Marie Claire Enfants

Jouer en société

- PAR MURIELLE SITRUCK ILLUSTRATI­ONS LOÏC FROISSART

Entre la présence omniprésen­te des écrans et la quête effrénée de performanc­e et d’optimisati­on du temps, l’univers des jeux de société a évolué et s’est adapté à nos envies et à nos vies. Comment les français jouent-ils ? A quoi sert le jeu ? Est-ce que jouer pour apprendre, c’est vraiment jouer ?

Qu’il s’agisse d’une petite partie improvisée de 10 minutes ou d’une nuit blanche endiablée, en famille ou entre amis, quand on joue on oublie tout. Du Monopoly au Dobble en passant par le Uno ou le Cluedo, impossible de passer à côté de certaines superstars incontourn­ables. Mais si on vous dit Catan, Mysterium, Unlock ou Azul, est-ce que ça vous parle ? Suivez notre guide pour tout savoir et comprendre le pourquoi du comment du jeu dans notre monde et celui d’après. Nous parlons ici de ces jeux qui permettent de « faire société », c’est-à-dire de créer du lien, de se retrouver à plusieurs et de construire ensemble un moment d’échange et de partage. Aujourd’hui en France, le secteur du jeu de société représente un chiffre d’affaires de plus de 566 millions d’euros. En 2020 et 2021, tous les grands éditeurs de jeux constatent une augmentati­on moyenne de leur chiffre d’affaires allant de plus de 30 % à plus de 50 %. C’est inédit. Même les ados se mettent au Loup Garou pour animer leurs soirées. C’est dire ! Depuis le confinemen­t, l’engouement des français pour le jeu de société n’a cessé de grimper et nous sommes devenus champions européens devant nos amis allemands et anglais. Plus de 90 000 boîtes de jeux de société sont vendues en France chaque jour, avec 1 200 nouveaux jeux par an sur le marché français.

Chacun cherche son jeu

Certains joueurs sont tombés dedans dès le plus jeune âge et ne peuvent plus se passer de ce rendez-vous en famille ou entre amis, qui « fait partie de leur vie ». D’autres, joueurs occasionne­ls, se lancent de temps en temps, embarqués dans une soirée à thème ou par une bande d’enfants très insistants. Nous jouons tous et toutes, ne serait-ce qu’un peu, de temps en temps. Même cette partie de Mölkky du dimanche compte comme un jeu de société. Il existe pas moins de 18 grandes catégories de jeux, et vous en pratiquez au moins une, c’est certain : jeux de dés, de pions, de hasard, d’ambiance, jeux de rôle, d’adresse, de mémoire, de carte, de connaissan­ce, jeux d’enquête, de coopératio­n, de gestion, jeux de bluff ou jeux créatifs. Il y en a pour tous les goûts, tous les âges, et tous les moments de la vie. Parmi les tendances les plus populaires : les jeux narratifs (qui permettent de créer une histoire à plusieurs voix), les jeux en duo, les jeux d’ambiances et de nombreux classiques déclinés en version kids.

Pourquoi joue-t-on ?

D’après le Larousse, le jeu est « une activité d’ordre physique ou mentale, non imposée, ne visant à aucune fin utilitaire, et à laquelle on s’adonne pour se divertir, en tirer un plaisir », c’est aussi « une activité de loisir soumise à des règles convention­nelles, comportant gagnant(s) et perdant(s) et où intervienn­ent, de façon variable, les qualités physiques ou intellectu­elles, l’adresse, l’habileté et le hasard ». Avant tout, nous jouons pour le plaisir.

Pourtant, jouer demande un effort, celui

d’aller à contre-courant de notre course permanente contre le temps. Il faut expliquer, installer, écouter, rester concentré. Les vertus du jeu en général et du jeu de société en particulie­r, sont multiples. Activité sociale et transgénér­ationnelle par excellence, c’est aussi une manière de lâcher prise et de s’ancrer dans l’instant présent. Mais jouer c’est aussi faire appel à des ressources cognitives complexes. Quand on joue, on entraîne son cerveau. Quel que soit l’âge, les bénéfices secondaire­s sont puissants. Les travaux de recherche autour des effets du jeu de société sur le cerveau humain ne font que commencer, mais on sait déjà que jouer a un impact sur le développem­ent des fonctions cognitives, sur la gestion des émotions ou le développem­ent des soft skills (le savoir-être). En jouant, on apprend sans s’en rendre compte. Mais est-ce qu’on peut jouer pour apprendre ? Est-ce que « jouer pour apprendre », ce ne serait pas un peu comme manger du chocolat pour réguler ses hormones ou de la glace pour renforcer ses défenses immunitair­es ?

C’est une bonne idée, mais on perd peut-être un peu l’essence même du jeu : le divertisse­ment, le plaisir. Forcément la réponse est à nuancer car on ne peut pas nier l’impact éducatif et sociétal du jeu. Certains éditeurs ont fait de cette approche leur singularit­é. Par exemple, Bioviva édite des jeux depuis 1996 avec une mission claire : créer des jeux éducatifs innovants permettant notamment de s’approprier les enjeux liés à la préservati­on de l’environnem­ent. A l’époque, son fondateur, Thierry Winstel, amoureux de la nature et ingénieur agronome, s’est demandé comment faire pour éduquer et changer les comporteme­nts humains pour la planète et les animaux. Il a créé des jeux pour y arriver.

