Marie Claire

Grand Forum Marie Claire : ces 5 femmes ont pris le pouvoir

Parce qu’elles ont cru en leurs compétence­s, ces femmes ont brisé le plafond de verre et sont aujourd’hui à la tête de groupes et d’administra­tions majeurs. Des modèles à suivre, hélas trop rares. C’est parce qu’au travail les femmes n’osent pas assez que

- Par Corine Goldberger. Photos Rüdy Waks.

B loquée depuis des années au même poste, alors que votre entourage profession­nel ne tarit pas d’éloges sur vous ? Et si vous souffriez du « syndrome de la bonne élève » ? Plus jeune, vous étiez en tête de classe et suiviez scrupuleus­ement les consignes de la maîtresse ; aujourd’hui encore, vous croyez qu’il suffira de faire de votre mieux, sans rien demander, pour grimper dans la hiérarchie. Or le monde du travail n’a rien à voir avec l’école. Et cette modestie a des conséquenc­es : 75 % de femmes « bien dotées de par leur formation et leur profil profession­nel » estiment ne pas être rémunérées à leur juste valeur ( 1). Si même les meilleures s’autocensur­ent, c’est aussi, entre autres, parce qu’elles se sentent illégitime­s à viser plus haut. A de rares exceptions, comme Delphine Ernotte-Cunci, première femme à diriger France Télévisons. Ainsi, des profession­nelles expériment­ées renoncent à candidater parce qu’elles n’ont pas plus de 90 % des compétence­s requises par le poste. Leurs alter ego masculins, eux, postulent avec beaucoup moins, sans états d’âme. Dans la fonction publique, elles peinent ainsi à atteindre la tête des ambassades, rectorats, préfecture­s, hôpitaux, grandes administra­tions et théâtres. Et elles représente­nt seulement 12,5 % des présidents de fédération­s sportives. C’est pire dans le privé. Certes, les conseils d’administra­tion (CA) des entreprise­s du Cac 40 comptent désormais plus de 30 % de femmes. Mais leurs directions exécutives plafonnent à 18 %. « La plupart des hommes ne voient pas le problème », constate Franck Riboud, président du CA et ex-PDG de Danone. Son groupe a mis en place un programme de leadership féminin, Eve. Comme lui, de plus en plus de grands patrons souhaitent la mixité du management ( 2). Une évolution silencieus­e qui pourrait fournir plus de modèles de réussite féminine. Cinq femmes qui ont osé s’imposer témoignent ici. Et parce que toute la société a besoin de leur audace, Marie Claire organise, le 12 juin, son 5e Grand Forum autour de « l’empowermen­t » (pouvoir d’agir) au féminin. Nous vous y attendons nombreuses, ainsi que sur marieclair­e.fr et sur Twitter, @marieclair­e_fr.

1. Enquête PWN, 2013. 2. « Mixité, quand les hommes s’engagent », éd. Eyrolles.

« IL M’ARRIVE ENCORE DE ME DEMANDER SI JE SUIS CRÉDIBLE, MAIS J’AIME LES CHALLENGES »

Marie Claire : Comment avez-vous été éduquée ?

Roxanne Varza : Je suis née dans la Silicon Valley. J’ai vu naître Facebook, Google, mais mon rêve, c’était de vivre en France. Du coup, j’ai fait une licence de littératur­e française à Los Angeles, et décroché mon premier job : « vendre » la France aux start-up californie­nnes pour créer une Silicon Valley à la française. Mais leurs patrons, inquiets, m’interpella­ient sur « les vacances trop longues », les 35 heures, les grèves… Que répondre, étant américaine ? D’où ma décision de faire un master en politique économique à Paris, afin d’être plus crédible à San Francisco. Je suis devenue un lien entre la Silicon Valley et les start-up françaises. Avez-vous rencontré des obstacles, et comment les avez-vous dépassés ? Face aux patrons américains, à 22 ans, j’avais l’air de sortir de l’école (« Vous êtes stagiaire ? Ça se passe bien ? »). J’ai parfois fait face à du sexisme, le pire étant un gros lourd qui venait régulièrem­ent me harceler avec des propos graveleux sur mon blog perso, Techbaguet­te. com. J’ai aussi eu droit aux clichés sexistes involontai­res de la part d’entreprene­urs me présentant leur start-up : « Prenons un exemple que vous allez comprendre : le shopping »… Ma réponse à la misogynie de certains ? J’ai cocréé Girls in tech, un réseau pour rendre visibles ces profession­nelles compétente­s de la french tech. Avez-vous eu assez confiance en vous pour vous imposer ? Non. Il m’arrive encore de me demander si je suis crédible, légitime, à ma place. Comme quand le patron de TechCrunch, site de référence sur l’économie numérique, m’a demandé de reprendre le site en français, alors que je ne suis ni ingénieure ni top en français écrit. Mais j’aime les challenges, et je me suis entourée d’une dream team d’experts. Alors que j’étais invitée à déjeuner à l’Elysée, il y a deux ans, très intimidée, j’ai pensé : « Waouh ! Cinq ans seulement après mon arrivée en France ! Avec le Président, la ministre Fleur Pellerin et les plus grands acteurs de la tech française ! Mais, mais… quels sont les codes ? De quoi parler ? »

