Marie Claire

IRAK : LES INSOUMISES KURDES EN GUERRE CONTRE LE DJIHAD

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Parce qu’elles ne veulent pas être kidnappées et mariées aux troupes de l’Etat islamique, des centaines de révoltées ont rejoint les factions kurdes du pays. Et résistent aux hommes d’Allah qui étendent leur califat. C’est sur leur ligne de front que nos reporters ont rencontré en exclusivit­é ces soldates prêtes à sacrifier leur vie pour rester libres. Par Manon Quérouil-Bruneel. Photos Véronique de Viguerie.

Ongle vernis sur la gâchette, tapie derrière des sacs de sable, Ranguin guette un ennemi invisible. A ce poste de combat avancé, au coeur d’une plaine vaste comme un désert, le calme est trompeur. Au terme de combats acharnés contre les hommes de l’Etat islamique (EI ou Daech, en arabe), les forces kurdes sont parvenues à grignoter du terrain pour reprendre le contrôle des environs de Jalawla, ville clé située à 130 km de la capitale irakienne, Bagdad. Voilà une semaine que ce bataillon mixte d’une trentaine de soldats de l’Union patriotiqu­e du Kurdistan – un des deux principaux partis de cette région autonome d’Irak – tient la position, dans l’attente d’une livraison d’armes lourdes. Une semaine à se battre contre la chaleur, la fatigue et un adversaire à la fois proche et volatil. « On les entend, le soir, sur les fréquences radio, raconte Ranguin, le visage cuit par le soleil. Ils nous disent : “Sale chienne, si on t’attrape on sera vingt-cinq à te passer dessus avant d’envoyer ta tête à ta mère par la poste.” » Pas de quoi effrayer cette peshmerga (terme kurde qui signifie littéralem­ent « qui va au-delà de la mort ») de 29 ans, dont treize passés à faire la guerre. Mobilisée tour à tour pour l’indépendan­ce des Kurdes puis contre l’armée de Saddam Hussein, elle considère que le combat qu’elle livre aujourd’hui est le plus important de sa vie.

PLUS CRAINTES QUE LES HOMMES

Les quinze guerrières présentes sur le front ce jour-là opinent. Toutes se battent, disent-elles, afin de préserver l’exception kurde ; le « dernier îlot de liberté » dans une région qui menace de basculer sous la coupe des islamistes – dont le territoire court depuis la banlieue de Damas, en Syrie, jusqu’aux faubourgs de Bagdad. Pour faire barrage au prétendu califat, les peshmergas sont persuadées d’apporter une singulière valeur ajoutée. « Les islamistes ont plus peur de nous que de nos frères. Ils pensent que s’ils sont tués par une femme, un être “impur”, les portes du paradis ne s’ouvriront pas pour eux », pouffe Ranguin. Pourtant, les forces kurdes hésitent à se risquer dans la ville de Jalawla, située à moins de 2 km du front. Quelques familles y vivent encore, prises entre deux feux. « Les civils ont déjà trop trinqué », se désole la colonelle Nahida Ahmed Rashid, en charge du contingent féminin, en désignant, en contrebas, un charnier où s’entassent vingt-sept corps décapités, dont celui d’un enfant de 2 ans. Pas question, toutefois, de la soupçonner de sentimenta­lisme, ni d’imaginer que son statut de femme et de mère influence de quelque manière son commandeme­nt. La colonelle est une soldate avant tout : « Je ne me préoccupe pas davantage qu’un homme des conséquenc­es de la guerre que nous devons mener. Mes troupes sont là de leur plein gré. Nous savons toutes qu’il n’y a aucune garantie de rentrer vivantes. » En un mois, cinq de ses combattant­es ont péri. Deux jours plus tôt, c’est Nigar Hosseini, étudiante de 19 ans engagée au côté du Parti de la liberté, une branche iranienne de la guérilla kurde, qui a été déchiqueté­e par un tir de roquette. La veille encore, elle postait sur Facebook une photo d’elle en uniforme, souriante. « Un matin d’août, elle a vu à la télé un reportage sur des femmes vendues comme esclaves aux combattant­s islamistes. Elle s’est levée sans un mot, et une semaine plus tard elle était sur le front », raconte sobrement Mohamed, son père, tentant de faire bonne figure devant les cadres du parti venus l’accompagne­r sur la tombe de la jeune femme. Dissimulan­t son chagrin sous un masque patriotiqu­e, le père se déclare fier de sa fille, « morte debout, pour son pays et pour ses soeurs ». Révoltées par le sort réservé à leurs semblables, les femmes kurdes seraient déjà une centaine à rejoindre, au sein des différente­s factions kurdes engagées en Irak, la lutte armée contre Daech. « Nous avons beaucoup souffert sous Saddam Hussein, mais ce n’est rien à côté de ce qui attend les femmes si l’Etat islamique s’empare

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SHAISTA RARMANI, 36 ANS, UNE DES RARES SOLDATES À ÊTRE AUSSI MÈRE. C’EST SON MARI QUI LUI AMÈNE LEUR FILS, SAAMAL, À L’HEURE DE L’ALLAITEMEN­T.

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