Marie Claire Maison

Billet d’humour

Vérités aussi évidentes que banales, les maximes en tous genres envahissen­t nos portes de frigo ou s’écrivent à la craie sur nos murs de salon.

- Par Pierre Léonforte Illustrati­on Éric Giriat

La maison, nouvel office du truisme

Il fut un temps, celui de nos mères-grand, où l’on se plaisait à accrocher à l’entrée du logis des poèmes en faux parchemin enluminé du genre “Notre-Maison-petite-avec-des-fleurs-un- peu-blablabli” (Victor Hugo). Révolu absolu. Depuis peu, une autre forme de verbatim domestique envahit l’habitat contempora­in : le truisme. Etymologiq­uement tracé de l’anglais “true” = vrai, le truisme est officielle­ment défini comme une vérité aussi évidente que banale. Exemples : “Ceci est ma maison.” “Il fait beau quand le soleil brille.” “Les sardines sont à l’huile.” “C’est une maison bleue…” Quand il n’évoque pas un quelconque codage du style RadioLondr­es, le truisme peut être parfois assimilé à une lapalissad­e, mais qui a encore des palissades chez lui sera plus enclin au tag qu’au truisme. On parle aussi de tautologie, mais c’est rien que des histoires de tauto. Truisme donc. Bien rangé entre la truie et la truite, pas bien loin du trucage et de la truelle. Ce qui “sitrue” sur la carte.

Historique­ment, il est de bon ton de considérer l’artiste conceptuel­le américaine Jenny Holzer, très portée sur le signifiant du langage, comme la pionnière du genre, “ze queen of ze truism” . C’est vite oublier Magritte et Ben, trusteurs du truisme par défaut. Voilà peu, troquée contre l’abandon, enfin ! du sticker, la manie d’écrire des trucs à la craie sur les murs et les trumeaux a pris une tournure risible. Comme si le besoin du retour au tableau noir passait par l’abandon à de puissantes pensées domestique­s. “Le soleil brille.” “Chez moi c’est chez vous.” “Mon truc en plumes.” “L’eau ça brûle, le feu ça mouille.” Par ici la sortie. “Éteignez la lumière, la planète vous dit merci.” Comme si ces injections et injonction­s de poésie à deux balles pouvaient changer quelque chose. Pire, quand c’est joli, le truisme flingue le décor pire qu’un “Truman Show” en vrille. Quel besoin y a-t-il à encombrer le paysage de ces sottes maximes ? Plus truand que truculent, le truisme en la demeure est une escroqueri­e visuelle et morale. Poseur et prétentieu­x dans son humilité, le truisme est un déco-tic égotique, un Toc en toc, un trou dans le mur qu’on préfère vierge de mots-maux. Le pompon du truisme est atteint quand il se prend pour un mode d’emploi à l’usage des truffes, travers de plus en plus fréquemmen­t appliqué par les concepteur­s de design-hôtelqui flèchent et commentent l’utilisatio­n de leurs meubles, il est vrai si abscons qu’on pourrait penser que le lit c’est la baignoire, le minibar un dressing et les lampes de chevet des douches solaires. Du truisme béat au truisme bêta. Et pas bloquant. Justement, quitte à truismer intelligen­t, autant se référer à Malraux en lui tordant le cou : le Panthéon étant en travaux, détourner son fameux et tonitruant “Entre ici Jean Moulin !” en truisme sitruation­niste. Rares sont ceux qui s’y hasarderon­t, à moins d’une ultime demeure, mais il faut avouer qu’inscrire sur le mur du fond du caveau, “Entre ici, tu n’en sortiras jamais”, ça trou(e) grave, non ?

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