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Tout savoir sur… La “Basket Chair” de Nanna et Jorgen Ditzel

Dessinée et produite artisanale­ment à l’orée des années 1950 au Danemark, rééditée cette année par la firme catalane Kettal, la “Basket Chair” de Nanna et Jorgen Ditzel reprend la main.

- Par Pierre Léonforte

Paradoxale­ment moins connue que ses pairs et compatriot­es masculins, Hans Wegner, Finn Juhl, Arne Jacobsen et les autres, la Danoise Nanna Ditzel restera comme LA grande dame du design nordique du XXe siècle. Née en 1923 à Copenhague, disparue en 2005, elle connut tous les succès, tous les honneurs, sans jamais cesser d’être prolifique­ment active, créative. Formée à l’ébénisteri­e, diplômée des Beaux-Arts de Copenhague, puis de l’École des Métiers d’Art, élève du grand Kaare Klint, Nanna Heuberg, son nom de naissance, a tout juste 22 ans quand elle décroche le 2e prix remis par la souveraine Guilde des Ébénistes. C’était en 1945. Un an plus tard, elle épousait Jorgen Ditzel. Dès lors, et jusqu’en 1961, année du décès de Jorgen, le couple créera, réalisera et signera tous ses projets en commun. À Copenhague, les Ditzel vivent à leurs débuts dans un logis exigu de 45 m2, contrainte à l’origine de leur conception d’un mobilier pratique, adapté aux petites surfaces. Cette dimension fera mouche : entre 1950 et 1960, le couple remporte tous les prix dont ceux de la Triennale de Milan dont il est une figure habituelle. En 1959, leur nacelle suspendue en rotin de forme ovoïde y a soulevé l’enthousias­me. Produite au Danemark par la firme R.Wengler avec qui les Ditzel collaboren­t assidûment en matière de rotin, cette assise oscillante, sera aussi produite par la maison italienne Bonacina chez qui Franco Albini et Franca Helg, autre couplephar­e de la décennie, faisaient fabriquer leurs sièges en rotin.

Des collaborat­ions fructueuse­s et récompensé­es

Quant à la nacelle ou “Egg-Chair”, elle fera ensuite son cinéma, en 1969, dans La piscine de Jacques Deray avec une Jane Birkin postnubile, dedans, toute lovée, et surtout, en 1973 dans le premier Emmanuelle avec Sylvia Kristel, le fauteuil indonésien n’ayant servi que pour l’affiche ! Peu de temps avant cela, remariée, Nanna Ditzel quittait Copenhague en 1968 pour s’installer à Londres où elle a établi son propre studio de création. Avec son second époux, Kurt Heide, elle a aussi ouvert dans le quartier de Hampstead, le showrom Interspace, envisagé comme un carrefour de rencontres et de promotion des designers internatio­naux. Dans la capitale anglaise, l’influence et l’entregent de Nanna Ditzel sont tels qu’on lui proposera la présidence, acceptée et assumée, de l’estimable et très masculine Design & Industries Associatio­n. En 1986, veuve à nouveau, Nanna Ditzel rentrera à Copenhague. Sa carrière est loin d’être derrière elle, bien au contraire. Ses collaborat­ions avec le célèbre orfèvre Georg Jansen pour des bijoux, avec la firme textile Kvadrat, avec le producteur de mobilier Fredericia, aboutissen­t à des succès commerciau­x imparables, tous sanctionné­s de récompense­s de premier plan. Son implicatio­n dans la revue d’avant-garde Mobilia à laquelle

Verner Panton collabore aussi, participe de sa popularité auprès des jeunes créateurs, du corps enseignant du design, devenu institutio­nnel, et des commissair­es d’exposition qui font voyager et la dame et son travail partout dans le monde.

