LA “FRENCH TOUCH” NOUS TOUCHE
MERCI LE CONFINEMENT : IL NOUS A FAIT REDÉCOUVRIR LES RICHESSES DE NOTRE PATRIMOINE ET LES FORMIDABLES SAVOIR-FAIRE DE NOS RÉGIONS. APRÈS S’ÊTRE EMPARÉE DE NOS ASSIETTES, LA FIÈVRE DU “FABRIQUÉ EN FRANCE” SE PROPAGE À NOS INTÉRIEURS. JEUNES ET MOINS JEUNE
“Ce qui me plaît avec les meubles fabriqués en France, c’est que cela suppose un circuit court, avec un meilleur bilan carbone et des emplois à la clé. Ça coûte plus cher de produire ici : c’est donc un effort louable que j’ai envie de soutenir.” Comme Olivier, depuis la pandémie, les Français ont appris à faire des arbitrages. 61 % d’entre eux déclarent acheter le plus souvent possible des produits fabriqués en France et 64 % estiment en avoir augmenté la consommation et restent prêts à y consacrer un budget plus important (1). Un changement de paradigme qui touche la filière déco, du consommateur aux marques en passant par les créateurs. “Avant, on ne devenait un designer «qui compte» qu’en étant édité par une grande maison italienne. Avec ma démarche de production locale, je me sentais bien seule…”, témoigne la designer Élise Fouin. Mais le vent a tourné. L’envie de redonner du sens à ses achats et de privilégier la proximité s’est accélérée. “Ce regain du «fabriqué en France» s’est traduit dans les ventes”, confirme Jules Petras, chargé de mission pour Vosges terre textile, ce label qui atteste qu’au moins 75 % des opérations de production de linge ont été réalisées dans les Vosges. De juin 2020 à juin 2021, 18 millions de produits ont été labellisés contre 16,5 millions l’année précédente.
LE PATRIMOINE EN HÉRITAGE
Des cristalleries Saint-Louis à Christofle en passant par Haviland, Guy Degrenne, Bernardaud ou Baccarat : ces fleurons nationaux perpétuent l’art de la table, véritable institution en France. Cette richesse patrimoniale, basée sur des savoir-faire artisanaux d’excellence, souvent ancestraux, se retrouve dans toutes les strates de la production française. Sous la signature “Entreprise du patrimoine vivant” se regroupent des marques de toutes tailles et tous secteurs : coutellerie (Laguiole Honoré Durand, par exemple), textile (Tissage Moutet, Tissages Cathares, etc.), mobilier (Duvivier, Moissonnier, etc.), décoration (Faïencerie de Charolles, les Poteries d’Albi, etc.), mais aussi vêtements, loisirs, jeux… Les plus anciennes de ces maisons doivent leur longévité à leur capacité à innover et à créer toujours plus de valeur ajoutée à partir de gestes artisanaux savamment détournés. Dans sa dernière collection “Miroir”, Ercuis s’appuie sur le guillochage, une technique d’ornementation apparue au xviie siècle. “Ça ouvre le champ des possibles”, explique Antoine de Rémur, directeur des opérations. Cette volonté de sortir des carcans est à l’origine du partenariat entre Brun de Vian-Tiran et l’ENSCI-Les Ateliers, pour travailler avec les étudiants sur de nouvelles pistes d’utilisation de leur laine exclusive créée au
xviiie siècle, la Mérinos d’Arles antique. Les grandes maisons françaises ont également un autre atout de taille : la richesse de leurs archives, dans lesquelles elles puisent pour retrouver l’inspiration ou reproduire un style précis. Quand le Centre des monuments nationaux s’attelle à la rénovation de l’Hôtel de la Marine, édifice emblématique de la place de la Concorde tout juste rouvert, il souhaite refaire à l’identique les tentures murales de certains appartements de l’intendant. C’est Lelièvre, à travers sa manufacture Tassinari & Chatel — jadis, elle fournissait les plus grandes cours d’Europe —, qui parvient à reproduire brocatelle et satin rayé surgis directement du passé. De même, Pierre Frey, contacté pour la restauration des cabinets de la reine à Versailles prévue en 2022, recrée une toile de Jouy antique en décomposant le motif exotique choisi par les conservateurs du château. Treize cadres plats seront utilisés successivement, un par couleur. “C’est ce qui ressemble le plus à l’impression à la planche en bois, en vigueur durant le xviiie siècle”, explique Sophie Rouart, responsable du département patrimoine chez Pierre Frey.
