie !
Or, le secteur bancaire, grevé de plus de 360 milliards d’euros hérités des années d’austérité, est un boulet au pied de l’économie italienne.
Situation intenable
A long terme, une telle situation n’est pas tenable. Sans gouvernance politique, ce qui se traduirait par d’importants transferts de richesses entre les régions et une instance démocratique, comme un Parlement de l’euro, la zone euro demeure une fiction fragile.
« Avant, à l’Est, il ne fallait pas mettre en cause le rôle dirigeant du Parti communiste. Maintenant, mettre en cause le rôle dirigeant de la BCE n’ouvre certes pas les mêmes sanctions, et c’est pourquoi nous vivons en démocratie. Mais il ne faudrait pas que l’Europe tourne mal, c’est-à-dire tourne le dos à la voix des gens », ironisait récemment l’essayiste Régis Debray, sur France Culture. Or, Bruxelles et la BCE entendent bien faire rentrer dans le rang les électeurs italiens. Eprouvée par la remontée des taux de la dette obligataire de l’Etat, l’économie italienne pourrait carrément vaciller si, en septembre, la Commission européenne retirait son agrément au plan de soutien du secteur bancaire arraché par Matteo Renzi il y a quelques mois.
« Le peuple italien a voté contre les technocrates qui mettent en oeuvre l’austérité pour tous et le socialisme pour quelques-uns. Résultat, ils ont comme Premier ministre un apparatchik du FMI avec un plan pour appliquer la même politique. Le président italien aurait-il pu offrir plus grand cadeau aux populistes xénophobes ? » s’est insurgé Yanis Varoufakis, l’éphémère ministre de l’Economie de Syriza, dans un tweet rageur.
A Rome, pour l’instant tout va bien. Jusqu’aux prochaines élections…