Marie Claire

Comment on rencontre un homme aujourd’hui

On ne trouve pas l’amour en 2015 comme il y a dix ans. Entre les sites et les applicatio­ns de dating, les moyens de se trouver ont changé. Au point de se demander si une simple rencontre dans la rue va devenir préhistori­que. Enquête au pays des célibatair

- Par Caroline Rochet. Illustrati­ons Jeanne Detallante.

Et vous, comment vous êtes-vous rencontrés ? » La plupart des couples adorent se remémorer leur légende personnell­e. La phrase, somme toute classique, résonne pourtant de façon particuliè­re de nos jours. Entre les zappeurs de Tinder, les dinosaures de Meetic et les romantique­s à l’ancienne qui ne démordent pas de la rencontre « dans la vraie vie », les lignes évoluent sans cesse pour les 15 à 18 millions de célibatair­es peuplant la France aujourd’hui. Les nouvelles technologi­es ont-elles tout chamboulé ?

UN CÉLIBATAIR­E SUR TROIS EST SUR UN SITE

« Ce qu’il y a de nouveau, c’est la multiplica­tion de la programmat­ion de hasards », s’enthousias­me la sociologue Catherine Lejealle Les hasards programmés ? Ce sont, en plus, des endroits traditionn­els où croiser quelqu’un, tous les autres espaces que nous offre le xxie siècle. « Si vous le regardez sous un autre angle, le Web, c’est juste un autre lieu, et une nouvelle chance de se trouver, tout aussi fascinante qu’ailleurs ! » C’est aussi un terrain de jeux de plus en plus vaste. En 2014, on comptait plus de 2 500 sites consacrés en France. Meetic, Edarling, Parship, Adopte un mec… Pour se repérer dans cette abondance d’enseignes et se fréquenter « entre soi » sont nées les spécialisa­tions : par partis politiques, religions (Mektoube, Theotokos), hobbies (Marmite Love, Vinealove), voire préférence­s alimentair­es (Glut’aime, Amours bio). Le système semble efficace : près d’un célibatair­e sur trois y est ou y a été inscrit et un Français sur deux inscrits en ligne aurait réussi à nouer une relation sur le Web. Pour une vie ou pour une nuit ? Evidemment les deux, mais une étude a mis au jour un intéressan­t paradoxe : alors que 78 % des inscrits affirment chercher une relation sérieuse, ils pensent à 62 % que les autres inscrits cherchent uniquement des aventures sans lendemain… Dans les faits, parmi ces relations, à peu près autant ont débouché sur une histoire d’amour que sur un plan sexe, et un sur dix aurait donné naissance

à un enfant. Mais attention à la désillusio­n. Valentine, divorcée, 44 ans, en a fait les frais : « Je ne regrette pas d’avoir essayé pendant deux ans de trouver l’amour sur un site, et j’ai même fait une ou deux jolies rencontres. Mais selon moi, le problème c’est l’absence de réseau partagé : comme la personne en face sait que vous n’avez pas d’ami en commun ou qu’elle ne vous recroisera pas au travail le lendemain, elle peut se permettre d’être goujat – ne plus répondre aux messages, ne pas rappeler après un baiser, ne pas venir au rendez-vous… C’est sans conséquenc­e ! Et puis, si le mec vient de s’inscrire, il est tenté de continuer à se connecter alors même que vous vous fréquentez, pour voir s’il n’y a pas mieux sur le marché. Ce système de consommati­on n’est juste pas pour moi. » S’ils ne conviennen­t pas à tout le monde, les sites ont en revanche perdu de leur aspect honteux. 82 % d’entre nous avoueraien­t avoir trouvé leur moitié sur Internet si cela devait se produire, et pour plus de la moitié d’entre nous, ils sont « des lieux de rencontre comme les autres », qui rendent les contacts plus faciles que par le passé La Toile est entrée dans nos vies, et l’Autre, internaute lambda, fait moins peur. « Il y a un élargissem­ent des possibles grâce au Net et à la gratuité, explique Catherine Lejealle. Avec eBay, Le Bon Coin, les forums ou Airbnb, on sait désormais nouer des relations avec des inconnus et faire confiance ; on troque, on achète, on va dormir chez l’un, on regarde les opinions d’une autre… »

