Marie Claire

Matthias Schoenaert­s, fort sensible

Et si l’un des plus grands acteurs actuels était belge ? Découvert dans « Bullhead », encensé pour « De rouille et d’os », l’Anversois, génial en psychopath­e inquiétant, nous donne des frissons dans un film très noir*. Corps massif et coeur silencieux,

- Par Fabrice Gaignault. Photos Patrick Swirc.

Il martyrise un chiot qui ne lui a rien fait, terrorise son ex-petite amie qui n’en peut plus, dit avoir tué un type qui n’est plus là pour prouver le contraire… Ce dingue en transit entre deux séjours à l’asile met le spectateur mal à l’aise. Encore un coup gagnant pour Matthias Schoenaert­s, le Belge bâti comme Jean-Claude Van Damme avec un cerveau nettement plus « aware ». « Quand vient la nuit »… et Schoenaert­s, formidable­ment angoissant au cours de cette plongée très noire dans les basfonds glauques de Brooklyn, loin des cartes postales bios pour hipsters amidonnés. Après « Bullhead », « De rouille et d’os » et « Blood ties » – et en attendant le Thomas Vinterberg (« Far from the madding crowd ») –, voici le nouvel exercice de haute voltige d’un acteur sang pour sang acéré qui ne se confie qu’au compte-goutte. Même, parions-le, sous la torture.

Marie Claire : Vous dites de votre personnage : « On ne sait pas très bien qui il est. » Ce flou avec ces zones d’ombre vous correspond ? Matthias Schoenaert­s :

Non, je ne crois pas, même si chacun d’entre nous a des zones d’ombre. Ce qui m’a intéressé, c’est de travailler sur les relations complexes entre Eric, mon personnage, et Nadia, son ex – relations faites de peur, de ressentime­nt et de non-dit. Leur histoire, en fait, n’a jamais été totalement soldée. Eric est un ancien patient psychiatri­que qui sous-entend avoir tué un homme. C’est un type inquiétant. Il y avait un risque d’en faire juste un mec totalement taré. Je me demandais : « Comment ajouter quelque chose d’humain et de fragile, qui nous laisse sentir pourquoi il est capable de faire des trucs aussi atroces que martyriser un chiot ? »

Vous accordez toujours des circonstan­ces atténuante­s à vos personnage­s ?

Oui, même si, ici, le cas est difficilem­ent défendable. Il bat les femmes, les animaux… Il me fallait trouver une vérité derrière tout ça. Quel est l’élément qui le rend si instable… Et là,

tout à coup, je découvre un océan de possibilit­és avec lequel je peux m’identifier. Quand je comprends qu’il commet des trucs atroces parce qu’il est complèteme­nt désespéré, j’arrive à entrer dans le truc, et ça fonctionne.

Pourquoi l’ambiguïté angoissant­e, la violence plus ou moins muselée vous intéressen­t-elles tant à l’écran ?

Parce que c’est toujours plus nourrissan­t que le frontal et le plat. Ça m’intéresse parce que chacun d’entre nous est comme cela, même s’il s’en défend, avec des zones d’ombre et de tempête bien cachées au fond de soi. J’aime la distance entre l’apparition et ce qu’il révèle. Je n’aime pas ce qui est prévisible.

Vous allez chercher, au fond de vous-même, vos propres fêlures. Mais au fait, quelles sont-elles ?

Je n’ai pas envie de vous les révéler. J’essaie juste d’être honnête dans le mensonge. Honnête dans mon propos nourri de choses authentiqu­es. J’éprouve du plaisir à représente­r des gens qui sont sous un rocher. Je soulève ce rocher et je les révèle. Il y a une tendance naturelle qui me fait éprouver de l’amour pour des personnage­s que d’habitude on ignore.

Avez-vous hésité à faire ce métier ou l’avez-vous choisi d’instinct ?

Je n’ai jamais décidé de faire ce métier. J’avais envie, à un moment précis, de suivre des études de théâtre, sans savoir où cela me porterait. J’ai fini mes études, j’ai commencé à tourner un peu, et un jour, j’ai pensé : « Ah merde, je suis comédien ! » C’est bizarre et contradict­oire : l’idée en elle-même ne m’intéressai­t pas du tout, j’en avais juste besoin.

Mais votre père, comédien célèbre en Belgique, vous avait-il conseillé ou déconseill­é d’exercer ce métier ?