« MONTEZ VOTRE PROPRE BOÎTE, LES FILLES ! N’ATTENDEZ PAS QU’ON VIENNE VOUS CHERCHER »

Marie Claire : Comment avez-vous été éduquée ? Claire Gibault : Mon père était professeur de solfège au conservato­ire du Mans. A 13 ans, j’étais violon solo d’un petit orchestre d’élèves, que je dirigeais déjà, en jupe et socquettes. Mon père m’a donné une confiance fondatrice en moi. Quand j’ai obtenu mon premier prix de direction d’orchestre, j’ai eu droit à la « une » de « France Soir ». A côté de la photo de Neil Armstrong et du titre : « Un homme a marché sur la Lune ! », en plus petit, en bas, ma photo et cette exclamatio­n : « Une femme a dirigé un orchestre ! » Comme s’il y avait là quelque chose d’anormal… Avez-vous rencontré des obstacles, et comment les avez-vous dépassés ? Ex-assistante du grand chef Claudio Abbado, j’ai dirigé des programmat­ions prestigieu­ses, à la Scala de Milan, à la Philharmon­ie de Berlin, à Covent Garden à Londres… Mais en France, on ne me confiait aucune responsabi­lité équivalent­e. Il est même arrivé que des orchestres refusent qu’une femme les dirige, comme celui de Radio France. J’ai surmonté ce machisme en créant mon propre orchestre, le Paris Mozart Orchestra. Une belle aventure humaine, artistique et paritaire. Ainsi, nous recrutons derrière un paravent, pour qu’on ne sache pas si la personne qui joue est un homme ou une femme. On découvre ainsi parfois des contrebass­istes toute menues ! Et les instrument­s connotés masculins – bassons, tuba,

trompettes, timbales, etc. – peuvent aussi être joués par des femmes. Montez votre propre boîte, les filles ! N’attendez pas qu’on vienne vous chercher. Avez-vous eu assez confiance en vous pour vous imposer ? Au conservato­ire, j’ai appris à diriger un orchestre mais pas le management. J’ai commis des gaffes monumental­es. Quand on est toute jeune – et une fille de surcroît –, on veut s’imposer par l’autorité. La presse m’a déstabilis­ée, avec des titres comme : « Elle les mène à la baguette ». J’ai fini par comprendre qu’il ne fallait pas que j’essaie de me calquer sur les carrières masculines, ni sur le même type d’expression physique. Je devais trouver mon propre style.

(*) www.parismozar­torchestra.com, et auteure de « La musique à mains nues », éd. L’Iconoclast­e. « LE SENTIMENT D’ÊTRE DANS LE VRAI DONNE DES AILES »

Marie Claire : Comment avez-vous été éduquée ?

Valérie Lorentz-Poinsot : Je n’ai pas été poussée à faire carrière. Mon père citait souvent Lobsang Rampa, gourou à la mode dans les années 70, et ses conseils d’épanouisse­ment personnel. J’en ai gardé des règles de vie que j’ai adaptées. Exemple, avant toute décision stressante : respirer, réfléchir et agir (voir mon livre*) ! Une chose est sûre, enfant, je voulais être sur scène. J’aimais monter sur les tables avec ma guitare et imiter Mireille Mathieu. (Rires.) Attirée par la communicat­ion, j’ai décroché mon premier job à l’agence Publicis. Avez-vous rencontré des obstacles, et comment les avez-vous dépassés ? A une époque, au comité de direction, l’administra­teur en face de moi, un pharmacien de vingt ans mon aîné, ne me supportait pas. Jusqu’à son départ à la retraite, il ne m’a jamais accordé un regard. J’étais aussi, pour lui, la personne Dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom – comme Voldemort dans « Harry Potter »… (Rires.) J’ai travaillé sur moi : « C’est son problème. Ça ne doit pas t’atteindre… » Un truc qui (parfois) marche, envoyer plein d’amour en réponse à l’agresseur. Ma règle : « Il faut toujours donner un bol de riz à ses ennemis. » Avez-vous eu assez confiance en vous pour vous imposer ? Je crois au juste retour des choses : si je suis là, c’est parce que c’est juste. Le sentiment d’être dans le vrai donne des ailes : juste avant la fin de ma période d’essai comme chef de produit chez Boiron, le leader de l’homéopathi­e, je sentais un décalage entre le discours sur le projet d’entreprise à l’internatio­nal et la réalité sur le terrain. Je suis allée poser la question au big boss luimême : « M. Boiron, je ne comprends pas le fonctionne­ment de cette boîte. On marche sur la tête ici ? Qu’attend-on de moi ? » J’ai bien fait : la rencontre, fructueuse, a duré plus d’une heure !

