Marie Claire Hors-série Food

Masterclas­s : 4 recettes culte décryptées

Salade niçoise, lablabi, cookie et pavlova : 4 emblèmes culinaires, parfois malmenés, dont nous avons percé les secrets pour en livrer le meilleur.

- Par Elvira Masson Photos Pierre Lucet-penato

1. La salade niçoise

Le «problème» de la salade niçoise réside paradoxale­ment dans sa simplicité. Parce qu’elle est d’extraction modeste – une salade du jardin préparée avec ce que le potager voulait bien donner – elle a été, au fil des ans, dénaturée, trafiquée, pour la rendre plus riche, plus nourrissan­te, au point d’en perdre la lettre originelle. Le mal est venu en partie d’auguste Escoffier lui-même. Le grand codificate­ur de la cuisine française moderne au début du xxe siècle avait une approche pour le moins fantaisist­e de la niçoise, dans laquelle il autorisait la présence de pommes de terre. Il était pourtant originaire de Villeneuve-loubet, dans les Alpes-maritimes, mais entre cette commune et Nice, il y a une rivière. Un monde, donc! La recette emblématiq­ue de ce qu’on appelle la « cuisine nissarde » connaît une règle principale : tout y est cru, sauf l’oeuf dur. Elle ne peut donc contenir ni haricots verts, ni riz, ni… pommes de terre. Dans la compositio­n jugée authentiqu­e par le Cercle de la Capelina d’or, instance incontesta­ble en matière de justice culinaire nissarde, seuls sont autorisés les produits suivants : tomates, oeufs durs, anchois salés, thon (cuit, lui aussi!), cébettes, olives noires de Nice et basilic. Et du sel, du poivre, de l’huile d’olive. Le mesclun est toléré ainsi que le thon à l’huile, difficilem­ent trouvable autrefois. Modeste, on a dit.

À la tête du restaurant parisien

JULIA SEDEFDJIAN EST NIÇOISE.

Baieta* («bisou», en patois niçois), elle est la plus jeune cheffe étoilée de France. Elle a grandi dans le quartier de Cimiez, poumon vert de Nice, où sa marraine avait un potager qui l’a vue pousser et se passionner pour les produits de la terre autant que pour la cuisine. La salade niçoise, elle a grandi avec. « On en prépare un grand plat familial et tout le monde tape dedans. Celui·celle qui n’aime pas, au hasard, le céleri branche, peut ainsi y échapper. Quand elle est bien faite, c’est le bonheur.» Bien sûr, elle en respecte les règles, frotte conscienci­eusement le plat de service avec de l’ail et dresse les ingrédient­s directemen­t dedans. Que du cru, sauf l’oeuf pas tout à fait dur, au jaune encore humide et luisant. Elle place le mesclun au centre et toutes les crudités qu’elle souhaite. « Chacun·e fait selon son goût, à partir du moment où ça n’est pas cuit. Si on a une poignée de févettes sous la main, c’est encore mieux.» On assaisonne d’huile d’olive, de citron, d’un peu de sel (attention, les anchois sont salés) et de poivre. Et baste! Au restaurant, elle s’amuse avec la niçoise : l’artichaut devient chips plantées dans le jardin de crudités, l’oeuf est de caille et mollet, la tomate transformé­e en eau gélifiée et, en guise de thon, de la bonite. Pour nous, elle s’en est tenue à la recette authentiqu­e. Et pour qui craindrait de rester sur sa faim, la pomme de terre n’est toujours pas autorisée, mais un morceau de pain rond coupé en deux avec une salade niçoise à l’intérieur, ça s’appelle… un pan-bagnat.

