CHIMÈRES DE VERRE
Dale Chihuly, artiste verrier américain, fait éclore au coeur de la végétation de son Garden and Glass Museum de Seattle des floraisons géantes aux couleurs flamboyantes, aussi spectaculaires que celles qu’il sème autour du monde.
Avecson bandeau sur l’oeil, ses boucles grises hirsutes et sa corpulence de lutteur, Dale Chihuly ressemble plus à un
trappeur des forêts de Tacoma, sa ville natale du Northwest américain, qu’à un poète épique du verre, “la plus envoûtante de toutes les matières” selon lui. En cinquante années de recherches assidues, il a fait passer l’artisanat précieux et fragile du verre soufflé au rang d’art monumental et environnemental. Il le célèbre dans un musée scintillant, frôlant le kitsch au premier abord, avant de transporter les amateurs dans son monde enchanteur et translucide où le bon goût devient vite mièvre. Un parcours initiatique le mène au début des années 70 au coeur des antres brûlantes des maîtres verriers du monde entier, du Japon à la Bohême, culminant avec un apprentissage chez Venini, sur l’île de Murano. En 1976 un accident de voiture le prive d’un oeil, puis un autre accident, de body surf, lui fracasse l’épaule et change sa vie… et son art. Incapable de souffler dorénavant la matière en fusion, il devient le maître d’oeuvres extravagantes et démesurées qu’il fera réaliser par des collègues de plus en plus virtuoses dans ses ateliers de Seattle. Durant les prochaines décennies, ces intenses et insolites floraisons s’épanouiront, exposées aux USA, et bientôt dans le monde, de musées en jardins botaniques. Pour affirmer avec fracas ses visions, il voyage entouré de larges équipes et d’une flottille de containers, pour diriger les mises en scènes lyriques de ses audacieuses installations. Il osera ainsi envahir, avec ses assemblages de millions de pièces aux coloris hallucinogènes, la Citadelle de Jérusalem comme les canaux de Venise, en passant par la Rotonde du vénérable Victoria and Albert Museum à Londres. “Je n’ai jamais rencontré une couleur que je n’aimais pas” dit-il, et il le prouve en faisant jaillir en 2012 dans son magique Garden and Glass Museum, des oeuvres aux teintes insolites et intenses, du vert acide à tous les rouges du soleil, s’harmonisant avec les variations florales de plantes rares soigneusement paysagées. Héros local de Seattle, Dale y a maintenant son musée, et une entreprise artistique internationale, rivalisant en flamboyance, avec ses collectionneurs voisins et amis Bill Gates ou Jeff Bezos.