ÇA VA MIEUX EN LE DISANT
L’impossibilité d’une gauche
Le mois de mai 2018 s’est achevé sur l’échec relatif d’une mobilisation annoncée comme une marée humaine, une déferlante de nature à ébranler le pouvoir politique. La manifestation parisienne n’était pas insignifiante, mais les organisateurs payent leur propre irréalisme. On pouvait jadis reprocher à la CGT et aux communistes de gonfler les chiffres des manifestants. Au moins le faisaient-ils après les rassemblements et non avant. L’emphase permanente de Jean-Luc Mélenchon laisse croire à l’isolement du pouvoir, au rejet du président, à la convergence des luttes et à l’imminence du Grand Soir.
En vérité, il y a fort peu de grèves, en dehors de la SNCF et des sempiternelles journées d’action de la fonction publique.
Les réformes de la scolarité et les nouvelles modalités d’accès aux études supérieures provoquent bien quelques mouvements de jeunes et d’étudiants, mais nous sommes loin des grandes révoltes de la jeunesse. Les syndicats et les organisations de gauche défilent sur des parcours communs, mais sans unir les manifestants sur des objectifs partagés par tous. Chaque groupe porte ses propres mots d’ordre ; dans une même manif, on croise des féministes revendiquant l’égalité et des femmes voilées, des antiracistes et des « racialisés », de vieux marxistes et de jeunes anars. Les manifestants réclament tout à la fois, le cortège du 26 mai portait toutes les exigences, les revendications des salariés et celles des Palestiniens dont le drapeau surgit à tout propos, la libération du cannabis et le maintien du statut des cheminots, la démission d’Emmanuel Macron et celle de Donald Trump. Comment dès lors rassembler au-delà d’un patchwork de grandes et de petites organisations ? Les deux manifestations de mai 2018 se caractérisaient par l’absence d’objectifs précis et présentaient un incroyable zapping de toutes les causes possibles de mécontentement. Ces manifestations n’avaient d’autre but que d’exister afin de démontrer qu’une partie du peuple est hostile à Emmanuel Macron. C’est un peu court.
Un an après le choc subi par la gauche, La France insoumise n’a pas mis à profit le succès de Jean-Luc Mélenchon pour construire une alternative. Elle n’a eu de cesse d’affirmer son hégémonie et celle de son chef, traitant ses alliés avec un mépris et un sectarisme dignes de la stratégie « classe contre classe », abandonnée par le PCF dans les années 30. Agglutiner diverses formations pour défiler ne fait pas un rassemblement. Le brouillage entre les revendications immédiates et les objectifs révolutionnaires plus ou moins fumeux ne favorise guère la mobilisation.
L’ancienne alliance de la CGT et du PCF avait bien des défauts, mais au moins les dirigeants d’alors savaient-ils
distinguer les temps de l’action.
Ils conduisaient des actions, avec l’objectif d’obliger patrons et gouvernement à négocier et à satisfaire les revendications des travailleurs. La crédibilité acquise dans les combats immédiats leur permettait de peser sur les changements politiques. Cette gauche a mal résisté aux expériences gouvernementales et elle a été emportée à la fin de la dernière, en 2017. Le PC n’est qu’un fantôme, le PS semble enseveli dans les décombres de son ancienne splendeur. La nouvelle gauche se complaît dans l’agitation. Elle ne veut pas admettre qu’elle s’est affirmée par défaut, quand le PS et le PC avaient perdu toute crédibilité.
Les électeurs de gauche pouvaient se reconnaître dans les discours du candidat Mélenchon de 2017,
qui les ramenaient aux principes oubliés du socialisme républicain. L’agitation permanente, la confusion des objectifs et les tartarinades ruinent chaque jour le crédit obtenu il y a un an. Même quand la conquête du pouvoir semblait lointaine, les partis de gauche s’efforçaient de formuler des propositions réalistes. Mélenchon s’en tient aux incantations. Lors de la signature des ordonnances réformant le code du travail, il promettait déjà un gigantesque mouvement, avant de reconnaître que Macron avait marqué un point. Le tribun de La France insoumise n’a pu s’empêcher de récidiver, en annonçant une marée humaine, tant et si bien que les manifestations semblent ridicules en regard de l’objectif annoncé. Les raisons de s’opposer à la politique du gouvernement ne manquent pourtant pas. Mais, avec de tels adversaires, Emmanuel Macron ne risque pas grand-chose !