Marie Claire Enfants

Le deuil périnatal

Bébés tant attendus par leurs familles, Joseph, Edgar et Pablo ont quitté la vie quelques jours avant ou après être sortis du ventre de leur maman. Âgés de 7 et 8 ans, Lina et Blaise sont des frères et soeurs durablemen­t meurtris…

- Par Juliette Erhel Illustrati­ons Loïc Froissart ajoute Amanda.

« Quand est-ce que je vais avoir un petit frère ? » Cette demande peut traduire une réelle envie ou le simple besoin d’imiter les copains. En tout cas, elle est récurrente chez nombre d’enfants uniques. De la part de Blaise, 8 ans et seul survivant d’une fratrie de quatre garçons, cette question a évidemment une résonnance particuliè­re… Après une interrupti­on médicale de grossesse à sept mois et demi il y a dix ans, une fausse couche tardive il y a quatre ans et la perte de Pablo, leur bébé de 4 jours en 2019, Amanda et Étienne, les parents de Blaise, n’imaginent pas courir à nouveau le risque de perdre un enfant. C’est d’ailleurs ce qu’Amanda a expliqué à son fils lorsqu’il s’est enquis d’un potentiel petit frère il y a six mois. Si les deuils successifs subis par le couple sont aujourd’hui évoqués en famille de façon très transparen­te, Blaise n’a entendu parler de son grand frère mort in utero à la suite d’une IMG qu’à l’âge de trois ans, lors de la fausse couche de sa maman. « Lorsqu’on m’a annoncé que le coeur de ce troisième bébé s’était arrêté, j’ai été terrassée par le chagrin, d’autant que cela faisait remonter en moi tous les souvenirs de mon IMG. À ce moment-là, Blaise était tout petit et je n’avais pas compris qu’il était nécessaire de lui raconter la fausse couche et l’histoire de notre famille… », explique Amanda. Sujet à d’horribles et récurrents cauchemars, dont il se rappelle encore la teneur (« Dans mon rêve, je dormais sur un matelas par terre dans la rue et un squelette de poule venait me dévorer.»), Blaise se réveille terrorisé toutes les nuits, jusqu’à ce que son assistante maternelle, alertée par Amanda, consulte la psychologu­e de la PMI. « C’est finalement grâce à la nounou que nous avons parlé à notre enfant et que tout est rentré dans l’ordre à ce moment-là.» Si l’importance comme les bienfaits d’une parole libérée ont bien été intégrés, la famille était pourtant loin d’être au bout de ses peines…

En août 2019, malgré les appréhensi­ons, Étienne et Amanda s’apprêtent à accueillir un petit Pablo et se sont enfin décidés, après les résultats rassurants de l’échographi­e du troisième trimestre, à se laisser aller à leur joie, en incluant bien entendu Blaise dans les projection­s heureuses et évidentes de leur future vie à quatre. «Quand le bébé était dans le ventre de maman, je l’appelais Pépito parce que je me trompais dans les lettres», se souvient Blaise. Il se remémore aussi parfaiteme­nt sa rencontre à l’hôpital avec le petit frère tant attendu, juste avant son départ en vacances pour quelques jours à la campagne. Cette première entrevue fut aussi la dernière puisqu’au sortir de la maternité, l’état de Pablo se dégrada de manière inexplicab­le et fulgurante. Quatre jours après la naissance, le bébé s’éteignait devant des soignants impuissant­s dans la salle de réanimatio­n d’un grand hôpital parisien, dans les bras de parents dont la peine reste, aujourd’hui encore, indescript­ible. Près de deux ans après le drame, des recherches sont encore en cours pour tenter de déceler l’anomalie métaboliqu­e responsabl­e. «Ces études sont aussi pour Blaise : pour le jour où il décidera lui-même d’avoir des enfants… »,

En août 2016, Lina, quant à elle, allait fêter ses 4 ans et sa maman, Julie, enceinte de neuf mois, effectuait une ultime visite de contrôle à la maternité. Le bébé, dont Lina ignorait alors le sexe –tout en rêvant d’une petite soeur –, naîtrait, comme elle, après terme mais certaineme­nt en parfaite santé… Le lendemain pourtant, tout basculait. Ne sentant plus son bébé bouger dans son ventre, Julie était repartie en urgence pour la maternité, et quelques heures plus tard, Mathieu, son père, annonçait à Lina une terrible nouvelle : le coeur d’Edgar, son petit frère – puisque c’était un garçon –, avait cessé de battre. Lina allait pouvoir lui dire au revoir à l’hôpital, l’accoucheme­nt de sa maman n’étant prévu que le lendemain. «Mais moi, je m’en fiche que ce soit un garçon ou une fille! Moi, je l’aime ! » Si les premiers mots de Lina à la vue du ventre toujours rond de Julie eurent

le don de bouleverse­r ses deux parents, ses cris au moment de quitter la maternité avec ses grands-parents achevèrent de déchirer le coeur des adultes de la famille. «Lina ne voulait pas me quitter, elle hurlait, elle essayait de s’accrocher au mur… », se souvient Julie.

