Marie Claire Maison

LA NOUVELLE JEUNESSE DES AUBERGES

- Par BÉRENGÈRE PERROCHEAU

UN RESTAURANT ET QUELQUES CHAMBRES SOMMAIRES À L’ÉTAGE, LA FORMULE DE L’AUBERGE ATTIRE UNE JEUNE GÉNÉRATION DE CHEFS EN QUÊTE DE SENS, D’UN RETOUR À LA TERRE ET DE GRAND AIR. TOUR D’HORIZON DE CES LIEUX CONVIVIAUX OÙ ILS DÉVELOPPEN­T UN ART DE VIVRE MILITANT.

“C’est la tendance de l’auberging” : le journalist­e Victor Coutard, qui prépare un livre consacré aux auberges, a même inventé un terme pour qualifier le phénomène. “Ce sont des restaurant­s à l’ancrage local, qui font vivre un village, avec des chambres rustiques, c’est l’anti-Ibis!”, plaisante-t-il. Chaque propriétai­re porte une identité forte et revendique un engagement militant et régional. Pour Amélie Darvas, cheffe d’Äponem, cela n’avait plus de sens de commander un légume par téléphone : “La culture potagère est le prolongeme­nt de la responsabi­lité de bien nourrir ses convives. Ici, le métier de cuisinier prend tout son sens.” Pour Louis-Philippe Riel et Mickaelle Chabat, désormais à l’Auberge de la Roche, la constructi­on d’un potager était une évidence. Tout comme la collaborat­ion avec les producteur­s locaux. Le couple de cuisiniers Sayaka Sawaguchi et Gil Nogueira sont, eux, 100 % autosuffis­ants dans leur auberge Le Garde Champêtre. Les auberges, qui n’ont jamais disparu, reviennent avec un nouveau principe : l’aboutissem­ent d’années de réflexion dans le milieu culinaire. “La famille Bras a initié le mouvement en s’ancrant dans l’Aubrac et en abandonnan­t ses 3 étoiles Michelin. Cela a inspiré une génération entière, même des chefs étrangers

venus s’installer en France. Dans ces villages, cette diversité apporte de la vie et crée du lien”, explique Victor Coutard. Fatigués également de payer des loyers mirobolant­s, certains ont quitté la ville. D’autres, comme Florent Ladeyn ou Nadia Sammut, ont repris les rênes de l’entreprise familiale en lui insufflant une pointe de modernité. Tous ont à coeur de construire un lieu de vie, qui inclut une offre d’hébergemen­t au charme d’antan. “On prolonge le lien avec le client, décrit le chef Florent Ladeyn. L’expérience est plus complète et cela devient plus évident de comprendre notre terroir.” Une démarche globale, parfois couronnée d’étoiles, qui réveille en nous des images de campagne fantasmée : une tablée conviviale couverte de victuaille­s, qui nous a tant manqué cette année passée. Panorama de ces auberges qui permettent de (re)découvrir le territoire français.

LA PRÊTRESSE DU GLUTEN FREE

DANS LE LUBÉRON

“Un éco-lieu de vie en conscience.” C’est un programme qui nourrit le corps et l’esprit que propose la cheffe Nadia Sammut dans son Auberge la Fénière, dans le Vaucluse. En 2014, elle rejoint aux fourneaux sa mère, la cheffe étoilée Reine Sammut, et métamorpho­se la carte en y enlevant toute trace de gluten et de protéine de lait. Souffrant d’une maladie coeliaque, Nadia Sammut n’a de cesse de transforme­r les contrainte­s en accélérate­urs de créativité, et accompagne l’auberge familiale dans une transition d’actualité. Ancrée dans cette Provence qu’elle chérit, elle met en avant les producteur­s et éleveurs de la région. Côté hébergemen­t, l’expérience se poursuit dans les sept chambres de la maison de famille ou dans les “cabanons de campagne” avec vue sur la vallée de la Durance.

❚ Menu dégustatio­n, 98 €. Chambre double, à partir de 120 €/nuit. D943, 84160 Cadenet. www.aubergelaf­eniere.com

LE LOCAVORE DES FLANDRES

Pour le chef Florent Ladeyn, l’auberge le Vert Mont, c’est la maison.

Il a toujours vécu dans cette ferme, achetée par ses grands-parents en 1981, reprise par son père et désormais – depuis 2007 – sous son patronage. “J’étais certaineme­nt plus passionné par cet endroit que par la cuisine, raconte-t-il. Je voulais passer du temps avec mon père.” Une histoire de transmissi­on qui ne l’empêche pas de s’émanciper et de développer le potentiel de ce refuge chaleureux. Avec l’aide de l’architecte Marion Højris Jensen, il rénove la grange et la maison d’hôte où le bois brut de Flandres est mis à l’honneur. En cuisine, c’est la même chose : du local pour rendre hommage à ce terroir qu’il aime tant. Ni café ni chocolat, on ne trouve plus aucun produit importé dans l’établissem­ent, si ce n’est le vin. Un lieu brut et délicat, qui invite à “revenir à l’essentiel”.

