T’as le look manif
Quand faut y aller, faut y aller ! Il est des moments dans la vie où, même retiré des affaires, agoraphobe, voire mou du genou, on réalise que, si l’on ne s’y colle pas nous-mêmes, personne ne viendra défendre notre bifteck Quelques conseils glanés auprès des pros de l’agit prop et des cortèges printaniers pour défiler sans se mouiller.
Pape de la psychologie sociale, Gustave Le Bon a dit pis que pendre de la foule, ce gros animal monstrueux, capable « de meurtre, d’incendie et de toutes sortes de crimes ». S’il est imprévisible et potentiellement violent, l’homme en troupeau n’en perd pas forcément toute moralité et se montre parfois capable « d’actes de dévouement, de sacrifice et de désintéressement très élevés, reconnaît Le Bon, beaucoup plus élevés même que ceux dont est capable l’individu isolé » (Extrait de Psychologie des foules, PUF). Il est évident que ces vertus se développent d’autant plus aisément qu’il n’a pas mal aux pieds et ne souffre pas de coups de soleil ou de déshydratation…
MÉTÉO
« Je regarde bien le temps la veille et j’emporte soit un parapluie, soit une capuche. L’autre fois, j’avais ressorti mon vieux Barbour. Il n’y a pas meilleur imper au monde », nous confie Bruno Poncet, 45 ans, cheminot
et secrétaire fédéral chez SUD-Rail. Noëlle, ancienne kinésithérapeute salariée de 67 ans, qui a arpenté les rues le 1er mai dernier pour dénoncer une politique qui « ne va pas dans le bon sens », est une prévoyante, elle enfile « plusieurs couches au cas où : un gilet à boutons, un foulard, une doudoune légère, un poncho rose de cycliste. » Et glisse : « dans le sac à dos, un jean, des chaussures de marche, des lunettes de soleil, une
visière et une bouteille d’eau ».
CHAUSSURES
Confort, fiabilité… Nos informateurs plébiscitent la chaussure plate, bonne basket ou derby en cuir mou, pourvu de semelles douillettes. Alain, machiniste de 50 ans et marcheur émérite pendant son temps libre, défile avec ses chaussures de randonnée. Car il n’y a pas que les kilomètres qu’il faut avaler. Attendre des heures que le cortège démarre ou, au contraire, être prêt à détaler, se faire bousculer, écra-
ser le gros orteil par un projectile…, il faut avoir en tête ces éventualités fâcheuses quand on ouvre son placard. Aucune manifestation n’est a priori exempte du risque de cohue, sinon de baston. Simon, étudiant de 19 ans, ne quitte jamais ses Dr. Martens hautes à imposantes semelles de crêpe…
SAC
Anne, professeur d’espagnol de 31 ans biberonnée aux manifs, préfère le sac à dos pour « éviter d’avoir trop de choses dans les poches, car c’est galère à retrouver quand ça tombe par terre ». Mais Bruno Poncet rectifie : « Les sacs à dos, je n’aime pas ça, car on est très souvent fouillé. » Florence Montreynaud, chienne de garde aguerrie, préfère aussi défiler les mains dans les poches, ou bras dessus bras dessous avec ses soeurs de castagne : « Pantalon, manteau imperméable à capuche, chaussures confortables, pas de sac ; dans la poche, des tickets de métro, la carte d’identité en cas de contrôle, et assez d’argent pour pouvoir prendre un pot ensuite » (extrait de Chaque matin, je me lève pour changer le monde. Du MLF aux chiennes de garde, quarante ans de féminisme, Eyrolles, 2014).