RETOUR VERS
LE FUTUR
Pour préserver leurs savoir-faire tout en inscrivant les marques patrimoniales dans la modernité, une nouvelle génération de dirigeants a remis au goût du jour des techniques d’antan. Lorsque Corinne Jourdain reprend la Manufacture de Digoin, fondée en 1875, elle veut “redonner leurs lettres de noblesse à des objets culinaires empreints d’histoire”. Main à sel, terrine de Paris et autre écuelle bretonne réapparaissent, moulées, émaillées à la main et marquées du sceau de la manufacture. De même, quand Yves de Talhouët reprend la Faïencerie de Gien, créée en 1821, il décide de “perpétuer la tradition et d’explorer de nouvelles voies en valorisant la création contemporaine”. Chaque assiette passe entre les mains de 30 maîtres faïenciers, avant d’être peinte à la main selon un décor imaginé par des artistes, comme l’illustrateur Cyril Destrade pour la collection “Jardins extraordinaires”. Cette volonté de s’appuyer sur des techniques artisanales ancestrales séduit les designers. Élise Fouin effectue un tour de France des savoir-faire, pour “détourner des gestes traditionnels afin de concevoir des objets qui mettront en relief un territoire précis”. Avec le tisserand Jules Pansu, elle a créé des coussins et des poufs en jouant avec les armures, pour un dialogue entre endroit et envers. Avec le verrier La Rochère, elle a édité des lampes soufflées à la bouche et travaillées en millefeuilles de couleurs, à la manière d’Émile Gallé. Autant de projets qui seront dévoilés dans le cadre de la Paris Design Week. Cette dynamique autour du “fabriqué en France” voit naître des initiatives. Comme la marque d’édition de mobilier en bois Souchet, lancée par deux anciens élèves de l’école Boulle sur le principe de production locale dans un atelier vosgien de menuiserie historique, avec des essences locales. Citons aussi les papiers peints Bien Fait, produits dans le bassin parisien et sur mesure, pour éviter les chutes. Ou encore la peinture à l’huile Pure & Paint, élaborée en région lyonnaise avec au moins 98 % de matières premières naturelles renouvelables. La relève est assurée…
Y A-T-IL UN DESIGN
FRANÇAIS ?
“Quand on a créé la Paris Design Week, ce n’était pas pour reproduire d’autres initiatives du même acabit”, raconte Franck Millot, qui dirige l’événement. “C’était parce que la France dispose d’un patrimoine culturel si fort, avec ses musées et monuments historiques, et une telle qualité d’enseignement du design, que les jeunes créateurs et décorateurs français sont prolixes.” Y a-t-il une “patte” à la française?
“Pour moi, les designers français ont quelque chose de différent, mais que l’on ne peut pas définir par un style précis. La «French Touch» brille au contraire par sa diversité”, avance Élise Fouin. En écho, Samuel Accoceberry constate que le point commun entre les designers français est leur volonté de narration. “On raconte une histoire, avec plein de détails.” Chacun puise dans ses formes et matières de prédilection, pour un résultat jamais ostentatoire. “On est réputés pour notre design équilibré, à la fois simple et chic.”
COMMENT DISTINGUER LE “FABRIQUÉ EN FRANCE”?
“C’est compliqué, quand on souhaite des meubles neufs, d’être certain qu’ils ont été produits en France, admet Olivier. Pour ma part, j’achète du mobilier de seconde main, surtout des années 50. À cette époque, on produisait dans son pays, la question de la délocalisation ne se posait pas!” C’est en effet là que le bât blesse. Si 56 % des Français se demandent si les produits qu’ils achètent pour la maison ont bien été faits en France, 17 % considèrent que les marques communiquent assez peu sur leurs engagements de fabrication (2). Car comment reconnaître le “Made in France”, puisqu’il suffit d’une seule étape de production dans l’Hexagone pour le revendiquer? Le label Origine France Garantie est une solution. Il assure qu’au moins 50 % des frais de production engagés par une entreprise ont été acquis en France et que les caractéristiques essentielles du produit y ont été réalisées. Citons aussi des initiatives régionales, comme le label Vosges terre textile, apposé sur les tissus fabriqués au coeur du massif. Cette sorte d’AOC textile a été couronnée de succès et fait des émules, dorénavant déclinée aussi en Alsace, dans le Nord, en Auvergne-Rhône-Alpes et Troyes Champagne. L’année dernière, en juin 2020, le collectif L’Ameublement français a signé un partenariat inédit avec les 28 distributeurs français de meubles les plus importants. Baptisée “#Meublezvousfrançais”, une opération de grande envergure a été déployée dans plus de 2500 points de vente et sites internet. Objectif : permettre aux consommateurs d’identifier les productions nationales en apposant sur les meubles un logo bleu-blanc-rouge, accompagné du slogan “fabriqué avec coeur dans nos régions”. Le dispositif, installé en magasin sur au moins quinze jours, va être relancé début octobre et devrait devenir un rendez-vous annuel. Petit à petit, sous la pression des “consomm’acteurs”, on peut tracer les origines… Cocorico! ■