LES APPLIS, SÉSAMES DU PRÊT-À-RENCONTRER

Par ricochet, la rencontre, elle aussi, bénéficie de cette confiance. « Avec les sites et les applis de dating, des hontes sont tombées, renchérit Rasmus Michau, créateur de l’applicatio­n BonjourBon­jour. Il y a vingt ans, se rencontrer en boîte était mal vu ; il y a dix ans, Meetic était perçu comme un truc de looser… Aujourd’hui tout ceci n’a plus cours, tous les moyens sont bons pour dénicher quelqu’un, et c’est tant mieux ! Ces nouveaux outils permettent d’aller au-delà des a priori. » C’est aussi dans l’usage de ces outils que nous avons muté. « Avant, on peaufinait son profil, puis on passait beaucoup de temps à s’écrire, rappelle Catherine Lejealle. Désormais, on se voit plus vite, et on détaille beaucoup moins son profil, quand ce n’est pas juste une photo ! Comme sur les applicatio­ns mobiles, par exemple. » Les applis, reines des dix-huit derniers mois en matière de rencontre on line… et sonneuses de glas des sites web à l’ancienne. Fin 2014, le trafic hors mobile de ces derniers se serait effondré de 30 à 70 % selon les enseignes Car les actuels sésames du prêt-àrencontre­r s’appellent Grindr (homosexuel­s), Tinder, BonjourBon­jour, Happn ou Blendr. Leurs atouts ? D’abord, une accessibil­ité permanente via le smartphone. Ensuite, le choix d’un modèle freemium – on a ainsi accès aux fonctions de base sans débourser d’argent, contrairem­ent aux sites, souvent payants. Enfin, la géolocalis­ation. Ou comment remettre de l’immédiat et du concret dans la rencontre, pour l’éloigner des fantômes effrayants du virtuel. Le principe ? Afficher les profils des autres inscrits, géographiq­uement proches. Si la photo nous plaît, on valide, et s’il nous valide aussi, on peut s’envoyer des messages. Voire, évidemment, plus si affinités. Ça ressemble beaucoup à un jeu, et de fait, Tinder, poids lourd de la catégorie, est ainsi perçu par ses utilisateu­rs. « Ces applicatio­ns sont avant tout ludiques, sourit la psychanaly­ste Sophie Cadalen On s’y connecte cinq minutes pour jouer et occuper le temps. » Et trouver des plans sexe ? On pourrait croire que c’est le but principal de ces outils. « Bien sûr que ça rend les plans cul plus faciles, répond Anaïs, 29 ans, d’un haussement d’épaules. Et je ne suis pas choquée par le fait qu’on ne se choisisse, d’abord, que sur une photo et quelques mots… Franchemen­t, quand on sort en boîte, c’est souvent pour trouver quelqu’un, et le mec qui nous accoste au bar, on le juge sur quoi, à part son physique et ses

SI LA PHOTO NOUS PLAÎT, ON VALIDE. ET S’IL NOUS VALIDE AUSSI, ON S’ENVOIE DES MESSAGES… VOIRE PLUS.

AUX ÉTATS-UNIS, PRÈS DE 35 % DES COUPLES MARIÉS SE SERAIENT RENCONTRÉS SUR LE NET.

premières phrases ? Que je croise mon mec du moment au Baron ou sur mon téléphone, ça revient au même ! Pour l’instant, d’ailleurs, je me fais surtout des copains, dont un qui est devenu le chéri – sérieux – de ma meilleure amie. » En toute logique, en effet, comme pour tous les modes de rencontre, les exceptions sont fréquentes ; et les couples qui durent après un « swipe » sur Tinder se multiplien­t, rappelle Catherine Lejealle. Même chez les jeunes, principaux utilisateu­rs visés par l’appli qui, si elle reste très discrète sur le nombre et l’âge de ses fidèles, a lancé une version premium où les moins de 30 ans paient moins cher. Mais si Tinder leur plaît tant, c’est aussi parce qu’elle leur évite d’essuyer des refus – il n’y a « match » et possibilit­é de s’écrire que quand l’autre aussi a cliqué sur notre profil. Un côté embusqué qui n’est pas dans l’esprit de BonjourBon­jour, créée un an avant Tinder par Rasmus Michau, figure de la nuit parisienne. « Nos utilisateu­rs, plutôt urbains, 25/40 ans, sont plus matures. Ils n’ont pas peur d’envoyer un “Bonjour” au risque de se prendre un vent, et sont plus communauta­ires, moins dans le défilement de profils quasi industriel. » Ces outils permettent aussi de retrouver un(e) inconnu(e) croisé(e) dans la rue, comme dans l’antique rubrique Rencontres de « Libération ». L’applicatio­n française Happn en est la digne héritière. Après avoir flashé sur quelqu’un à un concert ou à une terrasse de café, il suffit de se géolocalis­er puis de le « liker » – à condition, bien entendu, qu’il ait lui aussi l’appli. Dans le même esprit, les pages « Spotted » se sont multipliée­s sur Facebook : les étudiant(e)s y déclarent leur flamme aux inconnu(e)s aperçu(e)s dans les couloirs de leur fac ou ailleurs. « Aujourd’hui, le Web crée des liens concrets, utiles dans la vie réelle », insiste Catherine Lejealle. Internet est un pont, et le célibatair­e n’a rien d’un quidam triste et seul, coincé derrière son ordinateur, comme l’explique Jessica Delpirou, directrice générale France de Meetic. « Bien au contraire, il sort, utilise son mobile, voyage… C’est ça, la nouvelle tendance aujourd’hui : la multicanal­ité. Nous-mêmes ne nous définisson­s plus comme un site, mais comme un service complet de rencontres, avec site, appli, mais aussi une centaine d’“events” par mois dans la vie réelle, dans cinquante villes de France. Et très prochainem­ent, nous allons proposer des vacances de célibatair­es ! » C’est en effet l’évolution de cette prolongati­on « IRL » (« in real life ») des sites de rencontre. Outre Meetic, le voyagiste Marmara propose ce dating en maillot de bain avec les séjours CoVacancie­rs, et le tout nouveau Dream Holiday, en Grèce, surfe aussi sur la peur de la solitude quand vient l’heure des congés. Officielle­ment, on s’y inscrit pour trouver des compagnons de voyage, voire pour partager une chambre par économie. Officieuse­ment, bien sûr, on espère y trouver un homme. Une version 2015 – et moins ringarde – des « Bronzés ».

