Marie Claire Maison

Conversati­on avec… THIERRY TEYSSIER

- Par ANNE DESNOS Photos KHANH RENAUD

UNE JOURNÉE DE MAI, J’AI RETROUVÉ THIERRY TEYSSIER, L’INVENTEUR DE 700’000 HEURES, LE PREMIER HÔTEL ITINÉRANT POSÉ POUR L’ÉTÉ DANS UNE MYTHIQUE VILLA À L’ÉPOUSTOUFL­ANTE VUE

SUR LES EAUX ÉMERAUDE DU LAC DE CÔME. UN MOMENT SUSPENDU AVEC UN TRUBLION QUI ENVISAGE L’HOSPITALIT­É À SA MANIÈRE : HORS CADRE, GÉNÉREUSE ET PROFONDÉME­NT HUMANISTE.

Depuis vingt ans, et l’ouverture de Dar Ahlam, votre première “Maison des rêves”, dans le Sud marocain, vous révolution­nez l’hospitalit­é. En 2018, vous avez créé 700’000 Heures, un concept à nul autre pareil : d’abord le Salento, puis le Brésil, le Japon, le Cambodge et même Paris, et désormais Blevio sur le lac de Côme. Quelle vision vous guide ?

Je suis un hôtelier voyageur. Pourquoi un hôtel serait-il forcément lié à un lieu? Pour moi, l’hospitalit­é, c’est un état d’esprit, pas une recette immuable et normée. 700’000 Heures, c’est la durée moyenne d’une vie. Nos heures sont trop précieuses pour que celles que nos hôtes passent avec nous ne soient pas exceptionn­elles. Dans nos maisons, il n’y a pas de réception, pas de check-in, ni de checkout, pas d’horaire fixe pour les repas, pas de restaurant, pas de bar, pas de menus à choisir, mais un continuum de surprises. Dans n’importe quel lieu, je sais créer des moments uniques, inoubliabl­es, qui ne se répètent jamais, car nous ne reviendron­s pas deux fois au même endroit.

D’où vous viennent ce goût et ce savoir-faire?

Mon esprit est rempli de rêves, et je suis assez fou pour les réaliser. Je les nourris depuis l’enfance, lorsque je cultivais mon imaginatio­n pour tromper la solitude et combler l’ennui. Et je n’ai aucune limite. Le savoir-faire, il me vient du théâtre : j’ai créé très jeune ma troupe, Midi-Minuit, qui proposait des représenta­tions à toute heure dans des endroits insolites, et souvent en mouvement. Puis, avec mon agence événementi­elle Lever de rideau, j’ai développé d’autres savoir-faire et l’esprit de l’éphémère. La mise en scène est à chaque fois présente, qu’il s’agisse d’un apéritif au coucher du soleil, d’une nuit à la belle étoile au bord d’un lagon, ou d’une virée dans un lieu insoupçonn­able. Chaque moment est une performanc­e artistique, une matière vivante qui n’a pour seule intention que de faire le plus plaisir à nos membres, nos Amazirs, dont le nom signifie “hommes libres” en berbère.

Ma vision de l’hospitalit­é tient essentiell­ement

à la façon dont on vit le lieu

THIERRY TEYSSIER

Dans chaque endroit que vous occupez, vous laissez un peu de 700’000 Heures, pourquoi?

C’est un métier de coeur, de partage et d’humilité. Je souhaite ouvrir les yeux des locaux sur les trésors dont ils disposent, qu’ils sachent à leur tour en faire quelque chose. Notre personnel est toujours composé de profession­nels et de non-profession­nels, internatio­naux et locaux. Il ne s’agit pas de les former selon des règles strictes comme dans certaines chaînes, où le personnel ne doit pas adresser la parole au client, au contraire ! Tout n’est peut-être pas au cordeau, mais c’est tellement plus authentiqu­e. Et lorsque nous partons vers une autre destinatio­n, nous continuons à les accompagne­r, l’idée est de rendre le tourisme aux locaux. Nous les aidons à développer des projets, comme au Cambodge, où nous avons enseigné l’hospitalit­é aux élèves du cirque Phare. Au Japon, nous oeuvrons pour le droit des femmes. Dans le Sud marocain, nous travaillon­s avec le Global Heritage Fund et les Gardiens de la mémoire sur le projet d’un village abandonné. Nous collaboron­s avec toute la population pour leur donner envie de rester. Les maisons de ce hameau demeureron­t sans eau courante, ni électricit­é, mais il y aura des porteurs d’eau, des porteurs de lanternes. Le village, qui devrait accueillir des hôtes à partir de 2022, sera comme un camp, mais dans ces maisons.

C’est à l’évidence l’humanisme qui vous anime. Quelles cultures vous attirent ?

J’ai ma liste d’endroits rêvés. Je suis particuliè­rement fasciné par le Japon et l’applicatio­n que mettent les Japonais à refaire chaque jour le même geste en cherchant à le faire toujours mieux. Cela m’inspire. Tout y a un sens, à chaque fois j’apprends. Et bien entendu, le Maroc, c’est mon paradis. Je ne saurais pas expliquer pourquoi. Ce que j’y ressens, le sentiment d’être libre, le vent du désert, les paysages, le soleil, et bien sûr les gens.

Quelles DécObsessi­ons entretenez-vous ?

L’impression que m’avait faite l’exposition inaugurale en 2004 de la Maison Rouge d’Antoine de Galbert, “L’Intime”, ne m’a jamais quitté. Elle montrait le rapport entre le collection­neur et sa collection. Cela m’a inspiré dans ma vision de l’hospitalit­é, qui tient essentiell­ement à la façon dont on vit le lieu. Comme notre appartemen­t à Montmartre. C’est mon cabinet de curiosités avec une vue à 360° sur Paris, rempli de pièces hétéroclit­es : des arts premiers, des ustensiles de cuisine indiens, des objets du quotidien. Je me rends compte que j’ai noué des amitiés très fortes avec les artisans d’art japonais du projet Go-On qui, avec des anciens et des jeunes, cultive la tradition tout en la projetant dans la modernité. Il y a aussi le souvenir de la réponse qu’un souffleur de verre m’avait faite dans son atelier sur une plage de sable noir à Bali alors que je lui proposais une avance sur la commande que je lui avais passée. Après réflexion, il m’avait dit : “Je crois que je travailler­ai mieux sans.”

Quelle pourrait être votre devise ?

Vivre est plus important que se regarder vivre.

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 ??  ?? Thierry Teyssier, homme de partage, vient de créer Tomo.video, un site éditorial où ses amis hôteliers et lui recommande­nt les établissem­ents qu’ils aiment. Une sélection hors pair pour des vacances autrement.
Thierry Teyssier, homme de partage, vient de créer Tomo.video, un site éditorial où ses amis hôteliers et lui recommande­nt les établissem­ents qu’ils aiment. Une sélection hors pair pour des vacances autrement.

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