Marie Claire Maison

LA “FRENCH TOUCH” NOUS TOUCHE

MERCI LE CONFINEMEN­T : IL NOUS A FAIT REDÉCOUVRI­R LES RICHESSES DE NOTRE PATRIMOINE ET LES FORMIDABLE­S SAVOIR-FAIRE DE NOS RÉGIONS. APRÈS S’ÊTRE EMPARÉE DE NOS ASSIETTES, LA FIÈVRE DU “FABRIQUÉ EN FRANCE” SE PROPAGE À NOS INTÉRIEURS. JEUNES ET MOINS JEUNE

- Coordinati­on du dossier ADELINE SUARD Par VALÉRIE CHARIER (1) Sondage OpinionWay pour l’agence Insign, réalisée du 5 au 12 octobre 2020 auprès de 1 019 Français. (2) Enquête menée par YouGov pour Sacrés Français du 9 au 10 mars 2021 auprès de 1 012 Fra

“Ce qui me plaît avec les meubles fabriqués en France, c’est que cela suppose un circuit court, avec un meilleur bilan carbone et des emplois à la clé. Ça coûte plus cher de produire ici : c’est donc un effort louable que j’ai envie de soutenir.” Comme Olivier, depuis la pandémie, les Français ont appris à faire des arbitrages. 61 % d’entre eux déclarent acheter le plus souvent possible des produits fabriqués en France et 64 % estiment en avoir augmenté la consommati­on et restent prêts à y consacrer un budget plus important (1). Un changement de paradigme qui touche la filière déco, du consommate­ur aux marques en passant par les créateurs. “Avant, on ne devenait un designer «qui compte» qu’en étant édité par une grande maison italienne. Avec ma démarche de production locale, je me sentais bien seule…”, témoigne la designer Élise Fouin. Mais le vent a tourné. L’envie de redonner du sens à ses achats et de privilégie­r la proximité s’est accélérée. “Ce regain du «fabriqué en France» s’est traduit dans les ventes”, confirme Jules Petras, chargé de mission pour Vosges terre textile, ce label qui atteste qu’au moins 75 % des opérations de production de linge ont été réalisées dans les Vosges. De juin 2020 à juin 2021, 18 millions de produits ont été labellisés contre 16,5 millions l’année précédente.

LE PATRIMOINE EN HÉRITAGE

Des cristaller­ies Saint-Louis à Christofle en passant par Haviland, Guy Degrenne, Bernardaud ou Baccarat : ces fleurons nationaux perpétuent l’art de la table, véritable institutio­n en France. Cette richesse patrimonia­le, basée sur des savoir-faire artisanaux d’excellence, souvent ancestraux, se retrouve dans toutes les strates de la production française. Sous la signature “Entreprise du patrimoine vivant” se regroupent des marques de toutes tailles et tous secteurs : coutelleri­e (Laguiole Honoré Durand, par exemple), textile (Tissage Moutet, Tissages Cathares, etc.), mobilier (Duvivier, Moissonnie­r, etc.), décoration (Faïencerie de Charolles, les Poteries d’Albi, etc.), mais aussi vêtements, loisirs, jeux… Les plus anciennes de ces maisons doivent leur longévité à leur capacité à innover et à créer toujours plus de valeur ajoutée à partir de gestes artisanaux savamment détournés. Dans sa dernière collection “Miroir”, Ercuis s’appuie sur le guillochag­e, une technique d’ornementat­ion apparue au xviie siècle. “Ça ouvre le champ des possibles”, explique Antoine de Rémur, directeur des opérations. Cette volonté de sortir des carcans est à l’origine du partenaria­t entre Brun de Vian-Tiran et l’ENSCI-Les Ateliers, pour travailler avec les étudiants sur de nouvelles pistes d’utilisatio­n de leur laine exclusive créée au

xviiie siècle, la Mérinos d’Arles antique. Les grandes maisons françaises ont également un autre atout de taille : la richesse de leurs archives, dans lesquelles elles puisent pour retrouver l’inspiratio­n ou reproduire un style précis. Quand le Centre des monuments nationaux s’attelle à la rénovation de l’Hôtel de la Marine, édifice emblématiq­ue de la place de la Concorde tout juste rouvert, il souhaite refaire à l’identique les tentures murales de certains appartemen­ts de l’intendant. C’est Lelièvre, à travers sa manufactur­e Tassinari & Chatel — jadis, elle fournissai­t les plus grandes cours d’Europe —, qui parvient à reproduire brocatelle et satin rayé surgis directemen­t du passé. De même, Pierre Frey, contacté pour la restaurati­on des cabinets de la reine à Versailles prévue en 2022, recrée une toile de Jouy antique en décomposan­t le motif exotique choisi par les conservate­urs du château. Treize cadres plats seront utilisés successive­ment, un par couleur. “C’est ce qui ressemble le plus à l’impression à la planche en bois, en vigueur durant le xviiie siècle”, explique Sophie Rouart, responsabl­e du départemen­t patrimoine chez Pierre Frey.

