Entretien
Coralie Delaume, essayiste
“On sait désormais ce qu’on peut faire ou ne pas faire dans l’Union.”
teurs de ne pas choisir les populistes de gauche et de droite. » Ce sont les traités européens qui imposent aux Etats de se financer sur les seuls marchés, et les mettent donc à leur merci. Si le contrat de gouvernement ne prévoyait pas explicitement la sortie de la monnaie unique, il envisageait de mettre en cause l’architecture institutionnelle de la zone euro ? Est-ce le péché originel de la coalition ? Bien sûr. Le contrat de coalition comportait des mesures très dures sur l’immigration, mais cela semble avoir laissé de marbre le président Mattarella comme l’ensemble de l’eurocratie. L’« Italexit », en revanche, n’était absolument pas au programme. Mais les opinions du ministre des Finances pressenti laissaient prévoir que les questions relatives au fonctionnement de l’eurozone seraient posées. Là, ça a bloqué net. On sait désormais ce qu’on peut faire ou ne pas faire dans cette Union. On peut nommer à l’Intérieur un Salvini, patron d’une formation d’extrême droite. Mais on ne peut pas nommer un Savona au ministère des Finances. Il revient à Carlo Cottarelli de former un nouveau gouvernement. Après Mario Monti en 2011, un ancien commissaire européen, c’est au tour d’un ancien du FMI de mener un gouvernement dit technique… Paradoxalement, Savona n’appartient pas moins que Cottarelli à l’élite économico-financière italienne, mais ses positions sont à l’opposé. Cottarelli – passé lui aussi par la Banque d’Italie – est un obsessionnel de la lutte contre les déficits publics. Il a exprimé ses talents de cost killer au poste de chef du département des affaires budgétaires du FMI, avant d’être chargé de la révision des dépenses publiques italiennes en 2013. Les Italiens l’ont alors surnommé « M. Ciseaux », en raison de son goût pour les coupes budgétaires. En somme, la majorité des citoyens de la péninsule soutenait un programme de coalition contenant des mesures de relance pour un montant de 100 milliards par an, les Italiens vont se retrouver gouvernés à l’extrême opposé. Quid de la démocratie ?
Mis à part cela, lorsque des gouvernements « techniques » sont mis en place en Europe, ils sont systématiquement dirigés par des hommes issus des institutions financières internationales, de la banque ou des institutions européennes. Ainsi, Mario Monti était un ancien commissaire européen et Loukas Papadimos, imposé à la Grèce en 2011, venait à la fois de la Banque de Grèce et de la Banque centrale européenne. Il n’est pas difficile d’imaginer quels intérêts ces gens défendent. Durant sa campagne, Emmanuel Macron avait tout misé sur un deal avec Angela Merkel visant à l’approfondissement fédéral de l’Union européenne.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Berlin n’en a jamais voulu et n’en voudra jamais. Moins encore avec ce qui vient de se produire en Italie. Les Allemands ne veulent pas avoir à payer un jour pour des pays du Sud qu’ils jugent dispendieux. Mais l’Allemagne est elle-même en proie à une poussée « souverainiste », illustrée par les bons scores
“LES ITALIENS SOUTENAIENT UN PROGRAMME DE RELANCE DE 100 MILLIARDS PAR AN
MAIS ILS VONT SE RETROUVER GOUVERNéS
à L’EXTRÊME OPPOSé. QUID DE LA DéMOCRATIE ?”
du FDP et de l’AfD aux élections législatives de septembre 2017. La crise politique qui a suivi dans ce pays – il a fallu six mois pour qu’il ait un gouvernement – s’inscrit pleinement dans le cadre de la crise de légitimité multiforme qui fait convulser l’Europe entière. Si, en Allemagne, des forces s’opposent à la monnaie unique, peut-on imaginer que nos voisins déclenchent le processus d’explosion ? S’il est un pays qui a tiré profit du fonctionnement du marché unique dérégulé et de l’existence de l’euro, c’est bien l’Allemagne. Cela lui a permis de faire de la délocalisation de proximité dans l’Est, d’importer de la main-d’oeuvre d’un Sud accablé par le chômage, et d’exporter massivement outre-Europe grâce à une monnaie sous-évaluée pour elle. Son intérêt immédiat est donc de faire durer le statu quo. Toutefois, s’il advenait qu’on la presse un peu trop pour mettre en place une « Union des transferts » ou pour modifier sa politique économique dans un sens plus keynésien au risque d’entamer ses excédents courants spectaculaires, il se pourrait que Berlin se mette à envisager le sauve-quipeut.