LAÏCITÉ LES OCCASIONS PERDUES : DE FRANÇOIS HOLLANDE
Le candidat avait fait de la laïcité le point d’orgue de son programme. Le président a cédé aux compromissions.
En appelant à réparer le « lien abîmé » entre l’Eglise et l’Etat, le président Macron a rallumé les plus vives inquiétudes chez les laïques. Son prédécesseur à l’Elysée aurait alors de bonnes raisons de s’en mordre les doigts, lui qui avait la possibilité de rendre la loi de 1905 inviolable et qui laissa filer cette opportunité. Dans les Leçons du pouvoir (1), François Hollande affiche son attachement à la laïcité, « indispensable à la cohésion de notre société ». Mais le lecteur averti s’interroge sur la réalité du bilan : accommodements dits « raisonnables », atermoiements coupables face aux communautarismes, occasions perdues et promesses non tenues.
Au fil de son mandat, Nicolas Sarkozy s’était livré à une attaque en règle contre la laïcité. De son successeur, les laïques espéraient donc un sursaut. La laïcité ne constituait-elle pas l’autre terme du projet d’une République laïque et sociale ? Dans son discours du Bourget, lors de son premier meeting de campagne, le candidat Hollande n’avait-il pas choisi de faire de la laïcité le premier point de son programme ?
Le temps des promesses
Quand François Hollande arrive au pouvoir, la gauche ne le sait pas encore, mais elle a, hélas, déjà perdu la bataille culturelle, celle des mots et des idées. Elle en prend conscience dans la douleur au len-
ENTRE LA VISION COMMUNAUTARISTE ET LA VISION LAÏQUE, LE POUVOIR N’A CESSÉ D’HÉSITER. ET LE PRÉSIDENT HOLLANDE A CHOISI DE NE PAS CHOISIR.
demain des attentats barbares de janvier 2015. Dans les semaines qui suivent l’immense rassemblement populaire du 11 janvier, des intellectuels et des journalistes prennent la tangente. La confusion gagne les têtes. « Ils l’avaient quand même un peu cherché… » lit-on à propos des caricaturistes de Charlie, sous des plumes autrefois progressistes. Un discours issu de l’ultragauche, pour qui l’islamisme politique serait en quelque sorte l’héritier de la classe ouvrière dans sa lutte contre le capitalisme mondialisé, s’installe dans le débat public. Ce discours va diviser profondément la gauche et peser sur le pouvoir. Au fil du quinquennat de Hollande, nombre de dirigeants de gauche ont préféré se taire face aux assauts subis par la laïcité, de crainte, disaient-ils, de nourrir la xénophobie. En faisant les yeux doux au communautarisme, ils ont contribué à en faire le lit. Et quand la République a peur d’elle-même, le populisme occupe l’espace laissé vacant (2). Et Marine Le Pen récolte 11 millions de voix au second tour de la présidentielle.
Le temps des accommodements
François Hollande se dit pourtant conscient des périls que fait peser la montée du communautarisme sur la démocratie. « Dès qu’on s’ éloigne des principes de la République, on favorise la constitution d’une société fractionnée, fracturée en communautés bientôt rivales ou hostiles. », écrit-il dans son livre.
Il appelle à « une application ferme de la laïcité qui n’exclut pas le discernement ». Mais, dans les faits, la loi a continué d’être contournée et la laïcité, fragilisée. Pourquoi tant de tergiversations, de compromis qui résonnent comme autant de compromissions ? L’Etat a semblé impuissant à garantir une forme de neutralité dans des lieux collectifs, comme les crèches, les hôpitaux, des entreprises, des clubs sportifs, et y garantir le respect des principes fondamentaux, en premier lieu, l’égalité entre femmes et hommes.
Ce sujet embarrasse la gauche, au moins depuis la première affaire du voile au collège de Creil, en 1989. Régis Debray avait prévenu : « Le droit à la différence débouchera sur la différence des droits. » C’est chose faite. Ce qui est nouveau, c’est que cette revendication issue de l’extrême droite est désormais portée par des voix de gauche. Les plus radicaux dénoncent carrément la laïcité comme « colonialiste », « islamophobe », « raciste ». Le travail de sape qui vise à inverser le sens des mots a payé. Le combat contre le racisme, retourné contre lui-même, cède place à son contraire, le racialisme. Le combat pour l’égalité entre femmes et hommes et pour l’émancipation est dénaturé au profit d’une campagne en faveur d’un « droit à porter le voile ».
Sous le quinquennat Hollande, la bataille idéologique a fait rage, et le pouvoir n’a cessé d’hésiter. La ligne officielle de l’Observatoire de la laïcité, présidé par Jean-Louis Bianco, et très fortement contestée en interne, visait à transformer la laïcité en une sorte d’oecuménisme interreligieux pour faire « vivre ensemble » des communautés grâce à une politique d’accommodements. Mais la République n’est pas l’addition de communautés aux droits différents, c’est le rassemblement de tous les citoyens.
Il aurait fallu trancher. François Hollande a laissé filer, renvoyant dos à dos Jean-Louis Bianco et le Premier ministre, Manuel Valls. Entre la vision communautariste et la vision laïque, le président a choisi de ne pas choisir.
Le temps des occasions perdues
François Hollande n’a pas voulu toucher à la loi Carle sur le financement de l’école privée qui aurait mérité d’être aménagée. Mais c’est surtout une proposition capitale de son programme qui est passée à la trappe : la proposition 46, celle qui ambitionnait d’inscrire dans la Constitution les deux premiers articles de la loi de 1905 : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes… Elle ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. » En conférant à ces principes pleine valeur constitutionnelle, l’intention était de donner à la République les moyens de se protéger du communautarisme et de fermer la porte au retour du religieux en politique. Le renoncement de François Hollande se révèle être une faute quand son successeur en appelle au rétablissement du lien entre les Eglises et l’Etat !
(1) Les Leçons du pouvoir, de François Hollande, Stock, avril 2018.
(2) Ils ont volé la laïcité, de Patrick Kessel, éd. Jean-Claude Gawsevitch, novembre 2011.