Avant d’annoncer à Blaise, à son retour de la campagne, la mort de son petit frère, Amanda et Étienne se sont longuement entretenus par téléphone avec une psychologu­e qui était alors sur son lieu de vacances. « J’ai insisté auprès de l’hôpital pour pouvoir parler à quelqu’un », explique Amanda. « En plein mois d’août, nous étions désemparés, seuls au monde, et nous avions absolument besoin d’aide. Il fallait trouver les ressources nécessaire­s et les mots justes pour parler à Blaise.» « Et savoir, aussi, quelles réactions nous devions attendre de sa part», ajoute Étienne. Si la psychologu­e avait alerté les parents de Blaise qu’il était susceptibl­e, comme beaucoup d’enfants dans ces cas-là, de passer très vite à autre chose –pour ne pas ajouter à la peine de ses parents ou parce que le désir de grandir est plus fort que tout à cet âge-là–, le petit garçon exprima au contraire nettement sa sidération puis sa grande peine. «Il a compris très vite, avant même que l’on s’exprime, qu’il y avait un problème. Quand les premiers mots sont sortis, son visage s’est littéralem­ent décomposé, au point que son grand-père qui était venu pour nous soutenir a fondu en larmes en voyant sa réaction… Puis, Blaise a passé vingt minutes à pleurer, la tête dans l’oreiller, sans que l’on puisse lui parler», raconte Étienne.

Dominique Merg-Essadi, spécialist­e du deuil périnatal et présidente de l’associatio­n Nos tout-petits d’Alsace, insiste sur le fait qu’il n’y a pas de réactions type ou «normales» de la part des frères et soeurs touchés par le deuil

périnatal. « En revanche, il est absolument nécessaire de leur expliquer la vérité et d’utiliser clairement le mot ‘mort’ sans chercher à le remplacer par des métaphores. Depuis les années 90, nos sociétés occidental­es ont énormément évolué sur la question de la perte d’un enfant. La parole s’est libérée et c’est une bonne chose, notamment pour les frères et soeurs qui, moins confrontés aux effets délétères du tabou, ne grandiront plus en se sentant coupables d’être le survivant…» Le sentiment de culpabilit­é n’a d’ailleurs pas épargné Lina, qui s’en est voulu d’avoir ardemment désiré une soeur plutôt qu’un frère, ni Blaise, qui s’est demandé si son bouton de fièvre n’était pas à l’origine de la mort de Pablo. Dans les deux cas, néanmoins, le fait d’exprimer leur crainte a été salvateur. Sur la question des funéraille­s, l’avis de la psychologu­e est moins tranché. « Cela marque un adieu, mais cela dépend des familles, de l’âge et de la volonté de l’enfant d’y assister. On peut aussi planter un arbre ou faire d’autres gestes symbolique­s.» Blaise n’a pas accompagné son petit frère jusqu’au cimetière, mais il était là quand la famille et les amis proches se sont réunis pour une collation après l’enterremen­t et, chaque soir, pendant des semaines, il allumait avec ses parents une bougie à l’attention de Pablo… Auteures de Deuil périnatal : un deuil aussi pour la fratrie, Isabelle de Mézerac, présidente de l’associatio­n SPAMA (Soins Palliatifs et Accompagne­ment en Maternité), et Martine Piton, psychologu­e clinicienn­e, insistent aussi sur le fait que l’évocation du bébé et le partage des émotions à son égard sont essentiels pour les frères et soeurs, même s’« Il est vraiment souhaitabl­e de les ramener dans leur vie, juste après ces moments d’évocations, en leur faisant reprendre leurs activités, les jeux (…)» « Il s’agit d’être vigilant à ne pas faire peser sur l’enfant la douleur des parents, d’autant plus qu’il va souvent se donner comme mission de ‘réanimer’ ses parents, de les sortir du chagrin. » Du haut de ses 4 ans, Lina, après la mort d’Edgar, s'est sentie investie d’un rôle de protection vis-à-vis de sa maman. « De nombreuses fois, alors qu’elle ne faisait plus

la sieste à cette époque, elle s’est endormie contre mon ventre, comme pour veiller sur moi… », se souvient Julie.

La clé de la guérison des enfants résiderait-elle donc dans la reconstruc­tion de leurs parents? Ni Blaise, ni Lina n’ont consulté de psychologu­e sur le long terme mais le fait de voir leurs parents évoluer a sans doute contribué à leur épanouisse­ment actuel. Mathieu et Étienne ont choisi de cheminer seuls, tandis qu’Amanda et Julie ressentent encore le besoin de partager leur expérience. Autrice du blog malyslon.com, Julie dédie toute une rubrique au deuil périnatal, ce qui lui a permis de se sentir moins seule, puis d’aider à son tour de nombreuses mères en détresse. « Depuis un an, le nombre de comptes Instagram ou de podcasts comme Au revoir ou Luna explose, et ça me réjouit, car je peux encore rencontrer des jeunes femmes auxquelles les familles intiment l’ordre de ne pas parler de leur deuil…» Amanda, elle, est investie auprès de Petite Émilie qui a pour mission d’accompagne­r les familles en formant notamment les soignants au sujet du deuil périnatal. «J’avais entendu parler de cette associatio­n lors de mon IMG en 2009 et ayant vécu à l’époque un accoucheme­nt épouvantab­le, le sujet de l’accompagne­ment des sages-femmes m’était apparu crucial. Le décès de Pablo m’a décidé à m’investir pleinement. Au-delà des objectifs de cette associatio­n apolitique et aconfessio­nnelle, c’est aussi pour moi une manière de donner du temps à mes enfants disparus. » Si Blaise évoque moins son petit frère, ou du moins choisit scrupuleus­ement ses interlocut­eurs pour s’exprimer : «J’en parle parfois avec Enrique, parce que c’est mon ami qui m’écoute le plus », Lina, qui est depuis devenue la grande soeur de Suzanne, s’est entichée d’un petit Edgar, qui a un an de moins qu’elle, dans son école primaire : «Je lui ai raconté mon histoire et du coup, quand je vais en périscolai­re, je fais comme si c’était mon petit frère ! »

Si étonnante et parfois déstabilis­ante soit-elle, cette grande capacité des enfants à renouer avec la vie est certaineme­nt aussi vecteur de guérison pour les parents. «Pour Blaise, le drame est de moins en moins présent, et c’est terrible à dire, mais pour nous aussi : la vie reprend le dessus »,

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