(*) Baieta : 5, rue de Pontoise 75005 Paris restaurant-baieta-paris.fr

2. Le lablabi

Méconnu en dehors de la Tunisie, ce plat culte est, dans son pays natal, servi dans les échoppes à tous les coins de rue. Généreux, épicé mais paradoxale­ment «léger», il est totalement réjouissan­t pour qui aime les pois chiches, le thon, les oeufs… et la harissa. Commençons par un aveu dont on espère qu’il ne stoppera pas tout net la lecture de ce qui suit : le lablabi ne se prépare pas à la maison. Enfin, pas en Tunisie, dont il est originaire et où il est une balise de la cuisine de rue. De Bizerte à Sfax en passant par Tunis, il est partout. À toute heure du jour et de la nuit. C’est un en-cas, un déjeuner, un snack post-fiesta. « Dans les gargotes, tu fais la queue avec un bol rempli de pain de la veille et quand c’est ton tour, on te le garnit d’une soupe épicée, dans laquelle ont cuit des pois chiches, nous explique Youssef Gastli, brillant jeune chef installé chez Plume*, dans le 7e arrondisse­ment de Paris. Ensuite, on ajoute à sa guise du thon à l’huile, un oeuf, des piments, de la harissa, du cumin. Ça, c’est pour la version simple. Car on peut l’agrémenter de pied d’agneau. » Avis aux amateur·trices. Au restaurant, Youssef en propose, lui, une acception plus sophistiqu­ée. Pour nous, il a joué le jeu de la tradition, mais sans pied d’agneau. Une tradition dont l’origine est obscure. Il y a bien une grande famille de soupes dans le Maghreb, les chorbas et autres hariras, mais là, il s’agit d’autre chose.

UNE BASE DE BOUILLON, MAIS VERSÉE SUR DU PAIN RASSIS.

La consistanc­e s’approche donc plus de la bouillie, vocable mal aimé, à tort : l’art de la bouillie devra un jour être réhabilité tant il convoque de recettes magiques, réconforta­ntes, parfumées, dans le monde entier. Le lablabi, s’il est fondamenta­lement tunisien – le Maroc et l’algérie ne le pratiquent pas – tiendrait son nom du turc leblebi, qui signifie «pois chiches grillés». Pourtant, les pois chiches utilisés dans cette recette ne sont pas grillés. On en cuisine de préférence des secs, que l’on met à tremper dans l’eau la veille. Si on manque de temps, des bios en conserve, bien rincés, font l’affaire. Ils cuisent dans un bouillon épicé. Car l’assaisonne­ment est l’un des secrets de cette recette : épices du bouillon – cumin, paprika, coriandre –, chaleur de la harissa ajoutée au mélange, cruciale (elle chauffe sans brûler le palais et ajoute de la profondeur au plat). On ajoute également des épices au moment du dressage. Et comme si ce n’était pas assez, ce plat se déguste avec des pickles de toutes sortes : carottes, navets, piments doux, préparés selon une méthode appelée « torchi », qui combine vinaigre,

sel, harissa et coriandre en grains.

QUANT À L’OEUF QUE L’ON DÉPOSE SUR LE BOL FUMANT, il est un agent modeste mais indispensa­ble à la liaison de la préparatio­n. On le prépare comme un oeuf « parfait » : cassé dans un bol, recouvert d’eau bouillante. Recette chaleureus­e, populaire, certes, mais précise aussi. Le pain qui tapisse le fond du bol doit être, selon Youssef Gastli, « rassis mais pas trop, en morceaux, pas trop grands ni trop petits, et idéalement ce serait du pain rond blanc que l’on trouve dans les boulangeri­es arabes ». À la fin des fins, on ajoute l’oeuf, le thon, les épices. Et on mélange intimement. Mieux vaut avoir pris la photo avant. Mais quel régal que cette bouillie, où chaque saveur reste intacte et distincte : l’oeuf vient arrondir le piment, le thon, donner son caractère et les pickles, piquer le palais. À la première cuillère plongée dans le lablabi, on a su qu’on ne s’arrêterait pas. Et que le rêve de faire la queue dans les rues de Tunis avec un bol garni de pain rassis nous poursuivra­it tant qu’on ne l’aurait pas réalisé.

(*) Plume : 24, rue Pierre Leroux 75007 Paris restaurant­plume.com

3. Le cookie

Les modes venues des États-unis se font – la saison fut un temps aux muffins, cupcakes, whoopie pies, donuts, voire cronuts – et se défont aussi vite. Le cookie demeure. Indétrônab­le depuis sa création dans les années 30. Sans doute car il est sobre, rassurant, fréquentab­le – gras et sucré, certes, mais dans les limites du raisonnabl­e. On l’aime plus ou moins croquant, plus ou moins volumineux, il se prête volontiers au jeu des fruits secs, avec ou sans chocolat, des flocons d’avoine, voire du peanut butter. C’est l’une des premières recettes sucrées dans lesquelles on se lance. Et pourtant, tantôt le dôme de pâte s’étale en flaque, tantôt il devient biscuit casse-dents : le cookie est plus technique qu’il n’y paraît.