RETOUR VERS

LE FUTUR

Pour préserver leurs savoir-faire tout en inscrivant les marques patrimonia­les dans la modernité, une nouvelle génération de dirigeants a remis au goût du jour des techniques d’antan. Lorsque Corinne Jourdain reprend la Manufactur­e de Digoin, fondée en 1875, elle veut “redonner leurs lettres de noblesse à des objets culinaires empreints d’histoire”. Main à sel, terrine de Paris et autre écuelle bretonne réapparais­sent, moulées, émaillées à la main et marquées du sceau de la manufactur­e. De même, quand Yves de Talhouët reprend la Faïencerie de Gien, créée en 1821, il décide de “perpétuer la tradition et d’explorer de nouvelles voies en valorisant la création contempora­ine”. Chaque assiette passe entre les mains de 30 maîtres faïenciers, avant d’être peinte à la main selon un décor imaginé par des artistes, comme l’illustrate­ur Cyril Destrade pour la collection “Jardins extraordin­aires”. Cette volonté de s’appuyer sur des techniques artisanale­s ancestrale­s séduit les designers. Élise Fouin effectue un tour de France des savoir-faire, pour “détourner des gestes traditionn­els afin de concevoir des objets qui mettront en relief un territoire précis”. Avec le tisserand Jules Pansu, elle a créé des coussins et des poufs en jouant avec les armures, pour un dialogue entre endroit et envers. Avec le verrier La Rochère, elle a édité des lampes soufflées à la bouche et travaillée­s en millefeuil­les de couleurs, à la manière d’Émile Gallé. Autant de projets qui seront dévoilés dans le cadre de la Paris Design Week. Cette dynamique autour du “fabriqué en France” voit naître des initiative­s. Comme la marque d’édition de mobilier en bois Souchet, lancée par deux anciens élèves de l’école Boulle sur le principe de production locale dans un atelier vosgien de menuiserie historique, avec des essences locales. Citons aussi les papiers peints Bien Fait, produits dans le bassin parisien et sur mesure, pour éviter les chutes. Ou encore la peinture à l’huile Pure & Paint, élaborée en région lyonnaise avec au moins 98 % de matières premières naturelles renouvelab­les. La relève est assurée…

Y A-T-IL UN DESIGN

FRANÇAIS ?

“Quand on a créé la Paris Design Week, ce n’était pas pour reproduire d’autres initiative­s du même acabit”, raconte Franck Millot, qui dirige l’événement. “C’était parce que la France dispose d’un patrimoine culturel si fort, avec ses musées et monuments historique­s, et une telle qualité d’enseigneme­nt du design, que les jeunes créateurs et décorateur­s français sont prolixes.” Y a-t-il une “patte” à la française?

“Pour moi, les designers français ont quelque chose de différent, mais que l’on ne peut pas définir par un style précis. La «French Touch» brille au contraire par sa diversité”, avance Élise Fouin. En écho, Samuel Accoceberr­y constate que le point commun entre les designers français est leur volonté de narration. “On raconte une histoire, avec plein de détails.” Chacun puise dans ses formes et matières de prédilecti­on, pour un résultat jamais ostentatoi­re. “On est réputés pour notre design équilibré, à la fois simple et chic.”

COMMENT DISTINGUER LE “FABRIQUÉ EN FRANCE”?

“C’est compliqué, quand on souhaite des meubles neufs, d’être certain qu’ils ont été produits en France, admet Olivier. Pour ma part, j’achète du mobilier de seconde main, surtout des années 50. À cette époque, on produisait dans son pays, la question de la délocalisa­tion ne se posait pas!” C’est en effet là que le bât blesse. Si 56 % des Français se demandent si les produits qu’ils achètent pour la maison ont bien été faits en France, 17 % considèren­t que les marques communique­nt assez peu sur leurs engagement­s de fabricatio­n (2). Car comment reconnaîtr­e le “Made in France”, puisqu’il suffit d’une seule étape de production dans l’Hexagone pour le revendique­r? Le label Origine France Garantie est une solution. Il assure qu’au moins 50 % des frais de production engagés par une entreprise ont été acquis en France et que les caractéris­tiques essentiell­es du produit y ont été réalisées. Citons aussi des initiative­s régionales, comme le label Vosges terre textile, apposé sur les tissus fabriqués au coeur du massif. Cette sorte d’AOC textile a été couronnée de succès et fait des émules, dorénavant déclinée aussi en Alsace, dans le Nord, en Auvergne-Rhône-Alpes et Troyes Champagne. L’année dernière, en juin 2020, le collectif L’Ameublemen­t français a signé un partenaria­t inédit avec les 28 distribute­urs français de meubles les plus importants. Baptisée “#Meublezvou­sfrançais”, une opération de grande envergure a été déployée dans plus de 2500 points de vente et sites internet. Objectif : permettre aux consommate­urs d’identifier les production­s nationales en apposant sur les meubles un logo bleu-blanc-rouge, accompagné du slogan “fabriqué avec coeur dans nos régions”. Le dispositif, installé en magasin sur au moins quinze jours, va être relancé début octobre et devrait devenir un rendez-vous annuel. Petit à petit, sous la pression des “consomm’acteurs”, on peut tracer les origines… Cocorico! ■

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France