Marie Claire

Ne me RADIEZ PAS !

Après son documentai­re « Pôle Emploi, ne quittez pas ! »*, Nora Philippe publie « Cher Pôle Emploi » (éd. Textuel), recueil de lettres de chômeurs envoyées après un avis de radiation. Colère, détresse, appel au secours… ces courriers touchants, parfois dr

- (*) Sorti en DVD.

Marie Claire : Lire ces lettres de chômeurs, c’est découvrir la singularit­é de chacun… Nora Philippe :

Dans les médias, on parle toujours de chômage en termes de « millions », de catégories A, B, C… Ces courriers montrent qu’il s’agit de gens comme vous et moi, en situation de chômage, temporaire ou non. Ils humanisent et rappellent qu’on ne peut pas traiter les chômeurs comme des chiffres. C’est si facile de radier, de dire qu’on a « un problème de masse ». Mais lire : « Mon frère est décédé hier, je ne suis pas allée au rendez-vous » ou : « J’ai trois enfants en bas âge et mon mari a eu en accident »… c’est revenir à cette réalité-là, et y chercher des réponses humaines.

Mais humaniser prend du temps. A Pôle Emploi, ils sont débordés, non ?

Oui, mais c’est fait exprès. S’ils ont peu de temps, c’est que cela a été voulu. Avant, lorsque l’ANPE et l’Assedic étaient dissociées, les agents de l’ANPE étaient formés pour proposer un accompagne­ment impliquant des connaissan­ces en psychologi­e et sociologie. Or ce n’est plus la politique de la maison. A Pôle Emploi, les ateliers mettent encore l’accent sur l’accompagne­ment, mais ils reçoivent les chômeurs par trentaine. Je ne suis pas loin de croire que c’est afin de mieux provoquer les absences et, du coup, radier. Les lettres sont, à 90 %, des réponses à des avis de radiation dus à des retards ou à des absences à ces ateliers collectifs.

Le chômage se conjugue-t-il plus au féminin ?

Des lettres racontent que oui : accoucher, avoir des enfants en bas âge, ne pas avoir de place en crèche… éloigne de l’emploi durablemen­t. Ensuite, les hommes ont plus accès aux petits boulots, parce qu’ils reposent sur des facultés physiques. J’ai vu des femmes licenciées en raison de problèmes de dos, de bras… elles n’arri- vaient plus à porter des palettes. Les relations avec Pôle Emploi se conjuguent au féminin car ce sont très souvent les femmes qui gèrent l’administra­tif, se déplacent en agence, prennent la plume. Elles sont sur la ligne de front.

Le regard sur le chômage a changé, dites-vous. Avant c’était un risque de l’existence, aujourd’hui on culpabilis­e le chômeur…

Oui, c’est un mouvement général dans l’imaginaire collectif, l’idéologie et, surtout, le discours des politiques. Huit Français sur dix considèren­t que ceux qui ont accès aux allocation­s chômage sont des assistés. Ce qui est hallucinan­t, puisque 5 millions de personnes sont inscrites à Pôle Emploi. C’est un climat idéologiqu­e imposé, il y a quelques années, par une droitisati­on du discours politique, mais aussi, à gauche, aujourd’hui, avec une politique qui diabolise le chômeur.

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