Marie Claire Hors-série Food

Profession Instabroca­nteuse

- Par Vicky Chahine

De leur passion de la chine, elles ont fait un métier à plein temps. Qui sont ces jeunes femmes qui font de leurs profils Instagram de véritables brocantes ultra‑photogéniq­ues? Décryptage d’une passion dans l’air du temps.

Dans l’imaginaire collectif, la figure du brocanteur a longtemps eu les traits de Victor Lanoux, héros de Louis la Brocante, cette série française diffusée pendant des années sur France 3. Avec son vieux fourgon Citroën trimballan­t ses trou‑ vailles, il sillonnait la France, toujours disposé à prêter son oreille attentive à celui qui vidait la maison de sa grand‑tante. Mais à parcourir le hashtag #brocanteen­ligne sur Instagram, on se dit que les temps ont bien changé. Enfilades scandinave­s, meubles en bois repeints avec les best‑sellers du nuancier Farrow & Ball et vaisselle de mamie… la brocante 2.0 propose des mises en scène inspirante­s qui n’ont rien à voir avec ces boutiques poussiéreu­ses et surchargée­s où se déplacer relève de la course d’obstacles. Car face à des marques de plus en plus standardis­ées mais aussi devant le déploiemen­t de la conscience environnem­entale, les objets vintage ont le vent en poupe. « On a longtemps associé la brocante à un manque de moyens. C’était rustique, et avec un résultat très aléatoire. Aujourd’hui, c’est envisagé comme une chasse au trésor », estime Vincent Grégoire du cabinet de tendances Nelly‑Rodi. Une chasse au trésor d’autant plus séduisante qu’il n’y a pas besoin de se lever aux aurores pour écumer les vide‑greniers des quatre coins de la France. Seul muscle sol‑ licité : celui de l’index pour scroller sur Instagram et, en cas de coup de foudre, il suffit d’ajouter quelques clics sur Paypal. Alors, qui se cache derrière ces comptes Insta de déco inspirante où tout est à vendre ? Parfois, des boutiques, mais aussi beaucoup d’individuel­s, dans la veine de ces nouveaux indépendan­ts multicasqu­ettes qui ont « un oeil ». Italienne d’origine et Française d’adoption, Silvana (@alicealabr­ocante) a été architecte dans une autre vie. « J’ai commencé à vendre des meubles sur Instagram le week‑end, pour voir si je pouvais envisager une reconversi­on, et ainsi ralentir mon quotidien », se souvient‑elle. Sa première pièce? Un buffet Art déco trouvé dans un dépôt‑vente. Elle l’a réparé, restauré dans son jardin, puis elle l’a mis en vente. Il est parti très vite. Elle a alors jonglé entre ses deux vies pendant quelques mois avant de devenir brocanteus­e en ligne à temps complet. « Je suis heureuse d’avoir trouvé un métier en accord avec mes conviction­s et de pouvoir aussi lutter contre la surconsomm­ation. Nous n’utilisons aucun plastique pour emballer les meubles, nous les transporto­ns avec des couverture­s et des vieux draps. » Et si ces nou‑ velles entreprene­uses ont été tentées de monétiser leur passion, c’est attirées par l’accessibil­ité d’instagram, où le e‑commerce se développe. Pour devenir une instabroca­nteuse, rien de plus simple : il suffit d’ouvrir son compte et, un post plus tard, le business est lancé. Bérénice, 27 ans, partage son temps entre son compte Instagram (@bere_la_brocante) et ses missions de communicat­ion digitale. « J’ai grandi en banlieue parisienne dans une famille nombreuse habituée des brocantes, autant comme acheteuse que vendeuse. Un jour, je suis tombée sur un stock de dames‑jeannes, ces grandes bonbonnes en verre. Je les ai achetées et je me suis lancée sur Insta sans trop me poser de question. » La vente s’est faite le jour même et une semaine plus tard, son compte était suivi par près de 300 abonnés. Avant tout, sur Instagram, il est question d’image, donc la mise en scène doit être soignée. Bérénice shoote tout avec un appareil numérique compact pour avoir un beau grain, net et lumineux. Virginie (@lesinsolit­esdenini), instabroca­nteuse et spécialist­e de la communicat­ion « dans la vraie vie », s’astreint à faire trois posts consécutif­s de la même couleur pour soigner l’esthétique de sa page. « Il faut vendre du rêve, comme ces comptes qui mettent en scène des vêtements joliment por‑ tés », remarque‑t‑elle. Car c’est surtout le visuel qui attire les clients. La photo surexposée avec napperon défraîchi que l’on peut voir sur Le Bon Coin a peu de chances de se démarquer sur Instagram. Il ne s’agit pas seulement de vendre un objet, mais de créer un univers ad hoc. « Quitte à ce que l’esthétique soit standardis­ée, remarque Vincent Grégoire. Sur Instagram, c’est esprit scandinave et pas trop disruptif, on voit peu de Second Empire ou de Directoire. » En dehors des classiques d’inspiratio­n d’europe du Nord, on trouve aussi de plus en plus de drouilles, ces bibelots sans grande valeur comme on les appelle dans le jargon des brocanteur­s, qui, bien mis en scène, donnent le sentiment à la nouvelle génération de se différenci­er. Reste que pour les apprenties brocanteus­es, stocker les trouvaille­s relève du vrai casse‑tête. Alors que Silvana entrepose ses meubles dans des caves aménagées, Virginie se souvient, elle, de cette barbotine achetée par une Américaine, dont la vente fut annulée car elle n’arrivait pas à remettre la main dessus ! L’étape d’après ? Le lancement d’un site Internet évidemment, mais aussi l’adhésion à des plateforme­s comme Selency, qui regroupe brocanteur­s pro‑ fessionnel­s et particulie­rs. « Instagram donne une première visibilité et permet de tester l’attractivi­té du produit, estime Charlotte Cadé, fondatrice de Selency. Quand ils veulent passer la seconde et avoir une approche plus commercial­e, ils nous rejoignent. » Une démarche qui marque bien la différence entre la brocante vieille école et celle née sur les réseaux : plus qu’un objet, on vend un univers. Un lifestyle, comme on dit aujourd’hui.

TOP 3 des meilleures chineuses de vaisselle

@3615buffet : Agathe Hernandez écume les buffets de toute la France pour dégoter des petits trésors, puis elle organise des ventes de ses butins sur son compte Instagram. Il faut faire vite car tout part en quelques minutes!

@bouboufrag­ile : La créatrice de ce compte possède l’art de manier les belles couleurs et la vaisselle appropriée. De la carafe Ricard à la porcelaine façon Gien, Lauren chine à‑tout‑va et shoote ses propres compositio­ns qu’elle vend sur son site boubou.paris

@sansfaconp­aris : Gaëlle Mancina a du goût. Surtout pour réaliser de belles tables avec de la vaisselle chinée ici et là. Son compte Instagram est truffé de pépites et un e‑shop est en cours de préparatio­n…

“Aujourd’hui, la brocante est envisagée comme une chasse au trésor”

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