Discrète et engagée à la fois, Nanna Ditzel tirera sa révérence à l’âge de 82 ans. Depuis, nombre de ses créations en duo avec Jorgen Ditzel ou en solo, ont fait l’objet de rééditions : l’incroyable fauteuil “Sea Shell” reproduit par PP Mobler, le berceau Lulu (1963) réédité depuis 2012 par la firme BRDR, la chaise haute d’enfant (1955) relancée en 2012 au Japon par la firme Kitani. Ou les sièges en rotin Nanny (à bascule) et Rana (à trois pieds), originelle­ment tressés par la maison danoise R.Wengler, et reproduits depuis 2013 par la manufactur­e scandinave Sika-Design. En revanche, et contre toute attente, c’est la firme catalane Kettal qui a décroché en 2013 les droits de reproducti­on du fauteuil “Basket”, présenté en 1950 et qui fera gagner aux Ditzel le premier prix de la Guilde des Ébénistes à Copenhague, et en 1951, une médaille d’argent à la Triennale de Milan. Conçue pour un usage intérieur avec coque d’osier et piétement en teck, la “Basket Chair”était alors produite à Copenhague par les ateliers de Ludwig Pontoppida­n. Lui-même créateur de mobilier, cet ébéniste qui travaillai­t avec des designers du calibre de Hans Wegner ou Finn Juhl, cessera son activité au début des années 1970.

Kettal fait renaître la “Basket chair”

Depuis, la “Basket Chair” des Ditzel était un brin oubliée. Et tout juste effleurée par la vague vintage iconisante. Injustice réparée : la “Basket Chair” reprend la main et l’air, puisque déclinée aussi en usage extérieur. Chêne et osier pour dedans ; teck et fibre artificiel­le pour dehors. Sans oublier les coussins, double-jeu par siège, huit combinaiso­ns de couleur, et évidemment gainés des tissus “Hallingdal” de chez Kvadrat créés par Nanna Ditzel en 1964 pour le Halling-Koch Design Centre. Ce crochet par la péninsule ibérique pour la remise en production de la “Basket Chair”revêt une plaisante ironie : en 1995, Nanna Ditzel s’était vue remettre un ID-Prize pour sa chaise “Trinidad”, révélée à l’occasion de l’expo Living Design montrée à Madrid et à Barcelone. C’est justement dans la capitale catalane que Kettal s’est bâti une place de leader du mobilier outdoor, fournisseu­r d’innombrabl­es plages privées, resorts, hôtels… Fondée en 1964 par Manuel Alorda en pleine Espagne franquiste, Kettal est alors une petite fabrique de mobilier de jardin en aluminium. Quant au design, inexistant dans le pays, il n’en est même pas question. Il faudra attendre la mort de Franco en 1975. Puis la Movida, les films d’Almodovar, pour qu’on parle enfin d’un design espagnol – et catalan en particulie­r, avec Oscar Tusquets, Pep Bonet, Javier Mariscal, les Argentins Jorge Pensi et Alberto Liévore. Pendant quelques années, le design enfièvre le pays. Tout le monde est designer. Des blagues circulents. La plus cinglante ? : “Et toi, tu es designer ou tu travailles ?”.

Recyclable à l’envi en ciblant les néo-jobs 2.0… Pour Kettal, l’ouverture de l’Espagne au marché européen sera une aubaine. Début 2000, le Catalan avalait tout cru la maison française de mobilier d’extérieur Hugonet ! Outre son propre studio de design intégré, Kettal collabore depuis 2006 avec des designers venus d’ailleurs. Patricia Urquiola en tête. Mais aussi Hella Jongerius, Rodolfo Dordoni, Jasper Morrison ou encore le duo catalan Ana Mir/Emili Padros, fondateurs de Emiliana Design Studio. Avec la “Basket Chair”, Kettal se signale pour la première fois sur le champ fertile de la réédition et s’offre une escapade danoise à valeur de culte. Panier !

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 ??  ?? En rééditant la très danoise “Basket chair” créée en 1950 par le couple Ditzel, la firme catalane Kettal surfe sur le retour en grâce du rotin, aussi actuel en noir et blanc qu’en couleur.
En rééditant la très danoise “Basket chair” créée en 1950 par le couple Ditzel, la firme catalane Kettal surfe sur le retour en grâce du rotin, aussi actuel en noir et blanc qu’en couleur.
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