Ça ira… OPTIMISME VS VIRUS, QUI GAGNERA?
Le monstre sous le lit a désormais un nom, un nom plus compliqué que celui d’un Pokémon : Coronavirus. La mauvaise nouvelle, c’est que les parents paraissent aussi, voire davantage, terrorisés que leurs enfants par ce croque-mitaine sanitaire… Comment les rassurer, sans leur mentir, tout en les responsabilisant ? La vie de parent est une vie d’équilibriste…
Des adultes tellement inquiets
Comme on aimerait mettre la poussière sous le tapis, rester dans le vague, faire comme si de rien n’était… On a pu être tenté de réagir ainsi, d’ailleurs, durant le premier confinement. Stéphanie se rappelle : « Nous nous sommes repliés sur nous-mêmes au printemps dernier, profitant de ce temps finalement privilégié que nous passions avec nos enfants. C’était presque un jeu de rôle : jouer à la maîtresse, jouer à faire du pain, jouer à la famille sportive… Un jeu des 7 familles à nous seuls! La nature s’éveillait et, vivant à la campagne, nous avons pu en profiter comme jamais! Cela ressemblait à une parenthèse, une ‘aventure’ en quelque sorte, la famille Robinson version coronavirus. Mais ça, c’était avant… » Presque un an plus tard, nous avons bien plus de mal à positiver et à recouvrir d’un voile d’optimisme la situation sanitaire, économique, psychologique… La famille
Robinson a pris du plomb dans l’aile. Ludivine, assistante maternelle, s’inquiète pour les bébés qui sont nés cette année : « Depuis leur naissance, à part leurs parents, ils n’auront connu que des visages masqués. Lire les expressions du visage est pourtant indispensable à leur développement ! » Une psychologue, à qui elle confiait ses craintes, lui a suggéré de surjouer les expressions, à travers le regard, les gestes; chose que, finalement, elle faisait déjà, comme beaucoup d’autres, instinctivement. Julie s’interroge, quant à elle, sur la vie sociale et amoureuse de ses deux adolescents : « C’est une génération qui, selon moi, vivait déjà beaucoup (trop) dans le virtuel, la situation ne va rien arranger. Comment se faire des ami·e·s, quand la majeure partie des cours se font ‘en distanciel’? Comment s’embrasse-t-on, quand il n’y a plus de soirées, plus de rencontres? Faudra-t-il un test PCR pour oser baisser le masque ? Dire que nos propres parents ont pu s’aimer sans sida, sans virus… »
Dans le recueil d’histoires pour enfants Coronavirus,
1 quel minus auquel elle a participé, la psychologue Jeanne Siaud-Facchin s’inquiète aussi, autant pour les petits que pour les plus grands. Elle pense notamment à ces « lycéens de terminales qui ont été privés de leur baccalauréat, de ce dernier rite de passage, cet élément fondateur pour leur construction identitaire ». Les lycéens sont, cette année, devenus des étudiants privés de vie sociale, pour la plupart…
Dire sa peur, sans apeurer
Quel que soit l’âge de nos enfants, comment les convaincre que, malgré tout, « la vie est belle»? Surtout pas en niant la réalité. Stéphanie, qui a été tentée de rester dans ce doux faux-semblant où sa famille s’était installée, a complètement changé de cap. «Aujourd’hui, explique-t-elle, je reconnais que
la situation est difficile, pour nous et pour eux. De toute façon, ils ont des oreilles partout, ils entendent donc forcément les adultes parler de leurs inquiétudes au téléphone ou dans la pièce voisine. Même en faisant très attention, ils ressentent nos humeurs, nos angoisses, et ne pas en parler ouvertement ne peut que les alarmer.» Jeanne Siaud-Facchin le confirme : «Certains enfants souhaitent protéger leurs parents à tout prix, quand ils les sentent inquiets. Ils sont capables de mettre leurs angoisses dans leur poche et un mouchoir par-dessus.» Pour autant, ne les considérons pas comme un réceptacle à nos angoisses. Dire sa peur, sans apeurer, c’est un équilibre qu’essayent de trouver Maxime et Virginie, parents de trois garçons de moins de 6 ans. « Les enfants ont peur quand ils voient leurs parents perdre pied. Ils ont besoin de voir de l’espoir. Nous sommes leur miroir, donc leur espoir. Nous essayons de rester positifs, de reconnaître que comparativement à certains, nous avons de la chance. Pour autant, on reconnaît que c’est dur, pas rigolo et que, comme nous, ils ont le droit de râler de temps en temps, de se plaindre. » Sandrine approuve : «J’incite mes enfants à ne pas perdre confiance. Ils ont la vie devant eux et savent que c’est une période particulière qui ne durera pas. Ils trouvent ça pénible mais ils préparent leur avenir tout à fait normalement.» Vanessa, orthophoniste, voit près de 70 enfants par semaine, de 2 à 17 ans. Elle porte le même discours : « Je leur dis que ça ne durera pas toujours, qu’on en a tous marre, même les grands, mais qu’un jour, tout redeviendra comme avant. Je trouve que les enfants sont plus résilients et qu’ils ont de bien meilleures capacités d’adaptation que nous, adultes…» Ce n’est pas la maman de Terrence qui dira le contraire, quand son petit garçon de 3 ans lui crie, alors qu’elle sort de sa voiture : « Maman, tu as oublié ton masque ! »
