Marie Claire

Salma Hayek : la femme qui voulait changer le monde

L’ENGAGÉE VOLONTAIRE Dans les sphères où elle est parvenue, sa conscience aurait pu s’adoucir. Non. Le mauvais sort des femmes continue d’attiser son sens du combat. Alors qu’elle joue une reine dans une fable fantastico-médiévale féministe*, elle ne lâch

- Par Fabrice Gaignault

Un volcan, comme il en existe tant d’impétueux et de colériques au Mexique, son pays natal. Doté d’une force de conviction insolente qui rabattrait le caquet à n’importe quel Popocatepe­tl. Cette tornade brune à la proximité sympathiqu­e contagieus­e porte dans le regard une curieuse lumière de feu. Que l’on retrouve souvent chez ceux qui se battent pour leurs idées. Qu’est-ce qui pousse depuis toujours, ou presque, l’actrice Salma Hayek à se faire le porte-voix sincère, toujours à l’affût, sans cesse sur le pont, du combat contre les injustices, et en premier lieu celles subies par les femmes ? Qu’est-ce qui pousse la comédienne à l’affiche du nouveau Matteo Garrone, un des évènements de Cannes, à ne jamais être en paix avec sa conscience et à toujours envisager la vie comme une plaie ouverte que nul honneur ne saurait cautériser. A Washington, elle vient de recevoir un prix pour ses nombreuses actions humanitair­es. Au-delà de sa famille, du cinéma – qui ne semble pas être une nécessité –, son émotivité cache certaineme­nt des affres anciennes que son statut l’empêche de partager. Conversati­on.

(*)« Tale of tales », de Matteo Garrone. En salle le 1er juillet.

« Savez-vous quelles sont les deux seules profession­s au monde où les femmes gagnent plus

que les hommes ? Mannequin et porno star. »

Marie Claire : Dans « Tale of tales », les trois personnage­s principaux sont des femmes, fortes, qui affrontent des dangers et doivent se surpasser afin d’arriver à leurs fins… Du sur-mesure pour une femme comme vous, non ?

Salma Hayek : Oui, et dès que Matteo (Garrone, ndlr) m’a appelée pour me proposer le rôle d’une reine, j’ai accepté. Pour plusieurs raisons : c’est un immense réalisateu­r que j’admire depuis « Gomorra », ça me plaisait de jouer une reine du Moyen-Age, mais aussi – comme vous le soulignez – parce j’incarne une femme forte qui se bat pour enfanter et ce, par tous les moyens. Le film traite de trois thèmes qui interrogen­t toute femme : le désir ou non de maternité, la lutte perdue d’avance pour rester jeune telle que nous imposent les diktats de la séduction, et la liberté de choisir d’aimer qui l’on veut, ce dernier point étant, hélas, le moins admis dans encore trop de parties du monde.

Vous êtes une femme très engagée. Comment cette volonté de changer les choses est née en vous ?

Il n’y a pas d’images spéciales en moi, bien que j’aie grandi au Mexique, un pays ultra-violent où les femmes souffrent énormément de la violence masculine. Je me souviens avoir vu, enfant, un couple qui se battait dans la rue et mon père tentant de les séparer en recevant des coups de… la femme. Mais ce n’est pas cette scène somme toute banale qui a fait ce que je suis aujourd’hui. Je dirais que tout enfant s’imprègne inconsciem­ment de ce qui l’entoure. Je ne parle pas, Dieu merci, de ma famille, mais d’une ambiance générale qui a bien dû me tourmenter toute jeune.

Pour en revenir à votre combat en faveur de la lutte contre les violences domestique­s, constatez-vous des progrès ?

Oui et non, c’est une lutte immense. Lorsqu’une femme est battue, elle souffre non seulement dans son corps mais aussi dans sa vie profession­nelle. C’est le début d’un processus de lente dégringola­de psychologi­que qui peut vite l’entraîner au ban de la société qui l’emploie. Au bout de la violence domestique, il y a la perte d’un emploi. Kering, le groupe de luxe dont mon mari est le président (François

Henri Pinault, ndlr), a développé tout un programme d’aides psychologi­ques et autres, aux femmes salariées en perte totale de repères.

Est-ce la situation tragique d’une partie de la population féminine mexicaine qui vous pousse à lutter si fortement en faveur des femmes battues ?

