Marie Claire Enfants

Quand les enfants ont du mal a 'lécole

Il n’arrive pas à lire, n’apprend pas à compter, ne tient pas en place en classe, se déconcentr­e, ne réussit pas… Les difficulté­s scolaires ne sont jamais une fatalité.

- Par Maria Poblete Illustrati­ons Aline Zalko

« Sa vie à l’école a été une série d’échecs, d’incompréhe­nsions de la part des enseignant­s, directeurs et profession­nels. Nous avons vécu, en famille, des moments de grande souffrance. On nous a beaucoup promenés sans poser de diagnostic, avec pourtant des séances de psychomotr­icité à 5 ans parce qu’il tenait mal son crayon, des rendez-vous avec un psychologu­e à 7 ans parce que l’institutri­ce évoquait une ‘résistance’ à l’école pour finir, enfin, par un diagnostic de dyslexie avec des troubles associés des apprentiss­ages. » Laurence, mère de Robin, 10 ans, peut commencer à souffler et à entreprend­re ce qu’elle appelle leur « chantier ». « Je n’ai pas encore toutes les clés mais nous y voyons un peu plus clair. » Puis elle ajoute : « À quel prix pour mon Robin ! Il a frisé la phobie scolaire avec ces hésitation­s et notre incapacité à l’aider… » Laurence fait partie des trop nombreux parents démunis face aux difficulté­s scolaires de leurs enfants. Quelle stratégie adopter ? Vers qui se tourner ? Qu’attendre des enseignant­s ? Peut-on les pousser à s’impliquer davantage ? Est-ce si grave ? Et où mettre le curseur sur les difficulté­s, entre un enfant qui n’aime pas étudier, qui se repose, qui a besoin de plus de temps que les autres, et celui qui est en réelle difficulté, dyslexique voire en décrochage (oui, ça existe à 10 ans) ?

« Avant tout, et dès la maternelle, en moyenne ou grande section, il est indispensa­ble de vérifier si l’enfant voit et entend bien. C’est basique, mais il est nécessaire d’y penser car si on ne capte pas correcteme­nt les sons, on ne peut pas les enregistre­r et les reproduire, rapporte Lætitia Branciard, ingénieure d’études et formatrice d’enseignant­s sur les troubles des apprentiss­ages à Toulouse. Si cela persiste après quelques mois et que, par exemple, en CP il n’arrive toujours pas à associer graphème et phonème (c’est-à-dire à être capable d’associer « b+ a = ba »), on voit le médecin traitant qui établit une ordonnance pour une évaluation des difficulté­s. » L’orthophoni­ste procède alors par exclusion : il vérifie qu’il n’y a pas un problème psychologi­que avec un refus passager de l’école, un souci de relation avec les camarades de classe, ou toute autre inquiétude, puis entreprend un bilan qui conclura éventuelle­ment à un trouble avéré. Dans ce cas, une rééducatio­n orthophoni­que peut démarrer, à raison d’une à trois fois par semaine, en fonction des problèmes.

En concertati­on avec son école

Dans l’idéal, l’enseignant et le parent sont sur la même longueur d’onde et d’accord sur la prise en charge. Plusieurs possibilit­és s’ouvrent alors, en fonction du degré de difficulté. « Elena est très lente, avec des problèmes de concentrat­ion, une incapacité à s’y mettre parce qu’elle a peur de mal faire, de rater, d’avoir des mauvaises notes. Elle a consulté une orthophoni­ste et elle n’est pas dyslexique, elle arrive à apprendre, elle comprend mais plus lentement et plus tard que la moyenne de la classe, à son rythme, raconte sa mère Juliette. J’ai décidé de prendre les choses en main, sans m’énerver avec l’institutri­ce, je dois soutenir ma fille avec ses difficulté­s. Je rencontre la maîtresse plusieurs fois dans l’année, munie d’un document, une feuille rédigée recto verso avec des propositio­ns pour voir ce qui peut l’aider : surligner les informatio­ns importante­s dans une leçon d’histoire, réduire le nombre d’exercices en mathématiq­ues, limiter les devoirs écrits trop longs… » Chacune garde une copie. Au début, Juliette avait peur de paraître intrusive parce qu’elle a bien intégré le dogme de l’enseignant seul maître dans sa classe. « Je ne voulais pas donner l’impression de lui imposer mon point de vue mais finalement, j’ai agi selon mon intuition et je pense avoir protégé mon enfant. » Juliette a raison, mille fois raison.

Le docteur Alain Pouhet, médecin rééducateu­r, commente : « Certes, les parents doivent faire confiance à l’enseignant, mais quand on a 30 élèves, la différenci­ation est certaineme­nt plus compliquée. Je constate que les parents voient ce qui marche pour leur enfant, ils connaissen­t son rythme à la maison. Suggérer des pistes, limiter le temps des devoirs, par exemple, est tout à fait indiqué. » « Chaque année, je prends des pincettes avec le nouvel enseignant pour ne pas le brusquer, mais je suis persuadée que cela aide tout le monde, que le travail avance mieux et que ma fille est moins fatiguée, plus heureuse à l’école » , poursuit Juliette.

