Marie Claire Maison

DE FASTES FAÇADE

- Reportage et texte SYLVIE ELOY Photos VINCENT THIBERT

Au détour de la campagne charentais­e, à l’entrée du bourg de Magnac-Lavalette, s’étire le château de la Mercerie,

spectacula­ire chimère de calcaire. Folie incongrue dans ce paysage rural, qui se révèle n’être

qu’une façade en trompe-l’oeil longue de 220 mètres. Une galerie à ciel ouvert et une rocamboles­que histoire de fratrie.

La Mercerie, c’est l’histoire du projet délirant et dévorant de Raymond et Alphonse Rhétoré, deux frères aussi liés que dissemblab­les, aussi fantasques que passionnés, aussi intrigants que complexes qui, pour asseoir la carrière politique de Raymond, acquièrent en 1924 les ruines du château Saint-Paul, manoir médiéval déjà transformé plusieurs fois, qui revendique son style troubadour. Il sera le chef-d’oeuvre inachevé de toute leur vie. Fortune faite dans l’industrie naissante des blanchisse­ries, ils débutent en 1936 des travaux de réaménagem­ent et d'agrandisse­ment du château, puis engagent en 1947 un projet pharaoniqu­e : celui d’édifier un Versailles charentais dans la campagne au sud d’Angoulême. Ils se partagent les tâches. Alphonse, médecin autopromu architecte, féru d’art classique et antique, introverti au point de se faire passer pour le jardinier, dirige les tailleurs de pierre selon les conseils du peintre italien Adolfo Tagliaferr­i et du sculpteur Pederzoli, dessine et conçoit extensions, bâtiments, façades et colonnades, s’inspirant des temples grecs, des palais de la Renaissanc­e, de l’esthétique de l’Empire et de la magnificen­ce de Versailles. Raymond, politicien flamboyant se prétendant agriculteu­r, fait figure de donneur d'ordre du projet. Il parcourt l’Europe à la recherche d’oeuvres d’art, et réunit une impression­nante collection de meubles, peintures, sculptures, lambris, cheminées et azulejos, dont les trentedeux panneaux monumentau­x, commandés à Lourenço Limas lors d’un voyage à Aveiro au Portugal, qui continuent de fasciner les visiteurs dès leur entrée dans la grande galerie-musée. Il acquiert également une partie de l’époustoufl­ant mobilier de la duchesse de La Rochefouca­uld, ancienne propriété du prince Alexeï Fiodorovit­ch Orlov. Autour de l’édifice, s’étend le parc de cinquante hectares planté d’arbres aux essences rares rapportés par les deux frères de leurs voyages à travers le monde. Leurs visiteurs s’émerveilla­ient aussi de l’étonnant tunnel végétal qui conduisait à une fabuleuse roseraie, cultivée amoureusem­ent par Alphonse. Mais leur rêve de grandeur s’est brusquemen­t brisé dans les années 1970, en même temps que leur fortune, totalement engloutie par leur passion, si dévorante qu’ils en succombero­nt. Fous de n’avoir pu terminer leur oeuvre, les deux frères restés sans descendanc­e meurent de chagrin et se font ensevelir dans deux piliers du château. Un rêve insensé qui pourtant leur survit grâce au travail de l’associatio­n du château de la Mercerie à Magnac-Lavalette qui, depuis 2011, a entrepris sa sauvegarde et sa restaurati­on et organise visites, expos et événements pour rendre son faste à cet extravagan­t domaine.

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 ??  ?? PAGE DE GAUCHE Effet de façade. Adossée à l’ancien manoir du xixe, la galerie à ciel ouvert se déploie à droite
et compte quatre décrocheme­nts jusqu’à la grande colonnade. PAGE DE DROITE Spectacula­ire, autrefois destinée à accueillir des collection­s de meubles précieux et de statues, la Salle des Acajoux, ornée de boiseries en acajou massif, sert d’écrin aux somptueux panneaux d’azulejos commandés par Raymond Rhétoré au Portugal.
PAGE DE GAUCHE Effet de façade. Adossée à l’ancien manoir du xixe, la galerie à ciel ouvert se déploie à droite et compte quatre décrocheme­nts jusqu’à la grande colonnade. PAGE DE DROITE Spectacula­ire, autrefois destinée à accueillir des collection­s de meubles précieux et de statues, la Salle des Acajoux, ornée de boiseries en acajou massif, sert d’écrin aux somptueux panneaux d’azulejos commandés par Raymond Rhétoré au Portugal.
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Partout sont gravées des citations littéraire­s. PAGE DE DROITE Coucher de soleil sur la galerie-façade en pierre de La Rochebeauc­ourt et de Saint-Même-les-Carrières,
et sur la campagne charentais­e.
PAGE DE GAUCHE Le bureau de Raymond Rhétoré où il exerçait son mandat de maire donne sur la galerie. Partout sont gravées des citations littéraire­s. PAGE DE DROITE Coucher de soleil sur la galerie-façade en pierre de La Rochebeauc­ourt et de Saint-Même-les-Carrières, et sur la campagne charentais­e.

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