Parler et faire parler
Mais comment trouver les mots ? Dans Coronavirus, quel minus !, Sophie Carquain a inventé 10 histoires pour les enfants de 5 à 10 ans. Une petite sorcière qui a peur de quitter la maison, un chaton obsédé par la peur des microbes, un soleil qui réclame sa vie d’avant… Autant de situations à lire avec eux et à commenter. Avec la psychologue Jeanne Siaud-Facchin, elle donne en outre quelques pistes aux parents pour amorcer le dialogue et apporter des réponses. « Parler aux enfants, évoquer la réalité, aussi dure soit-elle, avec poésie et fantaisie», voilà le credo de Sophie Carquain. Vous souhaitez qu’ils s’ouvrent et se libèrent? «Au lieu de les harceler sur ce qu’ils ressentent, racontons-leur une histoire qui leur parle», explique l’auteure. Certains enfants ont parfois besoin de détails plus «techniques», moins imagés. Pour ces derniers, les éditions Quatre Fleuves proposent Même pas peur! 2, un livre écrit par Ilaria Capua, une auteure italienne ici traduite en français. À grand renfort de tirettes, coulisses et rabats, l’ouvrage répond scientifiquement et avec pédagogie aux questions que se pose la petite héroïne sur ce satané virus… Plus elle apprend, plus elle comprend, moins elle a peur! C’est avec des termes assez précis que les parents de Martin, 3 ans, lui ont expliqué le problème. Le petit garçon parle désormais avec grand sérieux du «‘conavirus’, un microbe minuscule qu’il faut regarder avec un microscope et qui empêche de faire des bisous aux grands-pères et grands-mères », ajoutant cette phrase qui n’appelle pas de discussion (en tout cas à cet
âge) : «C’est le président qui l’a dit!» Les parents d’Alice, 7 ans, sont aussi partisans de l’explication scientifique. «J’ai eu un grave accident, explique Philippe, son papa. Alors que j’étais paralysé dans mon lit d’hôpital, Alice voulait absolument savoir ce dont je souffrais, précisément. Après un tas de périphrases et face à son insistance, le médecin a fini par lâcher : ‘C’est une tétraparésie.’ ‘Eh ben, voilà!’, a répondu Alice, complètement rassurée. Les enfants ont besoin de connaître le nom de l’ennemi et son fonctionnement. Voilà pourquoi, depuis, on n’élude aucune de ses questions. On a même cherché avec elle comment fonctionnaient les vaccins à ARN.» Julie rappelle régulièrement à ses ados qu’ils vivent un moment historique, dont on parlera dans les livres. Jeanne Siaud-Facchin écrit : «Aidons-les à inventer cette génération Covid-19. Il faut laisser des traces. Se souvenir. Les hommes préhistoriques ont laissé des traces sur les parois des cavernes. Eux aussi, en 2020, doivent pouvoir témoigner pour leur descendance. On aura besoin d’eux, plus tard, pour témoigner de cette période incroyable et inédite. » Milan, 18 ans, s’imagine en riant déclarer aux générations futures : « Ah, on voit que vous n’avez pas connu le Covid-19, vous!» Dans l’album
Même pas peur !, la maman de la petite héroïne, Zoé, lui montre une photo de son papi qui avait attrapé la grippe asiatique en 1957 et qui en a guéri.
Jouer, dessiner, chanter
Autre solution pour dédramatiser : le dessin et le jeu, encore une fois, quel que soit l’âge. Evy, professeure de dessin, invite ses élèves à personnaliser des masques chirurgicaux pour dédramatiser l’objet, « comme dans Harry Potter, quand les petits sorciers transforment leur peur pour la rendre ridicule.» Le masque, cet objet hautement symbolique, Babeth invite ses filles à se l’approprier également : «On s’est mises à la couture, on fait nos masques avec les tissus les plus rigolos possibles. » Mélanie raconte le désarroi de son fils Marin lorsqu’il a appris qu’à la rentrée des vacances d’automne, le masque serait obligatoire à l’école pour lui aussi : «Le premier jour a été compliqué, il ne voulait plus retourner à l’école avec ce masque ‘trop nul’. Je lui ai expliqué que malheureusement, ce n’était pas une question de choix. Mais on a cherché ensemble des modèles cool et confortables, et il ne m’en a plus parlé.» La psychologue Jeanne Siaud-Facchin salue l’initiative d’une de ses connaissances qui élabore un concours du Covid-19 le plus moche en pâte à modeler. «On peut aussi imaginer de petites saynètes pour les plus grands (un dialogue entre le virus et le vaccin, par exemple). » Mélanie témoigne d’une initiative familiale spontanée : «Marin et son grand frère ont inventé une chanson très drôle, sous forme de rap, avec quelques gros mots parce que c’est plus rigolo, qui désacralise complètement le virus, et qu’ils chantent à tue-tête. Moi qui suis infirmière, j’avoue que j’ai parfois très envie de la chanter à mes patients… »
Lire, parler, créer, bref cultiver toutes ces petites choses (bien plus essentielles qu’il n’y paraît), voilà peut-être le secret, qui vaccinera nos enfants contre le pessimisme ambiant, sinon contre les virus.