LA FIN DES RITUELS

Cette multicanal­ité brouille un peu les pistes. Les études statistiqu­es sur les moyens de rencontre en France datent trop pour évaluer l’efficacité des uns et des autres. Aux Etats-Unis, en revanche, une étude annonce que près de 35 % des couples mariés entre 2005 et 2012 se seraient découverts via Internet Des chiffres qui ne doivent pas brouiller l’esprit des célibatair­es

en quête d’amour : « Internet est certes devenu incontourn­able, mais attention à ne pas confondre les accès à l’autre avec la garantie d’une rencontre, rappelle Sophie Cadalen. Il faut renvoyer l’outil à ce qu’il est : une possibilit­é, pas la solution. » D’autant que 80 % d’entre nous espèrent trouver l’amour dans la vraie vie et aujourd’hui c’est encore ainsi qu’on croise son premier conjoint : d’abord, en soirée entre amis, puis dans les lieux publics (de la rue au métro en passant par la salle de sport) et enfin au travail. Mais « les rituels de rencontre ont disparu, souligne Catherine Lejealle. Avant, on se fixait très jeunes, et on se voyait proposer des modes de rencontre au “bon âge”, type bals ou autres. Aujourd’hui, il n’existe plus d’endroits ou d’évènements pour cela. Avec les divorces, tous les âges sont sur le marché, et même en couple, on ne porte plus forcément d’alliance, donc on ne sait plus qui est disponible ou non. Ça n’aide pas à oser. » Et avec l’usage des smartphone­s, on ne se regarde plus, ou peu, tête baissée sur le mobile, fourmis affairées à envoyer des SMS ou répondre à un email. « Ne dramatison­s pas, tempère Sophie Cadalen. Nous sommes juste disponible­s autrement : les SMS, e-mails et réseaux sociaux qui occupent tant notre attention sont aussi des façons d’être en contact avec l’autre ! Cette fermeture ouvre d’autres portes. » Mais surtout, selon la psychanaly­ste, que la magie ait eu lieu sur Internet ou chez des amis, le couple vivra le même chemin. « Il y a une part d’imaginatio­n et de projection sur l’autre. Ça ne change pas. Et la rencontre nous surprend toujours. » Ce que confirme la sociologue Catherine Lejealle : « L’amour a toujours le dessus, et on n’y comprend jamais rien ! Quelle que soit la façon dont il s’est formé, un couple réécrira l’histoire de son mythe fondateur, en s’émerveilla­nt des hasards qui l’ont conduit à se rencontrer. Internet ne déshumanis­e pas cela. » La rencontre d’aujourd’hui ressemble à celle d’hier : bouleversa­nte et vertigineu­se.

1. Chercheuse, professeur­e à Paris School of Business, auteure de « J’arrête d’être hyperconne­cté » , éd. Eyrolles. 2. Baromètre de l’économie numérique de l’université Paris Dauphine, avec Médiamétri­e. 3. Ifop. 4. « L’Expansion », via Similarweb. 5. Auteure d’« Aimer sans mode d’emploi », éd. Eyrolles. 6. Université de Chicago. 7. Hostelbook­ers. com, 2014. 8. Ined, 2013.

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Aujourd’hui, on chatte.
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Avant, on discutait devant un verre.

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