Cyril Hanouna, animateur de “TPMP” “Mettre tout le monde au même niveau.” Propos recueillis par Stéphane Bou
On aurait aimé réunir Barthès et Hanouna. Mais il n’est pas si facile de leur faire fumer le calumet de la paix et de mettre fin à la “guerre des access”. L’animateur de “TPMP”, moins rétif à l’idée de s’exprimer, était seul au rendez-vous pour répondre à
de Canal + se druckérise, son public ne le lâche pas. « Il traite l’actualité différemment, décortique la com des politiques », juge Julien, le fan amiénois. La France « Quotidien » croit encore, même avec un cynisme d’averti, au système. Celle d’Hanouna a décroché. Ce n’est pas un hasard si les politiques s’y pressent. « Dans les hautes sphères, on a conscience que cette émission représente réellement la société. “TPMP”,n’est pas une France bien coiffée en petit costume, c’est la diversité, c’est “Viens comme tu es” », lâche Franck Apietto, le directeur général de C8, citant le slogan démago de McDo.
En cas de guerre civile…
Chez Barthès, la volonté d’informer, de faire découvrir et créer du lien entre les générations. Chez Hanouna, celle de représenter, de faire exister, devant les caméras, toutes les nuances des classes populaires : minorités, handicapés, femmes voilées… « S’ il y avait une guerre civile, c’est Hanouna qu’ il faudrait appeler ! » s’emporte même un Yann Moix lyrique. « On a l’impression d’être en famille », s’émeuvent plus modestement Elodie et Salitama, 35 et 20 ans, des habituées du public venues de Gentilly et Bagnolet assister à l’émission, fin mai. On échange avec eux, même si on ne leur parle pas. »
Marianne : Votre émission et celle de Yann Barthès représenteraient deux France différentes. Etes-vous d’accord avec ce constat ?
Cyril Hanouna : Une France bobo contre une France populaire ? C’est ce que tout le monde pense. Barthès et moi ne nous ressemblons pas du tout. On est issus de mondes différents. Mais l’idée d’une rivalité entre nous s’est installée, c’est vrai. Je pense d’ailleurs que, lui comme moi, plus ou moins inconsciemment, on s’est laissé prendre à ce jeu. C’était une manière pour tous les deux de nous démarquer : Barthès a poussé le curseur vers le côté bobo, et moi vers le côté populaire. On dit même que je suis dans le populisme…
Qu’est-ce que vous répondez à cette accusation de populisme ?
Le populisme est profondément démagogique. Je ne l’aime pas. Moi, j’essaye de faire une émission populaire qui touche le maximum de gens. Je parle avec tout le monde dans la rue, sur les réseaux sociaux, dans le public. Je peux m’entendre avec n’importe qui, et c’est ce que je prône. J’habitais aux Lilas dans mon enfance et l’on s’en foutait complètement de ce que faisait le père du mec, s’il était musulman, chrétien ou juif. Je trouve que l’on est dans un pays de plus en plus dans le communautarisme, aussi bien religieux que social. L’idée d’une France compartimentée me dérange. Dans mon émission, je souhaite représenter la France de tout le monde. Je me sens appartenir à cette France-là…
N’avez-vous pas tout de même l’impression que, pour aller dans le sens du peuple, vous construisez artificiellement une élite pour ensuite la dézinguer ?
Non. Il n’y a pas de calcul, je suis entier. J’arrive à l’émission et je ne sais pas du tout ce que je vais dire. Je suis sur le plateau comme je suis dans la vie. Avant, je jouais un rôle. Je voulais jouer à l’animateur, être Jean-Pierre Foucault. Ça ne marchait pas. Ça a commencé à marcher une fois que je me suis dit que j’allais être moi-même devant les caméras. Aujourd’hui, la télé n’a
plus rien à voir avec ce qu’elle était : elle fait moins rêver. Je fais une télé d’après Internet et YouTube, qui ont contribué à la désacraliser. C’est fini, la télé des vedettes, des animateurs en costard sur leur piédestal. Tout le monde est bienvenu dans l’émission, y compris des anonymes. L’émission doit être accessible et j’essaye de mettre tout le monde au même niveau, moi compris. Mon obsession, c’est de décloisonner. Avec « TPMP », je veux rassembler autour du rire et de la déconne.
Vous vous définissez souvent comme Tunisien et “TPMP” est une émission dont l’animateur est identifié comme juif, avec parfois des femmes voilées dans le public…
C’est vrai que dans la tête des gens, je suis « le Tunisien ». Mes parents parlent moitié français, moitié arabe. Je représente une Tunisie idéale…
Mais une Tunisie qui n’existe plus et qui n’a peut-être jamais existé…
Si, elle a existé à l’époque de mes parents. Je suis dans cette image que j’avais quand je vivais aux Lilas dans les années 80 et 90 : il n’y avait pas de problème entre les communautés. Vraiment. C’est une réalité. Aujourd’hui, il y a certains endroits où la tension est très forte. On le voit tous les jours. Une fois, un collaborateur musulman m’a raconté qu’on était venu lui demander pourquoi il travaillait avec ce juif, c’est-à-dire moi… Peut-être que je cours après l’image d’une France de mon enfance… Mais je sais qu’elle existe et peut encore exister. Une chose est sûre : je ne suis pas du tout gêné ni par le port du voile, ni par la croix, ni par la kippa… On peut être très bien intégré en portant un voile. Même s’il y a voile et voile, bien sûr… J’essaye de créer un endroit où tout le monde pourrait discuter avec tout le monde, où tous les avis sont les bienvenus, où toutes les religions, toutes les franges sociales, peuvent venir s’exprimer autour de la table. Un programme dans lequel les spectateurs se disent qu’ils peuvent abandonner leurs préjugés et vivre dans une société du dialogue. L’émission doit être une soupape, un espace de décompression par rapport aux tensions qui existent dans la réalité.
Un mirage ?
Au contraire, si cela est possible dans mon émission, c’est possible partout. Justement, pendant deux heures, il faut que les gens n’oublient pas que c’est possible…
“TPMP” est davantage qu’une émission en direct. C’est aussi une émission en partie improvisée. On perçoit d’ailleurs une tension entre, d’un côté, l’envie de ne pas suivre aveuglément le conducteur et faire dévier l’émission de sa trajectoire programmée et, de l’autre, garder le contrôle…
C’est vrai. Je fais une télé de l’imprévu. Souvent, j’aimerais aller plus loin dans le délire. Me lâcher encore plus… Dans ma tête, « TPMP » est une émission pirate. Cela dit, estce que ce serait mieux s’il n’y avait pas la police de la télé, le CSA ? Pas sûr. C’est contre-productif d’être dans la déconne tout le temps. Il faut qu’il y ait un contraste. Une émission, c’est comme une salle de classe : on a envie de foutre le bordel parce que c’est interdit, parce que tout ne doit pas être possible. C’est cette tension entre liberté et contraintes qui donne à l’émission son côté spontané et moderne.
Les hommes politiques viennent plus fréquemment dans votre émission. Pourquoi ?
Ils veulent venir parce que « TPMP » est l’émission la plus populaire et la plus représentative de la France d’aujourd’hui, ils se disent certainement qu’ils vont toucher des gens qui ne s’intéressent plus à la politique. L’enjeu, quand il nous arrive d’en recevoir, c’est d’essayer de les emmener sur notre terrain et de ne pas trop aller sur le leur, car nous souhaitons rester une émission de divertissement.