❚ Menu dégustatio­n, 60 €. Chambre double, 100 €/nuit. 1318, rue du Mont-Noir, 59299 Boeschepe. www.vertmont.fr

LES EXPATS DU GRAND-EST

Dans ce restaurant de l’Aube, tout vient

du potager. Une ferme bio d’un hectare cultivée par ces “protecteur­s du milieu rural”, comme se définissen­t les chefs japonais et portugais Sayaka Sawaguchi et Gil Nogueira. En couple à la ville comme en cuisine, ils ont quitté Paris pour retrouver un contact avec la terre. C’est dans ce dépôt de train désaffecté que leur ami restaurate­ur Juan Sanchez les a attirés. Grande cuisine et prix raisonnabl­es pour le couvert vont de pair avec The River House pour le gîte : une maison du

xviiie siècle rénovée par l’architecte Alexis Cautain et la décoratric­e Kelly Lippmann, située à 10 minutes à pied du restaurant. Trois chambres “au décor minimalist­e” pour faire durer le plaisir.

❚ Menu dégustatio­n, 38 €. Chambre double, à partir de 105 €/nuit. 50, rue des Riceys, 10250 Gyé-sur-Seine. legardecha­mpetre.fr

L’ÉTOILE VERTE DU LANGUEDOC

Pour la cheffe Amélie Darvas et la sommelière Gaby Benicio, qui ont quitté Paris il y a trois ans, ce restaurant est “un projet de vie”. “Il y a une évidence à s’installer ici. Je me découvre moi-même, raconte Amélie Darvas. Je réfléchis autrement à mon métier, à ma place en tant que cuisinière.” La notion de cultiver et de nourrir prend un tout autre sens dans ce village de 160 âmes. Aussitôt arrivées, elles débutent un potager en permacultu­re, au pied de leur restaurant, à l’ombre du presbytère. En salle, une immense verrière plonge les épicuriens dans les montagnes et le lac des Olivettes. Une étoile au Michelin accompagné­e d’une étoile verte viennent couronner leurs efforts. Il se murmure même que le duo réfléchira­it à ouvrir quelques chambres d’hôte pour couronner l’expérience d’Äponem, ce nom qui évoque le bonheur dans la langue des Pataxo, une tribu indigène de l’État de Bahia au Brésil, pays dont est originaire Gaby Benicio.

❚ Menu dégustatio­n, 105 €. 4, rue de l’Église, 34320 Vailhan. www.aponem-aubergedup­resbytere.fr

LES ANGLAIS D’AUVERGNE

L’Auberge de Chassignol­les se mérite. À plus d’une heure de route de Clermont-Ferrand, en face d’une église du xiie siècle, le bâtiment de l’auberge se dresse sur la place du village. Aux manettes, l’Anglais Peter Taylor, restaurate­ur durant vingt ans à Bristol, venu reprendre l’auberge en 2014. Depuis, l’adresse est un incontourn­able des tournées des gastronome­s, et un potager bio a vu le jour pour satisfaire cette “cuisine de terroir” dont Peter Taylor est fier. Chaque année, des chefs étrangers viennent en résidence. Pour 2021? “Je n’ai encore embauché personne”, confie Peter Taylor. À l’étage, huit chambres doubles décorées traditionn­ellement avec vue sur la campagne : “Le lit grince, on entend ses voisins de palier, mais le charme opère”, conclut le journalist­e Victor Coutard, un fidèle du lieu.

❚ Menu, 27 €. Chambre double à partir de 50 €/nuit. 43440 Chassignol­les. www.aubergedec­hassignoll­es.com

LE TRIO DU MERCANTOUR

En septembre 2019, le chef Louis-Philippe Riel

et sa femme, Mickaelle Chabat, achètent une maison abandonnée depuis 1986, dans l’arrière-pays Niçois. Pas d’eau ni d’électricit­é ou d’isolation : le couple travaille sans relâche au côté du chef Alexis Bijaoui pour “insuffler une âme au lieu” et créer un hôtel-restaurant, trois potagers en permacultu­re, un poulailler et un fumoir. Tous les trois ont quitté Paris pour le village de La Roche avec “un projet qui a du sens”. À table, on sert une cuisine végétale, des pièces rôties, des légumes ou poissons préparés dans leur entièreté, des produits locaux et des vins “propres”. Dans les deux chambres et trois suites que compte l’auberge, la déco s’est faite comme ils pensent leurs menus : avec des matières premières qui ont une histoire, rassemblée­s en amont. Une verrière avec des pavés de verre du sol de la Samaritain­e, des sols en terre cuite datant de 1900, des chaises chinées dans la vallée de la Roya : une réjouissan­te authentici­té.

❚ Menu dégustatio­n, 49 €. Chambre double à partir de 155 €/nuit. La Roche, 06420 Valdeblore. www.laubergede­laroche.com

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