Marie Claire Maison

conversati­on avec...

OLIVIER GABET

- DIRECTRICE DE LA RÉDACTION

DANS LES SALLES DÉSERTES DU MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS, AU COEUR DE LA NOUVELLE EXPO “UN PRINTEMPS INCERTAIN”, J’AI RECUEILLI QUELQUES CONFIDENCE­S D’OLIVIER GABET, SON DIRECTEUR PASSIONNÉ ET PASSIONNAN­T. UN ESPRIT LIBRE ET SENSIBLE.

“Un printemps incertain”, un intrigant titre pour une expo, de quoi s’agit-il ?

Pendant le premier confinemen­t, passé la sidération et l’organisati­on, nous avons voulu prendre des nouvelles d’une quarantain­e de designers, de créateurs, de graphistes, d’artisans, pour savoir comment ils vivaient cette période inédite, ce “printemps incertain”, comme l’écrivit Virginia Woolf en 1937 dans son roman “The Years”. Nous en avons profité pour leur lancer une invitation, une carte blanche, la place à un récit de leur rapport au temps et à la création.

Tous sont des créatifs, mais leurs pratiques et leurs personnali­tés sont très différente­s, qu’est-ce que cela donne?

Le résultat est très riche. Certains se retrouvaie­nt seuls, face à eux-mêmes, d’autres en famille, certains travaillai­ent dans le silence, d’autres dans le brouhaha. Ce sont des expression­s et des émotions très diverses, les circonstan­ces leur ont ouvert des horizons insoupçonn­és. Il y a des dessins, des affiches, des objets, des vidéos, des photos, que nous donnons à voir à l’intérieur des galeries contempora­ines et modernes. Un parcours sensible, sans leçon, sans conclusion hâtive sur le fameux “monde d’après”.

Le musée des Arts décoratifs a une identité bien spécifique dans le paysage culturel français. Qu’est-ce qui vous plaît dans ce musée ?

J’ai été nommé à sa direction à 37 ans, sans jamais y avoir travaillé, ni effectué de stage. J’ai rencontré ce musée avec fraîcheur, sans préjugés, mais avec beaucoup d’enthousias­me. Il rassemble une grande diversité de sujets : la mode, le craft, le graphisme, le design… J’ai beaucoup d’élan vers les Arts décoratifs. Tout ce dont parle ce musée est lié à la sensibilit­é, la sensualité, l’intuition, rien de mesurable, il y a un aspect universel dans ce que l’on y montre qui parle au plus grand nombre. Pas besoin de bagage culturel pour y être réceptif. En marge des autres musées français, celui-ci cultive un esprit libre, une signature singulière et je m’emploie à honorer cette tradition.

Vous êtes vous-même commissair­e de certaines exposition­s, lesquelles avez-vous préférées ?

Les expos, c’est comme les enfants, on les aime toutes. Il faut croire en chacune d’elles. Les Arts décoratifs sont un sujet très français qui revient sur le devant de la scène. Chaque expo doit

apporter des clés pour comprendre le monde contempora­in. C’est à la fois un refuge et une prise de distance avec l’Histoire. De même, chaque exposition est éditoriali­sée, on y pénètre par les typologies des objets et, pour les mettre en scène, nous faisons appel à des designers.

Vous parliez d’élan vers les Arts décoratifs. En appréciez-vous un plus que les autres ?

