L’homme que l’Iran ne veut pas voir
Son film “Trois visages” vient d’obtenir le Prix du scénario au Festival de Cannes. Une belle récompense pour l’Iranien Jafar Panahi, prisonnier de son pays...
Jafar Panahi est interdit de tournage et privé de passeport. Il a même été condamné à une peine de prison en 2010.
Les festivités cannoises ont eu lieu sans lui. Opposant de longue date au régime des ayatollahs, le talentueux Iranien Jafar Panahi (on lui doit, entre autres, Hors jeu et Sang et or) n’a pas pu se rendre sur la Croisette où son nouveau film, Trois visages, a reçu le Prix du scénario.
Une douloureuse habitude pour le metteur en scène. Tout comme son confrère Mohammad Rasoulof (Au revoir, Un homme intègre), Panahi est interdit de tournage et privé de passeport. Il a même été condamné à une peine de prison en 2010 pour « actes et propagandes hostiles à la République islamique d’Iran ». Motifs : sa personnalité trop subversive aux yeux du régime et ses films qui regardent droit dans les yeux les rudes réalités locales. Protégé par son statut international et par l’accueil réservé à ses oeuvres par les grands festivals, Jafar Panahi, néanmoins, parvient à contourner la censure et continue, avec des moyens financiers ridicules, de tourner des films qui renseignent sur sa situation d’artiste en lutte et surtout sur l’Iran d’aujourd’hui. Trois ans après le triomphe de Taxi Téhéran, 580 000 entrées en France et Ours d’or au festival de Berlin, Jafar Panahi signe une nouvelle merveille d’intelligence, de combativité et de malice. Un film où, comme dans tous ses derniers essais, il joue avec les frontières du documentaire et de l’autofiction, en évitant à chaque instant la complaisance.
Les premiers plans de Trois visages sidèrent par leur âpreté. Une actrice iranienne célèbre reçoit une vidéo alarmante sur son téléphone. Une adolescente qu’elle ne connaît pas lui annonce son intention de mettre fin à ses jours, car sa famille s’oppose à son désir de devenir comédienne. Horrifiée, l’actrice renommée se rend dans le village de l’adolescente pour mener l’enquête. La jeune fille s’est-elle vraiment suicidée ? S’agit-il d’une manipulation ? Pour répondre à ces questions, elle emmène avec elle un ami proche qui est aussi un cinéaste. Un certain… Jafar Panahi. Au gré de ses rencontres, parfois cocasses, avec les villageois, le duo découvre les secrets de l’adolescente et les dissimulations d’une communauté liberticide. Les trois visages qui donnent leur nom au film sont tous féminins. Celui de l’actrice connue, incarnation d’une certaine modernité, qui découvre les réalités de l’Iran profond. Celui de la jeune fille suicidaire, prête à tout pour fuir un environnement qui interdit l’émancipation. Celui d’une troisième héroïne, enfin, que l’on n’aperçoit que furtivement, mais dont l’ombre plane sur tout le film : une vieille femme, actrice avant la révolution islamique, et aujourd’hui mise au ban pour avoir osé « s’exhiber » dans ses années de jeunesse. Ces héroïnes luttent pour vivre leur vie et leur combat donne lieu à une oeuvre insolente, contemplative et poétique. Hymne à la liberté, ce film inventif et bouleversant sera cloué au pilori par les autorités iraniennes qui interdiront sa sortie dans les salles comme elles ont interdit celles des films antérieurs de Jafar Panahi. Au mieux Trois visages s’échangera en DVD et sous le manteau. En attendant des jours meilleurs pour la liberté d’expression en Iran…
Trois visages, de Jafar Panahi, avec Jafar Panahi, Behnaz Jafari, Maedeh Erteghaie. Sortie le 6 juin.