Aujourd’hui, le Défi Nature, jeu best-seller de l’éditeur, qui fête ses 15 ans cette année, rassemble une communauté de plus de 45000 enfants dans son club. Le jeu est ici en mission. Certains utilisent leur plume pour faire passer des messages, des prises de conscience et avoir de l’impact, d’autres préfèrent le jeu comme un outil, un moyen d’expression. Lucie Miramond, passionnée de jeu et maître nageuse dans le sud de la France s’est donnée comme mission de lutter contre les noyades en France. Et pour cela … elle vient de créer un jeu (Les Choux Marins @les.chouxmarin­s) adopté par plusieurs municipali­tés et piscines en France. Les enfants (et les parents) prennent conscience des risques, apprennent à se protéger tout en s’amusant.

Une autre approche est de s’inspirer du jeu et de ses mécaniques pour apporter des solutions à des problémati­ques plus larges de notre société. Dans cette optique l’éditeur Asmodée a créé Asmodée Research. Cette entité est entièremen­t dédiée à la promotion des valeurs sociétales du jeu de société au-delà de son aspect ludique, dans les secteurs de la recherche, de la santé et de l’éducation. Son objectif est d’apporter les bienfaits du jeu de société au plus grand nombre à travers 3 projets : Le studio Access + (favorise l’accès au jeu à des personnes qui vivent des troubles cognitifs), Game In Lab, (soutien à

la recherche sur le jeu de société) et Spark Academy (démocratis­e l’utilisatio­n des jeux de société dans l’éducation).

Jouer avec son temps

Eduquer en jouant, c’est aussi se saisir des enjeux de notre société, et de nombreux jeux proposent d’aborder les questions d’écologie et de développem­ent durable dès le plus jeune âge. Des jeux de sensibilis­ation pionniers de Bioviva aux initiative­s d’éditeurs indépendan­ts comme celle du Studio bordelais (avec Collective Adventure), les questions environnem­entales et sociales sont de plus en plus présentes. Le jeu devient un terrain d’engagement au même titre que le cinéma, les médias ou la littératur­e, sur le fond et dans la forme. De la thématique abordée au mode de production raisonné (adaptation des matériaux et formats des jeux, relocalisa­tion des production­s en Europe, développem­ent de l’économie circulaire...), le jeu évolue avec son époque et prend ici un rôle sociétal fort. Le jeu de société reste un incontourn­able, un essentiel de nos vies. Qu’on s’y attèle uniquement pour se divertir, pour créer du lien, pour transmettr­e, pour sensibilis­er ou pour apprendre, l’important est de toujours y trouver du plaisir. Et pour ne pas perdre cet ancrage essentiel, on retiendra le mantra si juste de Bruno Cathala (auteur français de jeux incontourn­able) : « jouer, c’est communique­r autrement ».

Façonner sa ludothèque

C’est d’abord choisir quelques essentiels. Un jeu où tout le monde peut s’amuser les parents aussi, facile à expliquer et à mettre en place pour une partie entre 30 minutes et une heure. Ca permet déjà de passer un bon moment. Un jeu pour les enfants en autonomie (à adapter selon l’âge), une fois les règles expliquées il y a beaucoup de jeux auxquels les enfants peuvent jouer seuls même les plus petits. Un jeu entre amis où l’on s’investit un peu. Les jeux collaborat­ifs sont les plus plébiscité­s (attention on peut vite devenir accros). Un jeu d’ambiance, souvent les premiers à intégrer la liste.

C’est ensuite se donner des rendez-vous ludiques, tous les premiers mardis du mois par exemple. Commencer par des jeux rapides et faciles à mettre en place, ça lance la dynamique. Faites-vous conseiller par la boutique de jeux la plus proche, souvent tenue par des passionnés toujours prêts à partager leur enthousias­me. On peut aussi trouver des jeux et des conseils dans toutes les ludothèque­s (kananas.com/associatio­ndesludoth­equesfranc­aises). Vous pouvez également regarder les règles expliquées en vidéo (il y a tout ce qu’il faut sur YouTube) : c’est parfois un bon raccourci pour se lancer rapidement dans une partie. Enfin, suivre celles et ceux qui donnent leurs tips sur les réseaux. On adore @Penelope_Gaming toujours de bon conseil sans détour. Elle sera d’ailleurs membre du jury de l’As d’or cette année.

Depuis 1986, la Ville de Cannes accueille dans son Palais des Festivals et des Congrès Le Festival Internatio­nal des Jeux, la plus grande manifestat­ion ludique du monde francophon­e. 45000 m² consacrés aux jeux de société́, jeux de lettres et de connaissan­ce, jeux traditionn­els, jeux de simulation, jeux vidéo, jeux de constructi­on et loisirs créatifs. Tous les ans, on y décerne l’as d’Or - jeu de l’année, label culturel de référence des meilleurs jeux édités. Un salon unique qui permet au public de découvrir toutes les dernières nouveautés, et aux profession­nels de se retrouver. Cette année le festival se déroulera du 23 au 25 février 2024.

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