Conversation avec… SERGIO BUTTIGLIERI
DANS L’UNIVERS TRÈS CONVENTIONNEL ET TRÈS CONFIDENTIEL DU YACHTING, SERGIO BUTTIGLIERI FAIT FIGURE D’OUTSIDER. DIRECTEUR DU STYLE DES CHANTIERS NAVALS SANLORENZO,
IL RÉVOLUTIONNE LE GENRE DEPUIS UNE QUINZAINE D’ANNÉES EN CONVIANT ARCHITECTES D’INTÉRIEUR ET DESIGNERS STARS À CONCEVOIR
COMME DES MAISONS FLOTTANTES DES VAISSEAUX SUPERSONIQUES.
Avec ses quatre sites en Ligurie et en Toscane, couvrant les catégories yachts et super-yachts, Sanlorenzo ne ressemble à aucun autre des chantiers navals spécialisés dans le monde…
Depuis plus de soixante ans, Sanlorenzo construit des bâtiments sur mesure pour lesquels sont déployés des artisanats d’art de haute facture, des savoir-faire d’exception et des technologies de pointe. Lorsqu’il a repris la maison il y a une quinzaine d’années, Massimo Perotti savait déjà qu’il tenait entre ses mains une pépite, mais il a en plus eu l’intuition d’introduire le design dans cet univers aux codes ultra-traditionnels et normés. Il m’a alors proposé de le rejoindre dans l’aventure pour mettre en oeuvre sa vision.
Quelle était votre mission ?
Inviter des architectes et des designers de renommée internationale à concevoir des bateaux sur mesure pour chaque client, comme des résidences secondaires flottantes. Et introduire du mobilier design édité par nos grandes maisons italiennes. Nos signatures sont prestigieuses : Rodolfo Dordoni, Piero Lissoni (qui est aussi notre directeur artistique, il a conçu notre siège et toute l’identité de la marque, ainsi que plusieurs bateaux), Patricia
Urquiola, Antonio Citterio, Liaigre, Bismut & Bismut… Et bientôt, John Pawson.
Qu’ont-ils apporté de nouveau ?
Leur approche, différente de celle des ingénieurs nautiques et plus orientée vers l’art de vivre, a considérablement fait évoluer la conception même des bateaux. Les circulations, l’affectation des espaces, l’ouverture vers l’extérieur pour être au maximum au contact de la mer. Avec Rodolfo Dordoni, le premier à collaborer avec nous, nous avons fait la révolution en présentant au salon nautique de Gênes en 2008 un yacht de 100 mètres, tel un loft new-yorkais, qui a donné un coup de vieux à tout le reste. Patricia Urquiola apporte une touche féminine, de la rondeur, des couleurs. Elle est de plus très engagée dans une démarche écoresponsable. Piero Lissoni, pour sa part, travaille ses projets comme des open spaces.
Lorsque vous êtes “monté à bord” de Sanlorenzo, l’univers du nautisme vous était inconnu, mais celui du design était déjà votre terrain de jeu favori depuis une vingtaine d’années, puisque vous étiez directeur du design chez l’éditeur italien Driade, qui compte dans son catalogue de nombreuses icônes signées de pointures internationales. D’où vous vient cette passion pour le design et l’art ?
J’ai toujours dessiné. À 15 ans, je reproduisais à l’encre de Chine les portraits des maîtres de l’architecture du XXe siècle : Gropius, Le Corbusier, Mies van der Rohe… J’ai très tôt été stimulé par mon frère aîné qui me poussait à lire, à ouvrir mon esprit, à me cultiver, à suivre mon instinct et à épouser mes passions. Je suis né en Sicile – je suis profondément attaché à mes racines ― mais j’ai grandi et étudié à Parme. À l’époque, la ville était un creuset culturel fabuleux : je fréquentais les scènes expérimentales et le festival de théâtre, les cinémas d’art et d’essai, l’opéra, les musées et les bibliothèques, où je passais un temps infini. J’en garde une passion irrépressible pour les livres, comme en témoignent les bibliothèques débordantes de mon bureau et de mon salon. J’ai étudié le dessin d’architecture et l’histoire de l’art auprès de maîtres fantastiques comme le grand critique Arturo Carlo Quintavalle et l’architecte Guido Canali, qui a réhabilité nombre de musées en Italie.
Vous avez ensuite approfondi votre expertise du design chez Driade, une autre maison qui savait se singulariser avec des pièces exposées dans les plus grands musées du monde…
Chez Driade, j’ai travaillé avec les meilleurs designers de notre époque, à commencer par Philippe Starck, le maître absolu pour réinterpréter les archétypes. Mais aussi Ron Arad, Enzo Mari, Christophe Pillet, Xavier Lust… Driade disposait d’un catalogue et d’un portefeuille de créatifs fabuleux. Le fondateur, Enrico Astori, organisait des soirées où se retrouvaient des critiques, des designers, des directeurs de rédaction de magazines d’architecture, des artistes.
Vous avez également eu l’idée d’introduire des oeuvres d’art sur les bateaux.
Oui, nos clients sont souvent aussi des collectionneurs. Finalement, l’ensemble de ces disciplines interfèrent et s’enrichissent mutuellement. Nous sommes donc présents sur plusieurs foires internationales, à commencer par Art Basel. Et avec nos expositions à la Triennale et à l’université de Milan, nous avons remporté le Compasso d’Oro, pour lequel nous concourrons à nouveau cette année. Croisons les doigts…
Je travaille avec les meilleurs designers de notre époque
SERGIO BUTTIGLIERI