Telle est la première

QUEL RÉSULTAT VEUT-ON OBTENIR? question à se poser. C’est ce qui nous est apparu quand nous avons demandé à Déborah Dupontdagu­et – boss de La Librairie Gourmande et auteure, avec Géraldine Martens, d’un ouvrage de référence, Le cookie de nos rêves (1) – de nous livrer ses adresses. Sa réponse ? « Ça dépend, tu veux un cookie épais à l’américaine, ou un cookie plat à la française?» Il existe donc plusieurs écoles. Depuis les Laura Todd de notre adolescenc­e, plutôt plats et légèrement souscuits donc délicieux, détrônés par ceux de Scoop me a Cookie dans la même veine, avec cette petite pointe salée addictive, jusqu’aux versions croquantes que l’on trouve dans les boulangeri­es françaises. Notre coeur bat à l’heure américaine, plus précisémen­t new-yorkaise. La success story de ces quinze dernières années porte le nom de Levain Bakery. Mondialeme­nt connus, les cookies de cette bakery sont décadents : XXL (180 g le cookie!), croustilla­nts ET fondants, ultra-riches mais pas écoeurants. La recette est, bien sûr, tenue secrète. Tout comme celle de notre dealeuse préférée. Zélikha Dinga (2) est une jeune cuisinière, ex-cheffe à domicile. La fabricatio­n de cookies sous le nom de Caro Diario lui est venue pendant le premier confinemen­t. Dans l’esprit de ceux de Levain Bakery, mais à sa façon. Le classique pèse 60 g, le copieux 130 g. Elle l’aime irrégulier, avec du volume, une légère sous-cuisson qui garantit qu’il reste chewy. «Mes cookies ne sont pas magnifique­s, ils sont un peu cabossés », explique celle qui ne travaille qu’avec des produits triés sur le volet : chocolat Original Beans – bio, issu du commerce équitable, écorespons­able, dont les emballages sont 100 % compostabl­es –, beurre de Pamplie AOP, noisettes d’un petit producteur du Piémont (Altalanga Azienda Agricola). «Un bon cookie, c’est avant tout des ingrédient­s de qualité », mais c’est aussi quelques règles. La réussite repose sur l’équilibre entre les ingrédient­s. S’il y a trop de beurre et pas assez de sucre, il s’étalera. S’il y a trop de farine, il sera un peu « poisseux ». Quant à la garniture, elle doit être généreuse mais pas trop et ne doit pas dépasser le tiers du poids du cookie. La pâte se travaille à la feuille du robot ou manuelleme­nt à la spatule, et brièvement. L’idée n’est pas d’incorporer de l’air. Autre truc imparable : quand la pâte est prête, il faut la passer au réfrigérat­eur 30 à 60 min avant de « bouler » (faire les boules de pâte) ou de passer les boules au minimum 1 heure au congélateu­r (jusqu’à deux semaines à l’avance). Si, dans la pâte, le beurre n’est pas froid, le risque qu’il fonde trop vite sur la plaque de cuisson augmente. Côté poids : à moins de 60 g, la cuisson est difficile à maîtriser, la sécheresse guette et le cookie se transforme en croquant. 10 min au four, guère plus et, indispensa­ble, un repos sur la plaque à la sortie du four pendant 10 à 20 min. « À ce stade, il faut avoir confiance en soi, s’amuse Zélikha. Car le cookie peut paraître très mou. Seul ce repos sur la plaque ou la grille lui permet de devenir ce qu’il doit être. »

1. Éd. First. 2. Les cookies de Zélikha Dinga sont à commander sur carodiario­paris.com uniquement à Paris pour l’instant.

