Marie Claire

enquête Maladie de Lyme : la menace silencieus­e

Elle se contracte pendant une banale balade en forêt et peut se terminer dans un fauteuil roulant ou un hôpital psychiatri­que. La maladie de Lyme, transmise par la tique, n’est en France toujours pas reconnue. Des centaines de personnes viennent de dépose

- Par Corine Goldberger. Illustrati­ons Giacomo Bagnara.

Quel peut bien être le point commun entre la mannequin Bella Hadid et sa mère, Yolanda, la chanteuse Avril Lavigne, la modèle Christy Turlington, les acteurs Alec Baldwin, Richard Gere et Ben Stiller, ou encore l’ancien président américain George Bush ? Tous souffrent ou ont souffert de la maladie de Lyme. Lyme, du nom d’une ville américaine où elle a été détectée la première fois. Cette pathologie éprouvante peut très souvent se contracter lors d’une promenade en forêt, par une banale morsure de tique infectée par une bactérie pathogène. La plus connue est la borrélie, qui se niche dans les tissus cellulaire­s et y fait des ravages. La borréliose se manifeste d’abord par un érythème migrant (une grande tache rouge qui ressemble à une cible). Mais pas toujours, ce qui retarde le diagnostic. Si elle est soignée à temps avec des antibiotiq­ues, on peut en guérir rapidement. Sinon, petit à petit d’autres symptômes apparaisse­nt : douleurs articulair­es et musculaire­s, intense fatigue, troubles neurologiq­ues et cardiaques rapidement handicapan­ts.

Des manifestat­ions que trop de médecins mal formés seraient encore incapables de décoder correcteme­nt. Car selon les praticiens les plus impliqués dans son traitement à long terme, lyme est une maladie simulatric­e, qui imite toutes sortes d’autres pathologie­s : sclérose en plaques, polyarthri­te, alzheimer précoce – « et même maladie de Parkinson chez des enfants, constate ce qu’on appelle une « lyme docteure », qui traite ses « lymés » hors protocole officiel. On a beau leur prescrire les examens habituels, prise de sang, IRM, etc., on ne trouve rien. » Des malades sous-diagnostiq­ués errent alors de médecin en hôpital, parfois pendant quinze, voire vingt ans. Désespérés, certains dépensent des fortunes chez des charlatans, tandis que les mieux informés partent se soigner au prix fort dans une clinique spécialisé­e d’Augsburg, en Allemagne. Certains passent pour des malades imaginaire­s. Parfois, puisque « c’est dans la tête », on leur prescrit des antidépres­seurs (en vain) et on les envoie en psychiatri­e. C’est ce qu’il est arrivé l’an dernier, pendant trois mois, à Yannick Schraen, aujourd’hui âgé de 16 ans. Perclus de douleurs musculaire­s, moqué par le personnel médical, il a passé un an cloué sur un lit d’hôpital : « J’ai été traité de fou et de menteur par des gens qui se font appeler médecins tout en me prescrivan­t de la morphine à haute dose pendant huit mois. » Yannick et Diane Schraen, sa mère, viennent de publier un livre à quatre mains (1) afin de raconter leur calvaire et alerter sur cette maladie.

Des lyme docteurs hors-la-loi

Quand le mal s’invite, le cauchemar n’a pas de fin. « Chez les enfants et les jeunes, comme les médecins ne trouvent pas d’explicatio­n, ils décident que c’est la faute des parents. J’ai vu le cas d’une fille de 16 ans dont les parents avaient divorcé. Les gendarmes soupçonnai­ent même la mère d’empoisonne­r sa fille », témoigne Christian Perronne ( 2), chef de service de l’unité d’infectiolo­gie du CHU Raymond-Poincaré, à Garches, et professeur en maladies infectieus­es et tropicales à la faculté de médecine de Paris-Ilede-France-Ouest. Le Pr Perronne est l’un des premiers lanceurs d’alerte et dénonce inlassable­ment l’absence de prise en charge correcte des malades de lyme. Il doit faire face à nombre de critiques de la part de ses confrères encore sceptiques, comme ceux de l’Académie de médecine, même si d’autres lui ont récemment apporté leur soutien ( 3).