ÉLÉGANCE
Quand on leur pose la question du style, la plupart des protestataires répondent qu’ils viennent « habillés comme tous les jours ». Mais, pour Maïté, ancienne infirmière en entreprise, ce n’est pas parce qu’on va en manif que l’on doit se pointer en débraillé. Avec son top à col roulé blanc (« couleur de la paix », dit-elle) et son beau gilet vert (« de l’espérance »), elle affirme : « J’ai le droit de bien m’ habiller et de me maquiller ; ce n’est pas réservé à une certaine classe d’argent. » Défiler sur son 31 peut être un argument de dignité et de crédibilité dans une lutte sociale. Bruno Poncet en est très conscient : « Avant, j’y allais en survêtement, c’ était pratique pour les poches
profondes, mais maintenant, avec ma fonction et les caméras, je porte un jean. »
COULEURS
Plusieurs écoles. Le noir a ses adeptes. Beaucoup de manifestants s’accordent pour dire que c’est la meilleure façon de « s’anonymiser » face aux appareils photo et aux hélicoptères qui tournent au-dessus des têtes. Au risque d’être confondu avec les sulfureux black blocs ? Pour Florent Chapelle, étudiant de 23 ans porte-parole de la fédération autogestionnaire Solidaires étudiants, le sens péjoratif de l’expression « black bloc » est une construction médiatique. Le noir relève « plus de la tactique que d’une réelle stratégie », l’idée étant tout bonnement de ne pas être reconnu par les policiers. Certaines fortes têtes assument néanmoins la couleur de l’anarchie, comme Marc, étudiant-chercheur révolutionnaire de 36 ans, avec son look noir élimé qu’il qualifie lui-même de « punkisant ». Mais les couleurs vives séduisent de plus en plus. Du rose layette de « la manif pour tous » à celui des pussy hats tricotés en laine à Washington ou à Paris (détournement d’une couleur genrée dans les marches pour l’égalité femmes-hommes), elles apportent un côté parade bon enfant, utile pour mettre l’opinion de son côté. A SUD-Rail, on opte pour l’écriture vert fluo sur le fond noir des tee-shirts, « plus simple à produire pour les fournisseurs », décrète Bruno Poncet, qui salue par ailleurs les tons festifs mis à la mode par les étudiants : « Ils viennent avec des tenues pimpantes, mettent du rap, ça nous change de l’Internationale !»
DÉGUISEMENTS
A Bordeaux, un « pink bloc » vient régulièrement injecter une bonne humeur potache dans les cortèges : les jeunes portent des masques de catch mexicain, des collants roses en guise de cagoule sur le visage et des vestes de survêtement heighties. Créé l’année dernière pour repolitiser la Gay Pride, le mouvement continue sa mobilisation sur fond de musique badaboum. Dans un autre genre, Bruno Poncet salue « les collègues qui se déguisent avec d’anciennes casquettes blanches de la SNCF ou portent des masques de Macron ». Apparemment, la mode des clowns revient, mais Florent Chapelle juge cette mouvance écolo « ringarde » depuis la COP21. Sur la ZAD, les dragons chinois ont été mieux accueillis.
CASQUE
Le degré de tension potentiel l’exige parfois. A Rennes, lors des mobilisations contre la loi Travail de 2016, se rappelle Florent Chapelle, « les provocations de la police ont été si violentes que les syndicats pro ont appelé à venir casqué ». Casque de moto, de chantier ou de vélo : toute coque protectrice fait l’affaire. Jean, cheminot retraité de 66 ans, est venu manifester le 1er mai (pourtant réputé pour ses défilés popotes) avec son attirail de cycliste pour « être d’ égal à égal avec ceux qui sont en face et qui sont casqués ».
MASQUES
Nantes et la ZAD, toujours selon Florent Chapelle, sont devenus de vrais « terrains d’expérimentation des nouvelles armes de police ». Régulièrement, il pleut sur Nantes des Flash-Ball, des lanceurs de balles de défense (LBD) et des grenades lacrymogènes dernier cri. La ZAD a alors mis à disposition de tous un fichier PDF diffusant des « conseils pour se sentir en confiance ». Contre les gaz lacrymogènes et ceux à base de poivre de Cayenne, elle déconseille les corps gras qui fixent les gaz sur la peau. Donc, éviter les crèmes de jour mais se laver le visage et les vêtements avec du savon, un agent qui aide à la dissolution des graisses dans l’eau. Le masque à gaz offre une très bonne protection, mais il est illégal sans autorisation. A la place, la ZAD préconise un masque de ski ou de plongée ou encore un foulard imbibé de vinaigre, de citron ou de Coca pour aider à la respiration, l’acidité filtrant les gaz. Contre les Flash-Ball, prévoir de multiples couches de vêtements et des banderoles renforcées (plusieurs cartons par exemple). Contre les canons à eau, une tenue imperméable.
CHANSONS
Elles aident à garder la pêche. En mode rebelle : I Shot The Sheriff, Antisocial, Guantanamera, On lâche rien,Un autre monde, Jeune et con, Je veux du soleil, Stupeflip (rap), la Rage de Keny Arkana (rap)… En mode humour : les chansons détournées en slogan : «Ya du Medef dans tous tes choix, darladirladada » (sur l’air de Y a du soleil et des nanas), « Nous vivons sous un Etat policier, un Etat policier, un Etat policier » (sur l’air de Yellow
Submarine)…n