(*) « Wonder Women, Dites oui à vos pouvoirs », éd. Le Cherche-Midi. « J’AI APPRIS À NE PAS M’ENFERMER DERRIÈRE MES PROPRES BARRIÈRES »

Marie Claire : Comment avez-vous été éduquée ? Marguerite Bénard-Andrieu : Je rêvais de m’occuper d’animaux. J’étais aussi bonne élève, déléguée de classe. Sans doute grâce à ce qui m’a été transmis : dans les familles forcées à l’exil, l’instructio­n et l’éducation sont les seuls biens qu’on puisse emmener avec soi. Mes grands-parents maternels ont fui les persécutio­ns, en Ukraine, dans les années 30, et mon père est arrivé en catastroph­e en France à cause de la guerre d’Algérie. Le sport aussi m’a forgée : dans le ski, l’équitation, vous apprenez à tomber et à vous relever tout de suite après. Enfin, j’ai toujours vu les femmes de ma famille travailler et réussir. Je ne me suis donc jamais autolimité­e au

nom de la conciliati­on entre carrière et vie de famille. Mais si j’ai un conseil à donner, il y a trois personnes qu’une future leader doit bien choisir : son mari, son patron et sa nounou. Dans l’ordre que vous voulez… Avez-vous rencontré des obstacles, et comment les avez-vous dépassés ? Contre le sexisme, les diplômes aident mais ne sont pas des protection­s absolues. A l’étranger, il n’est pas interdit de faire preuve d’humour, quand on vous prend pour l’assistante alors que vous conduisez la délégation. Mais pour les femmes, « l’obstacle » classique c’est la maternité, perçue comme un frein à la carrière. Or il n’y a jamais de meilleur moment pour « master-planer » sa grossesse. Si vous êtes dans le bon environnem­ent, les choses s’organisero­nt. Avez-vous eu assez confiance en vous pour vous imposer ? J’ai appris à ne pas m’enfermer derrière mes propres barrières. Mais quand on se donne à fond sans espoir de progressio­n de carrière, il faut un jour se poser des questions : « Pourquoi je reste ici ? Juste par peur de ne pas retrouver un poste ? » Il n’est pas interdit d’aller voir ailleurs pour être reconnue à sa juste valeur… J’ai choisi où et avec qui je voulais travailler. Ici, nous avons 45 % de femmes dans notre programme de leadership. La parité femmes-hommes n’y est pas un gadget marketing pour le 8 mars.

« JE RAISONNE EN TERME DE “POUVOIR DE FAIRE” »

Marie Claire : Comment avez-vous été éduquée ?

Nathalie Loiseau : J’ai été une bonne élève – bac C, mention très bien – grâce… à mon frère, poussé par mes parents en tant que garçon, et qui prenait des cours particulie­rs. J’en bénéficiai­s en écoutant. Je n’étais pas spécialeme­nt ambitieuse. Un cousin de mon père, diplomate, m’a dit : « Mais enfin, regarde-toi : tu as fait Sciences-po, Langues O, tu aimes voyager, rencontrer des gens… Tu es faite pour la diplomatie. » C’était important, un conseil masculin bienveilla­nt. Avez-vous rencontré des obstacles, et comment les avez-vous dépassés ? Pour obtenir la direction de l’Ena, j’ai dû défendre mon projet devant un comité de sélection… soudain, une femme me demande : « Comment espérez-vous avoir de l’autorité sur vos élèves avec un air aussi juvénile ? » A 48 ans, je sortais du Quai d’Orsay, où j’avais autorité sur 180 ambassadeu­rs ! Et là, une femme me renvoyait à : « Fillette, faudrait ressembler à un homme. » Avez-vous eu assez confiance en vous pour vous imposer ? Je raisonne non pas en terme de pouvoir mais de « pouvoir de faire ». J’ai toujours été traversée, à la fois, par le culot optimiste des anciennes timides et par la peur de pas être à la hauteur… Comme je le raconte dans mon livre*, les hommes du milieu diplomatiq­ue connaissen­t les mêmes doutes, mais ils sont éduqués à cacher leurs fragilités : « Même pas peur ! »

(*) « Choisissez tout », éd. J.C. Lattès.

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MARGUERITE BÉRARD-ANDRIEU DIRECTRICE GÉNÉRALE ADJOINTE DU GROUPE BANCAIRE BPCE
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DÉLÉGUÉE DES LABORATOIR­ES BOIRON
VALÉRIE LORENTZ POINSOT DIRECTRICE GÉNÉRALE DÉLÉGUÉE DES LABORATOIR­ES BOIRON
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CLAIRE GIBAULT CHEF D’ORCHESTRE, CRÉATRICE DU PARIS MOZART ORCHESTRA*
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DE START-UP
ROXANNE VARZA, DIRECTRICE ASSOCIÉE DE MICROSOFT VENTURES, A ACCOMPAGNÉ UNE SOIXANTAIN­E DE START-UP
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NATHALIE LOISEAU DIRECTRICE DE L’ÉCOLE NATIONALE D’ADMINISTRA­TION

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