En bonne santé
Passer la bague aux dents ?
Arborer un sourire métallique à la sortie de l’enfance est une mésaventure extrêmement répandue. Deux tiers des enfants dans les pays industrialisés sont touchés par une étroitesse des mâchoires. Les bagues sont-elles pour autant
un passage obligé ?
La banalisation des traitements orthodontiques à l’adolescence s’explique principalement par trois idées : - la première est une préoccupation très majoritairement esthétique, qui pousse parents et jeunes à rechercher le “sourire parfait ”, ce sourire à l’alignement impeccable vendu par les médias et les industries culturelles comme un gage de réussite sociale. - la seconde est qu’en matière d’orthodontie, les traitements en denture définitive seraient mieux acceptés, soit environ à partir de l’âge de 12 ans. - la troisième est que traiter en denture lactéale ne sert à rien puisque les petites dents de lait vont partir. La combinaison de ces trois idées aboutit à des choix difficiles pour les parents, parfois des extractions de dents saines, des décisions thérapeutiques aux effets secondaires importants, et le développement de déséquilibres potentiellement négatifs pour la santé. Certains praticiens apportent des mises en garde car, disent-ils, ces systèmes multi-attaches eux-mêmes, si répandus, auraient tendance à fragiliser les dents et, pratiqués par des mains non expertes, pourraient exercer des contraintes dont les répercussions sur la santé et le psychisme sont nombreuses. Qu’en est-il exactement ?
LA VRAIE PRIORITÉ : LES FONCTIONS DE LA BOUCHE
L’alignement des dents n’est pas un fait isolé : résultat d’une croissance harmonieuse des mâchoires et des os du crâne, il participe à la formation d’un bon engrènement dentaire, nécessaire pour la mastication et le bon fonctionnement de l’articulation temporo-mandibulaire (ATM). Il est donc primordial de comprendre que la bouche est un organe complexe, qui assure trois fonctions vitales – la respiration, la déglutition et la mastication – sans oublier son rôle dans le langage et l’expression des émotions. L’enfant en croissance met en place ces fonctions et pose ainsi les bases de sa santé future. Par ailleurs, il faut savoir que la croissance osseuse est dépendante des pressions de remodelage osseux qui s’exercent sur l’os pendant son développement : la croissance des mâchoires n’échappe pas à cette loi. Ainsi, certains mouvements de la bouche
CES SYSTÈMES MULTI-ATTACHES
POURRAIENT EXERCER DES CONTRAINTES DONT LES RÉPERCUSSIONS SUR LA SANTÉ ET LE PSYCHISME SONT NOMBREUSES.
induisent le bon développement maxillaire : les mouvements de propulsion de la mandibule, gymnastique quotidienne du bébé allaité, en sont un bon exemple. De même, l’interposition d’éléments étrangers dans la bouche (appareils, tétines, pouce...) aura une influence directe ou indirecte – par le biais de la langue – sur les pressions osseuses. Toutes ces interactions concourent à l’édification de la bouche et à la mise en place de la respiration, de la déglutition et de la mastication. La connaissance fine du corps humain a permis d’établir des liens étroits entre des fonctions apparemment éloignées et de mieux cerner les répercussions de certains déséquilibres. On sait désormais qu’il existe des relations fortes entre le fonctionnement des mâchoires et la posture, la puissance musculaire, l’irrigation cérébrale, mais aussi la densité osseuse... La respiration buccale serait à l’origine de troubles aussi divers que l’énurésie, la baisse de vigilance, la prise de poids, le développement d’allergies ou, plus grave, les apnées du sommeil. L’acquisition d’une déglutition “adulte ” permet un développement correct du palais et des arcades dentaires. Ce sont autant d’enjeux pour la santé de l’enfant.
INTERVENIR PRÉCOCEMENT, UNE AUTRE FAÇON D’AGIR ?
L’idée selon laquelle on ne peut rien faire avant l’acquisition de la denture définitive doit être remise en question : il est possible d’intervenir en denture de lait pour favoriser notamment un bon développement maxillaire et pour prévenir des dysharmonies fonctionnelles majeures afin d’assurer à la fois une bonne santé générale et une croissance harmonieuse. On considère qu’à 12 ans, 90 % de la croissance des mâchoires et des os du crâne sont achevés ; à cet âge, il devient difficile d’agir sur la croissance osseuse. À 7 ans, 70 % sont déjà achevés, ce qui peut laisser une marge déjà trop faible au praticien. L’idéal serait donc de consulter avant la sortie des premières molaires définitives, soit vers 6 ans. Certains orthodontistes, comme la spécialiste Marie-Josèphe Deshayes, proposent d’intervenir dès 3-4 ans à l’aide d’appareillages amovibles, non douloureux. Ils sont convaincus qu’il est possible d’interférer sur la trajectoire de croissance de la face afin de retrouver une harmonie des fonctions et de l’équilibre osseux. La prise en charge précoce ne fait pas appel aux techniques utilisées avec les adolescents et les adultes : dans le cadre d’un traitement très précoce, on parle avant tout d’orthopédie dento-faciale et d’actions sur les fonctions. En contrepartie, il est crucial de choisir un praticien réellement formé à ces méthodes. Une part importante de la prise en charge précoce est donc dédiée à l’éducation des fonctions (mastication sur des aliments de textures dures dès la petite enfance, respiration nasale en particulier), ce qui peut nécessiter l’intervention d’un orthophoniste, d’un psychologue, d’un ostéopathe. Précoce et globale, respectueuse de la dentition de lait et soucieuse de préserver le capital dentaire de l’enfant, cette approche évite, dans la plupart des cas, des extractions et diminue la durée de l’alignement dentaire à l’adolescence.
D’OÙ VIENT LA BEAUTÉ
DU VISAGE ?
Le développement de l’os maxillaire, dans ses relations avec les orbites et le palais, conditionne l’harmonie du visage, bien plus que le simple alignement des dents. Favoriser son bon développement influe directement sur la longueur et la forme du visage, ainsi que sur les problèmes d’encombrement dentaire. À l’inverse, supprimer des dents saines dans le cadre d’un traitement orthodontique afin de “faire de la place ” est discutable : cela pourrait compromettre la croissance de l’arcade dentaire, affaisser les traits du visage du fait d’un manque de soutien par le relief des dents – on recule les incisives dans l’espace laissé libre par l’extraction de prémolaires – et pourrait aboutir à la formation d’un profil plat ! Être attentif au bon développement des mâchoires est donc le premier moyen de préserver la beauté d’un visage.