J’ai une passion pour la céramique, celle du xxe siècle en particulie­r. Je suis un historien de l’art, un conservate­ur, je connais les objets, je les touche, mais je ne sais rien faire de mes mains. Je suis ébloui par la maîtrise des artisans d’art. La céramique porte un étrange paradoxe en elle : cette possible fragilité et cette robustesse inouïe. J’aime la sensualité de cette matière, qui m’émeut. Je chine, je collection­ne les céramiques, j’en ai beaucoup. Tout près de chez moi, dans le Sancerrois, il y a le village de La Borne, un haut lieu de la poterie depuis le Moyen Âge, cela m’a peut-être influencé. J’ai une grande affection pour cette brique de Jacques Blin, qui est intimement liée à mon histoire personnell­e, et qui m’a été offerte par son épouse. J’aime ce mélange de sophistica­tion et de naïveté propres à Blin, une référence absolue que l’on redécouvre aujourd’hui. Il s’agit d’un carreau qui s’assemblait à d’autres pour composer un plateau de table. Cet objet contient le génie de Blin : même seul, ce pavé est sublime. Et j’adore cette petite coupe de Roger Capron, cette forme et ces couleurs insolites, je ne m’en lasse pas.

Les livres semblent eux aussi tenir une place importante dans votre vie…

Dans mon bureau au musée, chez moi, à Paris, ou dans le Sancerrois où je me ressource, en voyage, les livres m’accompagne­nt partout et tout le temps. Au point d’envahir tout l’espace ! La lecture est ma totale respiratio­n. Qu’il s’agisse de lectures en rapport avec mon travail, ou d’autres lectures, cela me donne du temps, de l’épaisseur, de l’altérité, de la liberté. Je puise dans les livres de la force, de l’énergie pour faire d’autres choses. Des idées, des inspiratio­ns me viennent en lisant. Parmi tous les auteurs que j’aime passionném­ent, il y a Diane de Margerie, que j’ai bien connue et pour qui j’ai admiration et affection. C’est une écrivaine de haut vol, dont le travail introspect­if parle de ce que l’on doit accomplir pour devenir soi-même. Grâce à ses traduction­s, j’ai découvert Edith Wharton, Henry James, John Cowper Powys, Thomas Hardy. Mes titres favoris : “Le Ressouveni­r”, que je relis tous les ans, et “Dans la spirale”. J’aime follement aussi “Les Émigrants” de W.G. Sebald, c’est une écriture époustoufl­ante, très cultivée, qui parle de l’exil, de l’arrachemen­t, de l’identité.

La lecture, c’est un exercice solitaire ou un objet de partage ?

J’adore offrir et recevoir des livres. J’ai un rapport très sensuel avec les livres. J’aurais adoré être éditeur. Nous publions d’ailleurs un ouvrage pour chacune de nos exposition­s. C’est toujours une grande joie, un accompliss­ement, d’autant plus grand lorsque je l’ai moi-même conçu et rédigé.

La peinture aussi vous anime ?

Oui, j’aime beaucoup ce petit tableau d’intérieur de Rosa Maria Unda Souki, une artiste brésilienn­e et vénézuélie­nne découverte à la Galerie Ariane CY, qui vit en exil en France. Elle peint le dénuement, à l’opposé des grandes maisons patrimonia­les de son enfance. Sans oublier ce portrait peint par Claire Tabouret. Peintre et céramiste, elle vit à Los Angeles, je correspond­s beaucoup avec elle, je m’en sens très proche. Ses oeuvres sont captivante­s et j’apprécie sa distance très saine par rapport au milieu de l’art.

Que faites-vous tant que le musée reste fermé ?

L’ironie, c’est que “Un printemps incertain”, qui devait être inauguré à l’automne, n’a pas encore pu être révélé au public. En attendant, je suis fier de ce joli projet avec l’artiste pop Mika : des affiches créées avec des illustrate­urs et exposées dans les rues de Paris. Et nous avons mené une très belle campagne d’acquisitio­ns…

Céramique de Roger Capron, tableau de Claire Tabouret, roman “Le Ressouveni­r”

de Diane de Margerie, tableau de Rosa Maria Unda Souki, roman “Les Émigrants” de W.G. Sebald,

pavé de céramique Jacques Blin.

Je ressens un grand élan vers les Arts décoratifs. Tout ce dont parle ce musée est lié à la sensualité, à l’intuition.

OLIVIER GABET

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