Crislaine Medina,
FILLE NATURE
Le vin, vous êtes tombée dedans quand vous étiez petite?
Pas vraiment! En revanche, j’ai toujours eu bon appétit et, depuis l’enfance, la première chose que je fais en me réveillant est de penser à ce que je vais man‑ ger. Mais j’ai découvert le milieu du vin seulement en 2012 à mon arrivée en France chez Les Pipos, dans le Ve arrondissement de Paris, le bistrot à vins dans lequel je travaillais et qui disposait d’une carte de vins du Beaujolais assez exceptionnelle. Je suis née au Cap‑vert et j’ai grandi aux US donc je n’ai pas été familiarisée avec le milieu du vin français. En réalité, j’ai découvert le vin nature en même temps que le vin. Et les premières cuites !
À l’image des vins qu’elle plébiscite, son parcours n’est pas conventionnel. Sommelière de métier, c’est avec fraîcheur et sincérité que Crislaine Medina compte bien conquérir un milieu pas toujours ouvert d’esprit.
On a beau être en 2020, la question se pose toujours : vous êtes une jeune femme, immigrée, racisée de plus, comment avez‑vous été accueillie dans ce monde?
J’aborde le vin différemment pour plein de raisons, parmi lesquelles le fait d’être une femme. Beaucoup de choses conditionnent et développent mon approche du vin. Je ne vais pas mentir, il y a eu des moments vraiment très difficiles. Quand je travaillais au Rigmarole, on demandait souvent à parler au sommelier alors que j’étais seule en salle. Je sais que ma couleur de peau influence les gens, tout dépend de comment tu gères la situation ; j’ai choisi de ne pas exister par les autres. Je sais qu’être une femme dans ce milieu est mon point fort.
N’est‑ce pas un peu irritant d’entendre encore des expressions telles que « vins féminins » pour parler d’un jus léger ou floral, ou à l’inverse « vins masculins » pour parler d’un vin plus charpenté? Je n’utilise pas de termes genrés pour parler de vins, ça ne fait juste pas partie de mon vocabulaire. Évidemment, j’ai déjà entendu des sommeliers employer, dans la même phrase, les mots « fins, élé‑ gants et féminins ». Comme si un homme ne pouvait pas être fin et élégant! Et je crois que si un jour, j’en‑ tends quelqu’un me parler d’un vin masculin pour qualifier un vin charpenté, je vais vraiment lui rire au nez !
Vous avez accueilli un heureux événement il y a quelques mois, ce n’est pas trop difficile de concilier vie de sommelière dans un restaurant et celle de mère à plein temps?
Au Rigmarole, ça n’aurait pas été possible car j’y pas‑ sais beaucoup de temps. Je ne voulais pas sacrifier le temps passé avec mon enfant. C’est pourquoi j’ai rejoint l’équipe de ONA dirigée par mon ami Luca Pronzato, où je suis en charge de la relation client. L’objectif de ONA est de créer un réseau de talents différents et complémentaires. Il y règne beaucoup d’entraide. C’est important pour moi de travailler avec des gens qui comprennent mon mode de vie.
En ce moment, quels sont les vins qui vous attirent ? Y a‑t‑il des régions, pays ou cépages que vous souhaiteriez voir mis en avant?
J’ai toujours été attirée par le gamay. C’est avec ce cépage que j’ai compris le vin nature, mais je ne peux pas dire que je l’aime plus qu’un pinot noir ou qu’un cabernet franc. Je suis toujours excitée à l’idée de me laisser guider par le sommelier au restaurant, qui m’ouvre la voie vers tellement de jus différents. Et je suis née sur une île qui possède des vignes héritées de l’époque coloniale. Le Cap‑vert est riche d’une terre fertile et d’un sol volcanique sur lequel pousse la vigne. Quand je goûte les vins de là‑bas, je vois le potentiel. J’aimerais faire accepter les vins de mon pays ou ceux de l’algérie qui sont vraiment très intéressants et produits de manière naturelle. Des terres à défricher, en quelque sorte.