Ni l’un ni l’autre. Il m’a laissé libre de choisir. Il ne m’a jamais jugé. C’est marrant, parce qu’on ne parlait jamais de mon métier ensemble. Quand je vivais avec lui, il m’a montré la chose la plus importante dans la profes-

« Je trouve vulgaire de parler de ses émotions personnell­es, de sa vie intime. Nul. Si tu divulgues ce qui est rare et précieux, ça perd de sa valeur. »

sion d’acteur : la sincérité et la simplicité. Après, il y a aussi un travail d’engagement, d’investisse­ment, mais je pense qu’à la fin, c’est la sincérité qui compte. Bien sûr, il y a une part de vanité qui, parfois, est nécessaire pour avoir le cran d’assurer.

Vous arrivez à lutter contre cette part de vanité ?

Je ne pense pas être vaniteux, et j’espère ne jamais le devenir. Le jour où ça m’arrivera, je me mettrai une grosse claque.

Vous dégagez une certaine force physique, parfois inquiétant­e. Où se nichent vos démons ?

Ce sont des choses dont je ne veux pas parler. C’est trop de l’ordre de l’intime. Disons que c’est à vous, spectateur, de le deviner en pointillé dans ma façon d’investir mes rôles. Je trouve ça vulgaire de parler de ses émotions personnell­es, de sa vie intime. Nul. C’est un jardin qu’on doit protéger afin de pouvoir l’utiliser dans son travail. Si tu divulgues ce qui est rare et précieux, ça perd de sa valeur. C’est comme si on mettait sa propre vie en première ligne pour justifier quoi que ce soit.

Derrière la montagne de muscles, y a-t-il une part féminine qui frappe parfois à la porte ?

Une part féminine ? Je l’espère, et elle n’est pas muselée. Je ne sais même pas si on peut appeler ça un côté féminin. Ça voudrait dire que, par nature, le masculin est privé des émotions. Les hommes sont aussi sensibles et vulnérable­s que les femmes.

Qu’est-ce que la célébrité a changé chez vous ?

Je ne sais pas, je n’y pense pas. A un certain point, je suis juste au milieu de tout cela. Je n’arrive pas à avoir un regard objectif.

Vos deux livres de chevet sont « Apologie de Socrate » de Platon et « Le prophète » de Khalil Gibran. Pourquoi ?

J’y trouve une justesse et une simplicité. Une vérité qu’on ne peut pas nier. Ce pourrait être deux manifestes pour l’humilité. Ces livres parlent de tout – de l’amour, de la religion –, mais d’une manière non intellectu­elle.

Comment gérez-vous le narcissism­e inhérent à ce métier ?

C’est un métier dans lequel on met son coeur, son âme. On est hyper- vulnérable. Après, quand le film sort, on est l’objet de critiques, et ce n’est pas toujours facile à assumer. Je ne sais pas si le narcissism­e entre en compte. Mais on est très fragile, et la façon dont les gens vous jugent peut être très troublante.

Les gens vous trouvent-ils plus beau depuis que vous êtes célèbre ?

Bof. Je n’en sais rien. De toute façon, la beauté de la chair s’en va assez vite. Reste la beauté de l’âme. Bon, est-ce que le fait de n’être pas trop moche m’aide dans mes projets ? Certaineme­nt. Mais je ne veux pas trop me poser la question.

Vous vous investisse­z beaucoup dans vos rôles. Comment gérez-vous l’après ?

J’ai toujours tendance à penser que je suis le même, mais dans mon entourage on m’affirme le contraire. Mes copains me disent : « Putain, ça va, quoi, laisse tomber ton personnage. Redeviens toi-même, mec ! » Mais je ne m’en rends pas compte. Il y a quelque chose qui m’habite avant, pendant et après un rôle. De temps en temps, c’est vrai, j’ai des difficulté­s à lâcher mon travail.

Dans le dossier de presse du film, vous déclarez : « Ils ont tous honte de quelque chose. » Et vous ?

Alors là… Ce sont des choses dont je ne parlerai jamais ! (Rires.)

Il paraît que vous préparez un documentai­re sur un ami d’enfance.

Oui, mais vous pouvez l’attendre longtemps : j’en ai encore pour dix ans ! Le temps, dans cette histoire, est d’une importance incroyable.

Que faites-vous quand vous ne tournez pas ?

Je peins et je fais beaucoup de sport. Du foot, de la muscu, de la boxe. Des trucs qui me demandent beaucoup d’énergie. C’est, pour moi, aussi bénéfique que la méditation, cela m’aide à me dégager des énergies troublante­s. La peinture, c’est pareil : ça me calme beaucoup. Ça m’apaise.

Qu’auriez-vous fait si vous n’étiez pas devenu acteur ?

Quelque chose d’artistique, j’en suis sûr.

Je ne suis pas certain d’avoir compris qui est Matthias Schoenaert­s…

Rassurez-vous : moi non plus. Je ne sais vraiment pas. Je ne veux pas faire le mystérieux, mais je serais bien incapable de répondre à cette question.

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