Julien Dossena L’ultra-brillant
Le directeur artistique qui ravive l’héritage de la maison Rabanne depuis dix ans vient de renouveler son engagement. L’occasion d’évoquer son goût d’un savoir-faire exceptionnel, ses envies de glamour et sa vision de l’avenir.
Comment définiriez-vous le sens de la fête et quel en serait son vestiaire idéal ?
Il est synonyme de liberté. En tant que designer, j’ai toujours été intéressé par le glamour, plus particulièrement par la façon dont il peut donner du pouvoir. Cela ne signifie pas forcément porter des talons hauts et prendre un taxi. Il peut aussi être totalement «effortless», avec cette subtilité de ne pas en faire trop. J’ai en tête l’image de Françoise Hardy en robe métallique achetant une baguette dans un quartier populaire parisien. Une femme en mouvement, qui ne se soucie pas de la radicalité d’une tenue Rabanne en maille métallique. Paco Rabanne avait en son temps démocratisé sa mode, notamment avec des robes en kit à faire soi-même.
En quoi cette idée d'accessibilité est-elle importante pour vous?
J’étais enthousiaste à l’idée de démocratiser le nom de Paco Rabanne, afin que plus de personnes puissent s’offrir une pièce emblématique. Chez Rabanne, nous créons une mode qui revendique une approche radicale et un savoir-faire exceptionnel. Le produit haut de gamme est conceptuel et pas toujours évident à se procurer. C’est pourquoi j’ai souhaité proposer un best of pour la collection avec H&M (en novembre dernier, ndlr). L’opportunité de s’approprier une pièce emblématique qu’on gardera longtemps est, à mon sens, ce qu’il y a de plus excitant dans les collaborations avec H&M. Étudiant, j’ai eu le plaisir d’acquérir des modèles de maisons comme Versace, Maison Margiela grâce à leurs collections pour H&M.
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Qu'est-ce qui vous a inspiré pour cette collection?
Je voulais qu’elle évoque une atmosphère festive et luxueuse. J’ai imaginé une réunion d’amis aux personnalités atypiques dans une atmosphère à la fois légère et électrique. S’y mêlent nos emblématiques pièces en cotte de mailles et en pastilles métalliques inspirées des archives, un tailleur très seventies, des robes en dentelle de style 1930 et des pièces plus sportswear. Je voulais que la collection inspire la confiance en soi, mais qu’elle soit aussi facile à porter. C’est un équilibre que j’essaie toujours de trouver. Quant aux objets de décoration, ils renvoient à un certain style de vie, à l’image de ces gobelets en métal façon fêtes américaines ou ces vases qui penchent comme la tour de Pise pour un twist moderniste sur une cheminée.
Pour cette collaboration, vous avez aussi travaillé sur des pièces pour la maison. Avez-vous envie d'étendre votre domaine d'expression créative?
Un bon designer essaie toujours de mélanger les genres et les codes, de se diversifier vers de nouvelles catégories, de moderniser l’identité d’une maison historique. Bien sûr, je considère et respecte toujours l’oeuvre de Paco Rabanne, mais il est essentiel d’avoir l’assurance nécessaire pour savoir parfois prendre des risques. Nous sommes clairement dans une nouvelle ère chez Rabanne. Ceci étant dit, n’oublions pas que Paco Rabanne créait déjà des meubles et des objets pour la maison. Il était obsédé par l’idée de tout recouvrir de métal, et dans les années 70, il a ainsi dessiné des meubles métalliques. Vous travaillez avec un atelier, chez Rabanne, où certaines pièces sont réalisées artisanalement.
Comment vous êtes-vous adapté au système de production de H&M ?
Ce sont les matériaux qui guident la conception ; il faut maîtriser la matière pour obtenir le design souhaité, car il s’agit d’une façon conceptuelle de couper et de fabriquer des vêtements. Avec H&M, nous avons travaillé à une échelle plus grande, mais j’ai été impressionné par le savoir-faire et la qualité des matériaux. Certains vêtements comportaient des éléments artisanaux, comme les robes en cotte de mailles. D’un point de vue technique, ce sont les pièces dont je suis le plus fier car H&M a réussi à développer un mélange de métal conventionnel et recyclé avec la même qualité, la même résistance et la même brillance que le métal traditionnellement utilisé.
Zalando, H&M: ces collaborations sont-elles une façon de toucher un public plus jeune qui ne connaît pas forcément T'histoire de la maison?
Il est vrai que Paco Rabanne était très ancré dans les années 70. Ce que j’ai essayé de faire au sein de la maison, c’est de respecter cette histoire tout en envoyant un message différent. Par le biais de cette collaboration, j’ai voulu bien sûr que notre marque soit présentée à un plus grand nombre de femmes mais également que celles-ci puissent goûter au plaisir de porter du métal sur la peau. C’est une expérience incroyablement sensuelle, plus sensuelle que la soie, et en même temps plus radicale. C’est un matériau si lourd qu’il vous maintient vraiment, comme une armure.
Vous avez renouvelé votre engagement envers la maison Rabanne. Vous êtes-vous fixé un cahier des charges pour la nouvelle décennie?
Je n’arrive pas à croire que cela fait déjà dix ans! La question qui s’est posée quand j’ai commencé était: comment établir un discours neuf pour cette maison tout en respectant son ADN et en lui apportant une certaine modernité? Nous avons exploré tant de choses différentes ces dix dernières années, mais j’ai encore beaucoup d’idées pour l’avenir. Je partage avec le fondateur (décédé le 3 février 2023, ndlr) une approche d’exploration constante et de radicalité. Je suis toujours ouvert aux différentes possibilités et je reste curieux. Repartir sur une nouvelle décennie en cherchant à proposer des formes inédites d’individualité, de liberté et de modernité m’enthousiasme beaucoup.
“Porter du métal sur la peau est une expérience incroyablement sensuelle, plus sensuelle que la soie et en même temps plus radicale.”