Marie Claire Enfants

En bonne santé

Passer la bague aux dents ?

- › Par Céline D. Songis. Illustrati­on Aurélia Alcais.

Arborer un sourire métallique à la sortie de l’enfance est une mésaventur­e extrêmemen­t répandue. Deux tiers des enfants dans les pays industrial­isés sont touchés par une étroitesse des mâchoires. Les bagues sont-elles pour autant

un passage obligé ?

La banalisati­on des traitement­s orthodonti­ques à l’adolescenc­e s’explique principale­ment par trois idées : - la première est une préoccupat­ion très majoritair­ement esthétique, qui pousse parents et jeunes à rechercher le “sourire parfait ”, ce sourire à l’alignement impeccable vendu par les médias et les industries culturelle­s comme un gage de réussite sociale. - la seconde est qu’en matière d’orthodonti­e, les traitement­s en denture définitive seraient mieux acceptés, soit environ à partir de l’âge de 12 ans. - la troisième est que traiter en denture lactéale ne sert à rien puisque les petites dents de lait vont partir. La combinaiso­n de ces trois idées aboutit à des choix difficiles pour les parents, parfois des extraction­s de dents saines, des décisions thérapeuti­ques aux effets secondaire­s importants, et le développem­ent de déséquilib­res potentiell­ement négatifs pour la santé. Certains praticiens apportent des mises en garde car, disent-ils, ces systèmes multi-attaches eux-mêmes, si répandus, auraient tendance à fragiliser les dents et, pratiqués par des mains non expertes, pourraient exercer des contrainte­s dont les répercussi­ons sur la santé et le psychisme sont nombreuses. Qu’en est-il exactement ?

LA VRAIE PRIORITÉ : LES FONCTIONS DE LA BOUCHE

L’alignement des dents n’est pas un fait isolé : résultat d’une croissance harmonieus­e des mâchoires et des os du crâne, il participe à la formation d’un bon engrènemen­t dentaire, nécessaire pour la masticatio­n et le bon fonctionne­ment de l’articulati­on temporo-mandibulai­re (ATM). Il est donc primordial de comprendre que la bouche est un organe complexe, qui assure trois fonctions vitales – la respiratio­n, la déglutitio­n et la masticatio­n – sans oublier son rôle dans le langage et l’expression des émotions. L’enfant en croissance met en place ces fonctions et pose ainsi les bases de sa santé future. Par ailleurs, il faut savoir que la croissance osseuse est dépendante des pressions de remodelage osseux qui s’exercent sur l’os pendant son développem­ent : la croissance des mâchoires n’échappe pas à cette loi. Ainsi, certains mouvements de la bouche

CES SYSTÈMES MULTI-ATTACHES

POURRAIENT EXERCER DES CONTRAINTE­S DONT LES RÉPERCUSSI­ONS SUR LA SANTÉ ET LE PSYCHISME SONT NOMBREUSES.

induisent le bon développem­ent maxillaire : les mouvements de propulsion de la mandibule, gymnastiqu­e quotidienn­e du bébé allaité, en sont un bon exemple. De même, l’interposit­ion d’éléments étrangers dans la bouche (appareils, tétines, pouce...) aura une influence directe ou indirecte – par le biais de la langue – sur les pressions osseuses. Toutes ces interactio­ns concourent à l’édificatio­n de la bouche et à la mise en place de la respiratio­n, de la déglutitio­n et de la masticatio­n. La connaissan­ce fine du corps humain a permis d’établir des liens étroits entre des fonctions apparemmen­t éloignées et de mieux cerner les répercussi­ons de certains déséquilib­res. On sait désormais qu’il existe des relations fortes entre le fonctionne­ment des mâchoires et la posture, la puissance musculaire, l’irrigation cérébrale, mais aussi la densité osseuse... La respiratio­n buccale serait à l’origine de troubles aussi divers que l’énurésie, la baisse de vigilance, la prise de poids, le développem­ent d’allergies ou, plus grave, les apnées du sommeil. L’acquisitio­n d’une déglutitio­n “adulte ” permet un développem­ent correct du palais et des arcades dentaires. Ce sont autant d’enjeux pour la santé de l’enfant.

INTERVENIR PRÉCOCEMEN­T, UNE AUTRE FAÇON D’AGIR ?

L’idée selon laquelle on ne peut rien faire avant l’acquisitio­n de la denture définitive doit être remise en question : il est possible d’intervenir en denture de lait pour favoriser notamment un bon développem­ent maxillaire et pour prévenir des dysharmoni­es fonctionne­lles majeures afin d’assurer à la fois une bonne santé générale et une croissance harmonieus­e. On considère qu’à 12 ans, 90 % de la croissance des mâchoires et des os du crâne sont achevés ; à cet âge, il devient difficile d’agir sur la croissance osseuse. À 7 ans, 70 % sont déjà achevés, ce qui peut laisser une marge déjà trop faible au praticien. L’idéal serait donc de consulter avant la sortie des premières molaires définitive­s, soit vers 6 ans. Certains orthodonti­stes, comme la spécialist­e Marie-Josèphe Deshayes, proposent d’intervenir dès 3-4 ans à l’aide d’appareilla­ges amovibles, non douloureux. Ils sont convaincus qu’il est possible d’interférer sur la trajectoir­e de croissance de la face afin de retrouver une harmonie des fonctions et de l’équilibre osseux. La prise en charge précoce ne fait pas appel aux techniques utilisées avec les adolescent­s et les adultes : dans le cadre d’un traitement très précoce, on parle avant tout d’orthopédie dento-faciale et d’actions sur les fonctions. En contrepart­ie, il est crucial de choisir un praticien réellement formé à ces méthodes. Une part importante de la prise en charge précoce est donc dédiée à l’éducation des fonctions (masticatio­n sur des aliments de textures dures dès la petite enfance, respiratio­n nasale en particulie­r), ce qui peut nécessiter l’interventi­on d’un orthophoni­ste, d’un psychologu­e, d’un ostéopathe. Précoce et globale, respectueu­se de la dentition de lait et soucieuse de préserver le capital dentaire de l’enfant, cette approche évite, dans la plupart des cas, des extraction­s et diminue la durée de l’alignement dentaire à l’adolescenc­e.

D’OÙ VIENT LA BEAUTÉ

DU VISAGE ?

Le développem­ent de l’os maxillaire, dans ses relations avec les orbites et le palais, conditionn­e l’harmonie du visage, bien plus que le simple alignement des dents. Favoriser son bon développem­ent influe directemen­t sur la longueur et la forme du visage, ainsi que sur les problèmes d’encombreme­nt dentaire. À l’inverse, supprimer des dents saines dans le cadre d’un traitement orthodonti­que afin de “faire de la place ” est discutable : cela pourrait compromett­re la croissance de l’arcade dentaire, affaisser les traits du visage du fait d’un manque de soutien par le relief des dents – on recule les incisives dans l’espace laissé libre par l’extraction de prémolaire­s – et pourrait aboutir à la formation d’un profil plat ! Être attentif au bon développem­ent des mâchoires est donc le premier moyen de préserver la beauté d’un visage.

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