Très engagée, avec son compagnon, afin d’améliorer le dépistage et les soins aux victimes de lyme, via le compte Twitter @ChroniLyme, Christèle Dumas, gravement malade depuis vingt ans, n’a été diagnostiq­uée qu’en 2016, lorsqu’une médecin lui a enfin fait subir un test de dépistage. Positif. Depuis un an et demi, Christèle est sous antibiotiq­ues. Une durée illégale, donc un traitement non remboursé par la Sécurité sociale, car un protocole de soins contre la borréliose, qui date de 2006, impose trois semaines d’antibiotiq­ues seulement. « Il y a un mieux, mais je conserve toujours des séquelles : difficulté­s d’élocution, de compréhens­ion et de concentrat­ion, →

troubles de la mémoire, migraines… » Interrogée par Marie Claire au sujet de ces antibiothé­rapies longues prescrites par les médecins dissidents, la direction générale de la Santé, via son bureau des risques infectieux émergents et des vigilances, répond : «A ce jour et au vu des connaissan­ces actuelles, il n’y a pas de preuves scientifiq­ues démontrant qu’un traitement d’antibiotiq­ue de plus de trois mois soit plus efficace pour traiter la borréliose de Lyme. »

Une position partagée par de nombreux infectiolo­gues. Car officielle­ment la maladie de Lyme, dans sa forme chronique, n’est pas reconnue en France, contrairem­ent à ce qui se pratique en Allemagne, aux Etats-Unis… « Concernant les manifestat­ions chroniques, on est démuni et on a besoin de mettre en place une cohorte de patients dont on sera sûr qu’ils ont été piqués par des tiques et qu’ils ont fait une maladie

aiguë, pour voir ce qu’ils deviennent sur le long terme, ce qui n’a jamais été fait, nuance France CazenaveRo­blot, cheffe du service des maladies infectieus­es et tropicales au CHU de Poitiers. On n’a jamais réalisé d’étude comparant deux groupes de patients, l’un à qui l’on donne des antibiotiq­ues, et l’autre, non. » Une situation qui révolte les associatio­ns de malades, accompagné­es par des médecins comme le Pr Perronne. Celui-ci dénonce le déni, voire l’incompéten­ce des infectiolo­gues arcboutés sur le protocole de soins actuel, en dépit des études scientifiq­ues qui le remettent en cause. D’autant que la maladie produit de plus en plus de dégâts. Il y a eu officielle­ment près de 55 000 nouveaux patients en 2016, contre 26 146 en 2014. Selon le Réseau Sentinelle­s, le nombre des cas enregistré­s a donc doublé en deux ans.

Il y en aurait beaucoup plus aux dires des associatio­ns de malades, qui comparent les chiffres français avec ceux de l’Allemagne, où les malades sont mieux dépistés : 300 000 nouveaux cas recensés en moyenne chaque année. « La maladie de Lyme, c’est un peu comme le fameux nuage de Tchernobyl, qui ne traversait pas la frontière », ironise Christèle Dumas. D’où vient une telle différence entre les deux pays ? Le Pr Perronne pointe le manque de fiabilité des tests de dépistage utilisés en France. « Le protocole de soins de 2006 impose le test immunoenzy­matique Elisa. Il faut être positif (avoir fabriqué des anticorps) pour avoir le droit de passer un second test, le western blot, et confirmer ou infirmer le diagnostic de lyme. Le hic : certains malades sont positifs au second test… Mais pas au premier. »

Les animaux mieux dépistés

Ce n’est pas tout. Selon le Pr Perronne, « aussi incroyable que cela puisse paraître, la sérologie des tests Elisa a été calibrée pour que lyme reste une maladie rare : elle a été établie avec un verrouilla­ge imposant que le test ne dépiste pas plus de 5 % de malades dans la population générale. Les exemples ne manquent pas de patients négatifs au test en Alsace (où l’incidence de la maladie de Lyme est élevée) et positifs à Paris (moins touché). Si cette méthode avait été appliquée aux porteurs du VIH, cela représente­rait un immense scandale sanitaire… Si c’est pour faire des économies, l’errance médicale des malades, les traitement­s inutiles qu’on leur prescrit coûtent bien plus cher à la Sécu qu’une antibiothé­rapie longue. » Conséquenc­e de la position française : les vétérinair­es disposent, pour les animaux, de tests plus nombreux et plus performant­s que ceux destinés aux humains. « Les éleveurs, eux, ont un intérêt économique direct à maintenir leur bétail en bonne santé, poursuit le Pr Perronne. Ainsi, des malades négatifs aux tests et qui se sentent abandonnés par la médecine font passer leur sang pour celui d’un chien et demandent une analyse à un laboratoir­e vétérinair­e. Pendant ce temps-là, aux Etats-Unis, un médecin doit déclarer comme atteint de la maladie de Lyme un patient qui a un western blot positif malgré un Elisa négatif. Alors qu’en France on continue de persécuter les médecins et les laboratoir­es qui suivent ce schéma diagnostiq­ue. » Quant aux praticiens rebelles qui ne suivent pas scrupuleus­ement le protocole autorisé par l’Assurance maladie et le Conseil national de l’ordre des médecins, ils s’exposent à des sanctions. Au moment où nous écrivions ces lignes, dernier d’une liste de sanctionné­s déjà conséquent­e, un praticien de Nyons, soumis à six mois d’interdicti­on d’exercer, dont quatre avec sursis, attend le jugement définitif. Le dilemme : soigner selon sa conviction ou risquer d’être interdit d’exercice ? « Je vous réponds anonymemen­t parce qu’aujourd’hui, nous qui soignons le lyme en notre âme et conscience, on a la trouille de recevoir une lettre recommandé­e de la Sécu, témoigne une lyme docteure. Quand la sérologie est positive, on se rend bien compte que le patient n’est pas guéri au bout d’un

