Hanoï, en harmonie
Qu’est-ce qui change dans la capitale du Vietnam ? Tout, et rien. Grâce à une nouvelle génération d’artistes et d’architectes, la ville aborde la modernité en douceur. Un miracle d’équilibre millénaire.
Au fond d’une allée de bambous la jeunesse lookée de Hanoï déjeune en terrasse autour d’un cerisier, les écrans des ordinateurs portables posés au milieu des bols de métal rappelant l’époque, pas si lointaine, des menus servis contre un ticket de rationnement. Tandis que les vieilles maisons années 30 sont reconverties en concept store, les images de propagande communiste se fondent dans le décor. Par un petit miracle, la ville est sortie de sa période soviétique en évitant l’écueil de l’explosion immobilière – même les tours du quartier des affaires se dressent bien à l’écart. Hanoï cultive discrètement une
nouvelle modernité en forme de petite révolution culturelle. Son passé universitaire a garanti la survivance d’une curiosité intellectuelle affûtée malgré les années de plomb. “Ici les cafés peuvent aussi être des espaces d’art et de rencontres intellectuelles” assure le designer Tran Vu Hai qui a fait de son bar Barbetta un foyer de la scène alternative. Apparus comme ce dernier dans la “zone 9”, ensemble d’usines et de bâtiments désaffectés, d’autres lieux expérimentaux animés par des collectifs en tous genres aimantent artistes, musiciens et stylistes mélangés aux voyageurs. À Hanoï, le charme a toujours cours mais ce n’est pas tout. On trouve à présent des boutiques de design et des restaurants dans Tay Ho, enclave rafistolée sur les bords du Lac de l’Ouest, comme dans le très touristique Hoan Kiem, et même un Art Hotel dans le vieux quartier des échoppes ! Les nouvelles classes moyennes découvrent, passé l’engouement pour les grandes marques occidentales, des modes de consommation plus inventifs ; “les choses n’ont plus à être luxueuses pour être fun” résume la galeriste Suzanne Lecht qui a patiemment constitué une écurie d’artistes locaux dont elle fait la promotion. Car la région commence à exister sur la scène artistique mondiale. À l’initiative d’une jeune critique d’art, Nguyen Thu Thuy, le béton de la digue qui longe le Fleuve Rouge a ainsi été transformé en un ruban de mosaïques collectives, sponsorisé par la Ford Fondation. Bientôt s’installeront sur cette “rive gauche” où pataugent encore les buffles, d’autres artistes prêts à dynamiser - ou dynamiter - les vieux codes de la cité.