LES SÉRIES, NOUVEAUX PODIUMS?
Ces derniers mois, les séries ont pris une place centrale dans nos quotidiens. Mais c’est aussi le cas des looks des héroïnes de The crown ou Emily in Paris et déjà ceux du très attendu reboot de Gossip girl, qui affolent Internet et les radars mode. Au point d’inspirer la rue, et même les créateurs. Décryptage.
HBO Max a enfin annoncé la diffusion du reboot de Gossip girl prévue cette année. Au casting voulu plus inclusif, Emily Alyn Lind, Jordan Alexander et la transgenre Zión Moreno, qui s’annoncent déjà comme des icônes de mode, du genre à déclencher des best-sellers comme leurs consoeurs de la première version – que celle qui n’a pas rêvé du serre-tête de Blair Waldorf ou des robes de cocktail de Serena van der Woodsen jette la première pierre. Dans les quelques images du reboot qui ont fuité, on aperçoit du Saint Laurent, Christian Louboutin, Gucci et même les sneakers Triple S de Balenciaga. Articles épuisés en vue. Car si le stylisme des séries est devenu prescripteur, il est désormais aussi une source d’inspiration pour les créateurs. Ainsi en décembre dernier, Chanel présentait sa collection Métiers d’art 2021 au Château de Chenonceau et les premières silhouettes défilaient avec une minijupe en damier noir et blanc. Un clin d’oeil au sol de la grande galerie de la demeure historique, sûrement, mais aussi un motif qui flotte dans l’air du temps. Depuis la diffusion de la série Le jeu de la dame sur Netflix, l’histoire d’une surdouée des échecs dans l’Amérique des années 60, le jeu de stratégie a le vent en poupe, le vestiaire «Pradaness» (à l’esthétique très Prada) porté par la jeune Beth Harmon aussi. Ses robes au genou, ses chemisiers à lavallière, ses motifs qui ont entraîné une recherche de + 43 % des vêtements à carreaux selon la plateforme de shopping lyst.fr. Quelques semaines plus tôt, une autre série affolait les radars mode: Emily
in Paris, qui a fait décoller les recherches de bob Kangol de 342 %, toujours selon lyst.fr. « Après sa diffusion sur Netflix, il y a eu une vague de copycat chez les influenceurs : le béret, le bob ou encore les jupes Ganni dont les ventes ont grimpé, affirme Maud Barrionuevo, directrice des achats du site 24s.com. La mode nourrit ces séries, mais l’inverse est vrai aussi puisqu’elles remettent au goût du jour certaines tendances. »
QUI N’A PAS FANTASMÉ SUR LES ESCARPINS MANOLO BLAHNIK de Carrie Bradshaw dans Sex and the city ? Les silhouettes sixties de la secrétaire Peggy dans Mad men ? Le look campagne chic avec une veste Barbour façon famille royale britannique (39 % d’augmentation des
recherches depuis la diffusion de The crown, selon
lystfr) ? « Ces shows fabriquent des looks. Déjà Diana Rigg dans Chapeau melon et bottes de cuir donnait envie à toute une génération de porter des combinaisons en PVC et des bottes plates, retrace Ava Cahen, chroniqueuse dans
l’émission Une heure en séries sur France Inter. Ils proposent des “role models” auxquels on s’identifie, encore plus aujourd’hui avec l’accélération de la consommation des séries. La diffusion de Stranger things a par exemple entraîné le retour dans les boutiques des vestes en jean sans manches, des T-shirts XXL, des casquettes à la Spielberg.» Même Nicolas Ghesquière chez Louis Vuitton a fait défiler en 2018 un T-shirt à l’effigie des personnages. Car les séries ont pris une place centrale dans nos vies avec l’explosion de plateformes comme Netflix, qui compte désormais plus de 195 millions d’abonné·es, un phénomène décuplé depuis la pandémie. « Ce binge watching a érigé les personnages en modèles. Et comme on les suit sur plusieurs épisodes, on s’y attache et on s’y identifie. Notamment pendant le confinement, où les séries restaient l’une des rares sources d’inspiration », décrypte Ambre Venissac, du bureau de tendances Carlin. LES SÉRIES ANGLO-SAXONNES ONT GAGNÉ UNE CRÉDIBILITÉ avec des vestiaires pertinents, précis et terriblement MODE séduisants, quand Dix pour cent et Family business n’ont pas fait émerger de tendances. « Dans Le jeu de la dame, la costumière Gabriele Binder s’est inspirée de Pierre Cardin et Christian Dior pour illustrer la sophistication de l’héroïne. Pour The crown, ancrée dans les années 80, sa consoeur Amy Roberts met en avant notamment les épaules marquées, que l’on peut d’ailleurs retrouver aujourd’hui chez Balenciaga », observe Matthew Yokobosky, commissaire d’une exposition virtuelle sur les vestiaires des deux séries, « The queen and the crown », qui vient de s’achever au Brooklyn Museum, aux États-Unis. On pouvait y apercevoir la
“Il y a de fortes chances de retrouver cette influence sur les prochains podiums, car ces silhouettes nourrissent l’imaginaire collectif.” Ambre Venissac, du bureau de tendances Carlin
robe de mariée de Lady Di, plus loin, le top noir et blanc façon André Courrèges de Beth Harmon et sa robe en velours vert inspiration Swinging London, soigneusement choisis par Gabriele Binder. « En observant attentivement les joueurs d’échecs, j’ai réalisé qu’ils avaient tous quelque chose de singulier, cette volonté de se sentir à l’aise dans leurs vêtements pour être totalement concentrés sur le jeu, explique-t-elle. Les années 60 marquent une révolution dans la société mais aussi un grand bond dans le domaine de la mode. Aujourd’hui, plusieurs marques de cette décennie reviennent : Nina Ricci, Courrèges, Celine et sûrement bientôt Pierre Cardin, dont les créations si modernes ont toutes les chances d’être à nouveau au goût du jour. »
SI LE PUBLIC MONTRE UNE APPÉTENCE PARTICULIÈRE POUR LES TENUES DE CES HÉROÏNES – près de 22000 abonné·es au compte Instagram emilyinparisoutfit –, les créateurs se sont eux aussi nourris de cette source d’inspiration pendant les mois d’isolement. La nouvelle marque new-yorkaise Rowing Blazers a notamment réédité le pull rouge à moutons blancs de Lady Di. « Il y a de fortes chances de retrouver cette influence sur les prochains podiums, car ces silhouettes nourrissent l’imaginaire collectif. On verra peut-être une reprise du béret, ou bien une évocation, un clin d’oeil », affirme Ambre Venissac. Et avec les photos de ces personnages punaisées sur les story-boards des studios de création, rien d’étonnant à avoir aperçu le manteau à carreaux du Jeu de la dame dans les rayons de Zara. Pour apprendre les échecs, en revanche, il faudra un peu plus de temps.