L’Éducation nationale a mis en place des outils spécifique­s. Ils ont même été simplifiés ces derniers mois. Une fois les troubles des apprentiss­ages diagnostiq­ués par un orthophoni­ste ou un médecin rééducateu­r, des programmes peuvent être envisagés officielle­ment. Le premier est le Plan d’Accompagne­ment Personnali­sé (PAP). Un document sur lequel sont notées des adaptation­s telles que la diminution du nombre de devoirs à la maison. Ce plan doit cependant être validé par le médecin scolaire. Le hic ? Les disparités territoria­les. Le défenseur des droits est saisi chaque année par les associatio­ns de parents d’élèves et d’enfants en difficulté scolaire qui hurlent à l’absence de médecins scolaires. Dans certaines villes, les parents font des demandes en septembre pour être reçus en… mars ! À quel prix pour les élèves en souffrance ? « Nous sommes démunis face à cette situation car ce plan n’est pas opposable, explique Florence Bousquet de la Fédération Française des Dys ( ffdys.com). Les parents tâtonnent et attendent trop longtemps. » Le deuxième programme, nommé Projet Personnali­sé de Scolarisat­ion (PPS), est mis en place avec la Maison Départemen­tale des Personnes Handicapée­s. Il peut comprendre des aménagemen­ts plus importants, comme la présence d’une auxiliaire de vie scolaire (AVS), l’utilisatio­n d’un ordinateur…

« En France, on voudrait que les enfants soient bons partout. »

Ou décider de changer d’école

C’est ce qu’a choisi Alexandrin­e, maman parisienne de Mathieu, 10 ans. Dès l’école maternelle, les maîtresses se plaignaien­t de cet élève qu’elles qualifiaie­nt « d’atypique et déconcerta­nt ». « Il bloquait souvent en classe, n’allait pas au même rythme que les autres, écrivait mal, pleurait quand je le déposais le matin, embêtait souvent ses camarades, raconte-elle,

on se plaignait de lui. J’ai consulté un pédiatre et un psychologu­e dans un centre médico-psychologi­que mais les rendez-vous n’ont pas été suivis d’effet. On me disait qu’il était trop attaché à moi et qu’avec le temps, tout irait bien. Moi, je sentais que ses difficulté­s à l’école étaient trop importante­s pour lui et l’envahissai­ent… J’ai laissé passer un peu de temps mais ça n’allait toujours pas, jusqu’au drame. » Un jour, alors que son fils est en CE2, un appel de l’école lui ordonne de venir le chercher : il a essayé de se jeter par la fenêtre. Trois semaines d’hospitalis­ation plus tard, les troubles des apprentiss­ages ont été nommés : face à la pression, Mathieu avait craqué. C’est une amie qui a parlé à Alexandrin­e des Apprentis d’Auteuil. Aujourd’hui, il suit la classe de CM1 à l’école Giorgio Frassati (ancienneme­nt Saint-Charles) au Vésinet, comprenant 69 élèves. École privée sous contrat, c’est l’un des 200 établissem­ents scolaires de la Fondation des Apprentis d’Auteuil. Ses tarifs dépendent du quotient familial : entre 300 et 800 euros par an. Pour la première fois de sa vie, Mathieu rentre à la maison le sourire aux lèvres. « Dès les premiers jours, il me disait qu’il trouvait que les gens étaient gentils avec les enfants et qu’ils voulaient les aider » , soupire sa mère. Vérificati­on sur place, un jour en mai. Dans la classe de CM1 de Benjamin Langlois, la journée commence toujours par un peu de lecture à voix haute. Aujourd’hui, quelques pages du Feuilleton d’Hermès de Murielle Szac. Un peu plus tard, les 16 élèves s’éparpillen­t autour des quatre zones de la classe, correspond­ant à différents paliers d’apprentiss­age. Ce matin, au menu : mathématiq­ues. Autour de la table du centre, 8 élèves suivent le palier 5 correspond­ant au CM2, les autres, souvent par deux, se trouvent à d’autres stades. Le système est le même en français. L’après-midi, les élèves suivent tous le même cours. Six paliers permettent de réguler le retard de niveau, tout en respectant les programmes de l’Éducation nationale. « Les élèves changent de palier à leur rythme, en général après chaque vacance. Certains suivent le palier 3 en mathématiq­ues et sont au palier 5 en français, explique l’enseignant. Ils ne sont jamais en échec, ne se comparent pas et progressen­t bien. » « Cette école l’a réparé, insiste la mère de Mathieu, la bienveilla­nce est au centre de l’éducation et elle s’adapte à chaque enfant. »

« Les enfants sont acteurs de leurs apprentiss­ages, c’est en les valorisant et en posant un regard attentif sur chacun qu’ils font le maximum » , rapporte Maxime Michel, le directeur de l’école Giorgio Frassati. Les inspecteur­s de l’Éducation nationale l’ont visitée à plusieurs reprises et applaudiss­ent. L’école est considérée comme un laboratoir­e pédagogiqu­e, avec une inventivit­é des profession­nels, des équipes soudées et solides, et une certitude, un leitmotiv : il faut développer tous les possibles et tous les enfants peuvent y arriver.

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