MADAME EST SERVIE !
DES MILLIONS D’ABONNÉS SE PASSIONNENT POUR LES ARTS DE LA TABLE SUR INSTAGRAM.
EN TOUTE LOGIQUE, PUISQUE LE RÉSEAU SOCIAL PERMET DE SE NOURRIR DE CLICHÉS, TOUS PLUS INSPIRANTS LES UNS QUE LES AUTRES. LES ÉCLAIREURS DE CE MOUVEMENT?
LES “INFLUENCEURS TABLE” DONT LES ENTREPRISES NE CONNAISSENT PAS LA CRISE.
Depuis un an et demi, recevoir n’a plus la même
saveur. Entre les différents confinements, lorsque des réunions ou des retrouvailles étaient possibles, “les uns comme les autres prenions soin de nous préparer un beau moment”, raconte Laszlo Badet. Couturière chez Chanel, cette Italo-Suisse de 28 ans a lancé son Instagram Cantine Laszlo pour lever des fonds afin de préparer des repas servis aux sans-abri durant cette période. Alors qu’avec 2000 €, elle mitonnait plus de 800 repas, son nombre d’abonnés Instagram explosait. Depuis, c’est grâce à ce réseau social qu’elle cuisine pour des événements. Car “Insta” est devenu un énorme vecteur de popularité pour les arts de la table. S’il y a dix ans, on n’observait que des assiettes remplies de nourriture, on assiste désormais à un flux de photos de tables dressées. Et certaines personnalités apparaissent comme les nouveaux guides des bonnes manières, les cours de maintien en moins. “On ne propose pas un concours d’étiquette et on ne donne aucune leçon!”, lancent d’ailleurs en choeur Arabelle Reille et Péri Cochin, fondatrices de Waww La Table. Sur ce compte Instagram, devenu également un site, elles encouragent la créativité des internautes. “On a eu l’idée durant le premier confinement, racontent-elles. Le manque de réunion entre copains nous a décidées. On a donc recréé ces regroupements de façon digitale pour inciter nos followers à dresser une table, même s’ils n’étaient que deux ou trois à la maison.” Chaque semaine, toutes les photos des tables d’abonnés sont soumises à un jury trois étoiles ― la décoratrice India Mahdavi, le présentateur Stéphane Bern et le chef Thierry Marx ― et le
gagnant remporte de la vaisselle signée des plus belles maisons françaises. À ce jour, leur profil compte 32100 abonnés. Et ça ne s’arrête pas là, puisque les deux amies ont décidé d’éditer des objets pour la table : India Mahdavi, la créatrice de bijoux Aurélie Bidermann et le designer Olivier Gagnère y signent une collection. En parallèle, le duo a également ouvert une section vente en ligne appelée “Les Tables chinées” pour acquérir tous les éléments (nappe, serviettes, verres, etc.) que l’on voit sur des clichés. Chaque table est unique. Le concept a tellement plu qu’il est même disponible dans un corner du Bon Marché depuis fin août. Le site de brocantes en ligne Selency a de son côté lancé sa box d’art de la table avec Le Monde Sauvage pour “souligner l’importance de recevoir”. Des personnalités comme Cordelia de Castellane, directrice artistique de Dior Maison, ou Pierre Sauvage, de la maison Casa Lopez, dont le compte Instagram est un vivier à idées, ont chacun publié un livre sur ce thème. L’art de la table sur Instagram est aussi, et forcément, un business. Héloïse Brion, plus connue sous le pseudo de Miss Maggie’s Kitchen, comptabilise 75500 abonnés. Après avoir officié quinze ans dans la mode, elle quitte tout pour monter son site en juillet 2017 qui fusionne ses deux passions : la table et la cuisine. “Cela ne peut pas être dissocié, affirme-t-elle. Ce qu’il y a dans
l’assiette peut être délicieux, mais si la table est négligée, le voyage n’est pas le même.” Devant l’engouement, Miss Maggie’s Kitchen travaille pour “des missions de conseil ou de direction artistique. Nous avons développé «À Table with Miss Maggie», un espace, sur le site, accessible sur abonnement où nous partageons du contenu exclusif : des recettes, des tables, des rencontres… Nous venons de lancer Parsley by MMK, une collection d’art de vivre, avec de la mode, des accessoires, des pièces pour la cuisine et pour la table. Nous avons même le projet d’ouvrir un lieu!” C’est également sur Instagram que le travail de Sarah Espeute a décollé. Cette artiste marseillaise de 30 ans brode des tables : c’est-à-dire qu’elle représente des couverts, des pichets et parfois des victuailles en trompe-l’oeil sur des nappes chinées. Collaboration avec Sessùn, Le Tanneur ou L’Occitane : il aura suffi d’une commande de nappes par la galerie biarrote A Mano Studio pour créer le buzz autour de cette peintre aux multiples talents. “Les premières tables que j’ai dressées n’étaient pas si jolies, plutôt impersonnelles même, avec du neuf acheté chez Ikea ou en grande surface. Quand j’ai réalisé que tout le monde avait les mêmes, j’ai commencé à préférer le vintage. Je pense que c’est ça, grandir : réfléchir à sa consommation et s’affirmer dans ses goûts.” Et LeBonCoin l’a bien compris en visant la jeune génération à l’aide du “Bon Crew”, soit cinq influenceuses qui travaillent au quotidien pour mettre en avant le site, et la seconde main en général. Ou comment donner le goût à la jeune génération de remettre ce sujet sur la table.