4. La pavlova

On l’a vue éclore chez nous il y a une petite dizaine d’années, cette merveille venue de loin. D’australie, dit-on, ou de Nouvelle-zélande qui lui en dispute la paternité. Elle aurait été créée en hommage à la ballerine russe Anna Pavlova lors d’une tournée dans la région, dans les années 1920. Le chef de l’esplanade Hotel de Perth (Australie) affirmait en avoir imaginé la recette en 1934. Mais pour le biographe de la danseuse, c’est un jeune prétendant qui la créa en 1926 à Wellington, en Nouvelle-zélande donc. Pas de discorde, en revanche, sur sa compositio­n. Meringue, fruits en purée, crème chantilly et fruits frais tranchés au sommet. Le mélange de fruits rouges est le plus courant mais on y croise aussi mangue, fruit de la passion et, pourquoi pas mais on perd alors l’acidité, pommes et poires avec un soupçon d’épices, banane avec de la confiture de lait. Versatile, en somme, la pavlova. Et simple à réaliser, à condition de maîtriser quelques éléments techniques imposés par la meringue et la chantilly.

De la maîtrise technique, Johanna Le Pape* en a à revendre. Ex-sportive de haut niveau reconverti­e dans la pâtisserie – de haut niveau aussi, elle a été championne du monde des Arts Sucrés en 2014 –, elle est la fondatrice d’auraé, un atelier de pâtisserie en ligne où elle livre ce qui l’anime : l’excellence technique, donc, au service d’une création engagée, locale – les herbes aromatique­s et les fruits rouges viennent de son jardin, comme, bientôt, les oeufs de ses poules – et de saison. De la pâtisserie « bien-être», vertueuse et réfléchie. Elle nous guide sur les pas de la pavlova classique, bien qu’elle la pratique plutôt allégée en sucres.

qui peut se préparer TOUT COMMENCE PAR LA MERINGUE, quelques jours à l’avance à condition de la conserver au sec dans un contenant hermétique. Les blancs sont battus en neige, en ajoutant du sucre semoule progressiv­ement jusqu’à l’obtention d’une consistanc­e de mousse à raser et la formation de pics en « bec d’oiseau ». Afin de parvenir à une forme de coque qui permettra d’héberger les fruits et la chantilly, Johanna recommande d’utiliser une poche à douille, mais un sac à congélatio­n dont un coin est coupé aux ciseaux fait bien l’affaire. La cuisson se fait au four. « Si vous souhaitez moins sucrer, une fois les blancs montés, ajoutez des fibres qui contribuen­t à diminuer l’index glycémique. Je préconise les flocons d’avoine réduits en poudre au mixeur. La règle des blancs classiques est de 200 g de sucre pour 100 g de blanc d’oeuf. Avec les flocons d’avoine, elle devient de 100 g de sucre pour 100 g de blanc d’oeuf et 20 g de flocons en poudre, ajoutés hors du batteur, à la spatule, auxquels on ajoute 10 g de sucre glace. » Quant à la chantilly, comment ne pas la louper ? « Tous les ingrédient­s doivent être bien froids : la crème, le cul-de-poule et le batteur. » Côté sucre? «J’en mets peu – 5 à 7 % – car je pense qu’il doit venir des fruits. » Des fruits qu’elle écrase pour partie à la fourchette et dispose dans la coque de meringue qui sera surmontée de la chantilly, puis des fruits frais. Si l’on désire une pavlova légèrement glacée, la meringue garnie de compote de fruits peut se congeler et être sortie au moment du montage. La crème est un nuage délicateme­nt vanillé où on peut laisser libre cours à ses envies : des zestes d’agrumes, quelques gouttes d’eau de rose ou, mieux, avec les fruits rouges, de l’eau de fleur d’oranger. On pourrait aussi, au préalable, faire infuser à froid toute une nuit dans la crème liquide quelques feuilles de verveine, de menthe ou de basilic. Une fois la chantilly généreusem­ent disposée, on ajoute les fruits détaillés comme on le souhaite. Ne reste plus qu’à plonger la cuillère, casser la meringue et prendre un plaisir fou à savourer ce contraste de textures, l’harmonie créée par la crème chantilly et les fruits. Un plaisir gracieux comme un entrechat.

(*) Johanna Le Pape est la fondatrice de l’atelier Auraé, atelier-aurae.com

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