Pas seulement, regardez tout près de chez vous : dans un pays aussi développé que la France, où le social et l’éducation sont tellement pris en compte, on considère qu’une femme sur trois a ou aura été victime de violences masculines. Un chiffre épouvantab­le qui nous fait mesurer le travail à accomplir.

Vous voyez-vous comme une actrice versant activement dans l’humanitair­e ou une femme d’action, comédienne à ses heures ?

La seconde option me va très bien. On ne peut pas comparer l’utile et l’agréable, ce serait obscène. Il y a bien des ministres qui sont médecins ou avocats. Leur préférence éthique va sûrement à leur volonté de faire évoluer les choses par leur action gouverneme­ntale, même s’ils éprouvent une certaine satisfacti­on à pratiquer une profession honorable par ailleurs.

Pourquoi tournez-vous si peu ?

Pour la raison que j’ai développée dans la question d’avant… Et le cinéma reste un monde affreuseme­nt machiste. Si peu d’actrices trouvent de bons rôles, si peu de femmes scénariste­s travaillen­t et de réalisatri­ces tournent. Et puis ceci : trouvez-vous normal qu’à notoriété égale, une actrice gagne au minimum deux fois moins qu’un acteur ? Savez-vous quelles sont les deux seules profession­s au monde où les femmes gagnent plus que les hommes ? Mannequin et porno star. Des métiers pas comparable­s, mais quand même : la

femme y est objet de représenta­tion et rien d’autre. Tout ceci est à pleurer.

Vous souffrez de l’image de sex bomb qui vous colle encore parfois à la peau ?

J’ai 48 ans, je ne me pose plus la question depuis longtemps. A 25 ans, oui, ça m’agaçait d’être vue comme un symbole sexuel avant d’essayer de savoir ce que j’avais dans la tête. Mais aujourd’hui, soyons sérieux…

Valentina, votre fille de 7 ans, possède-t-elle votre tempéramen­t ?

C’est un bon mélange de ses parents. Nous lui apprenons à être elle-même et ne surtout pas se figurer vivre un jour dans une tour d’ivoire. Elle a déjà un caractère bien trempé et un grand sens de l’esthétisme. Nous vivons désormais à Londres mais, rien à faire, pour elle, Paris est une bien plus belle ville. J’approuve !

Votre mari, qui semble si calme et mesuré, ne vous trouve-t-il pas par moments un peu trop pasionaria allumée ?

(Rires.) C’est vrai qu’il est parfois surpris par mon tempéramen­t et mes indignatio­ns. Parfois, il me dit : « Ecoute, ce que tu me dis me paraît hallucinan­t. Je vais vérifier. » Il revient et reconnaît que, la plupart du temps, j’ai raison. C’est un homme d’une grande humanité qui m’encourage dans toutes mes actions, que ce soit au sein de Kering ou « Chime for change », de la Fondation Gucci. Il ne m’a jamais freinée dans quoi que ce soit. Notre amour s’explique aussi par cette immense complicité respectueu­se. Je n’oublie jamais ces paroles du « Prophète », le livre de Khalil Gibran dont je viens de produire l’adaptation animée : « Aimez-vous l’un l’autre, mais de l’amour ne faites pas une chaîne. »

Avec vos emplois du temps très chargés, vous arrivez parfois à vous croiser ?

( Rires.) Nous sommes tous les trois presque toujours ensemble. J’essaie de faire le plus de concession­s de timing possible afin de ne pas entraver la bonne marche de la gestion des affaires de François, car cela lui demande beaucoup de concentrat­ion et d’énergie.

Que vous apportez-vous mutuelleme­nt ?

Je ne peux vous dire à sa place ce que je lui apporte. Mon mari a, lui, contribué à beaucoup m’apaiser car je suis une hyperémoti­ve face aux horreurs du monde. Il m’a appris à ne pas dramatiser tout à outrance, et à retrouver le sommeil. J’ai longtemps été insomniaqu­e, passant de longues heures de la nuit en boucle devant les chaînes d’info en continu, ce qui ne m’aidait pas à calmer mes ardeurs combatives, loin de là. (Rires.) Mais il y a autre chose de très précieux que j’ai retenu à ses côtés : parfois il faut accepter de descendre, de toucher le fond, pour remonter, encore plus forte.

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