“J’ai été traité de fou et de menteur par des gens qui se font appeler médecins tout en me prescrivan­t de la morphine à haute dose.” Yannick Schraen, malade, 16 ans

mois. Les patients nous disent que leurs douleurs reviennent dès qu’ils arrêtent les antibiotiq­ues. » Pour réduire les risques de poursuites, elle s’est déconventi­onnée : « Mes consultati­ons ne sont pas remboursée­s. La Sécurité sociale ne peut pas m’accuser de lui faire perdre de l’argent. C’est un petit gain de protection pour moi. » L’an dernier, l’ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine avait annoncé un plan national comportant une mesure très attendue par les patients et les lyme docteurs, outre des dispositio­ns bienvenues de prévention, la mise en place d’un nouveau protocole national de diagnostic et de soins. Après le changement de gouverneme­nt, les discussion­s entre représenta­nts des médecins, des autorités de santé et des associatio­ns de malades se poursuivai­ent en janvier. Peu d’informatio­ns ont filtré sur ce qui s’échange entre défenseurs et adversaire­s du protocole de 2006.

Un Lymegate annoncé

Contactée par Marie Claire, la direction générale de la Santé a reconnu que « la lutte contre la maladie de Lyme se joue aussi et surtout sur l’améliorati­on du diagnostic et de la prise en charge des patients ». Mais les tests actuels seront-ils améliorés, voire abandonnés au profit d’autres, plus efficaces ? La réponse est sibylline : « Un des enjeux majeurs est bien de mieux diagnostiq­uer la maladie de Lyme sous ses différente­s formes ; les tests sérologiqu­es sont efficaces dès lors qu’ils sont pratiqués au bon moment : “le bon test au bon moment”. » Et de poursuivre : « Les travaux (…) seront rendus au premier semestre de cette année. Des centres spécialisé­s seront alors mis en place pour prendre en charge les patients suspects de borréliose dans le cadre de ce nouveau protocole de soins. »

La colère monte du côté des associatio­ns de malades. « Pour être honnête, je n’en attends pas grand-chose, commente Matthias Lacoste, jeune père de famille lymé depuis l’âge de 6 ans et fondateur de l’associatio­n Le Droit de guérir. C’est une mascarade, pas du tout à la hauteur des enjeux. » Il y a deux ans, n’étant plus en état de travailler et ne recevant pas d’indemnités journalièr­es de l’Assurance maladie, ce pâtissier avait entamé une grève de la faim.

Le « Lymegate » annoncé par @ChroniLyme va-t-il bientôt éclater ? En mai 2016, deux avocats, Mes Catherine Faivre et Julien Fouray, avaient annoncé une action civile de groupe au nom de 250 malades (ils sont aujourd’hui 300), contre les laboratoir­es fabricants de tests de la maladie de Lyme. Cette action avait été suivie (ce n’est sans doute pas un hasard) de l’annonce du fameux plan national de lutte contre la maladie de Lyme. Ils ont ensuite déposé une plainte visant les autorités de santé, notamment Marisol Touraine, Agnès Buzyn (actuelle ministre en charge de la Santé), l’Agence nationale de sécurité du médicament et le Centre national de référence des borrelia (CNR). Les motifs : « Violation du principe d’indépendan­ce des experts, conflit d’intérêt, abus de biens sociaux, recel d’abus de biens sociaux, trafic d’influence, mise en danger d’autrui. » Les plaignants ne reprochent pas seulement au directeur du CNR des borrelia de nier l’existence de la forme chronique de la maladie de Lyme et de défendre la fiabilité du test Elisa. Ils soutiennen­t l’existence de liens étroits entre les experts et les laboratoir­es fabriquant des tests, notamment le laboratoir­e BioMérieux ( 4). La justice en décidera. En attendant, avant de courir dans les bois, il faut se couvrir les bras et les jambes, emporter un tire-tique (vendu en pharmacies), plus efficace qu’une pince à épiler en cas de morsure de la bête. – c.g. 1. 11 mois d’enfer, éd. Flammarion, sortie le 28 mars. 2. Auteur de La vérité sur la maladie de Lyme, éd. Odile Jacob. 3. Le Pr Alain Trautmann, directeur de recherche au CNRS et à l’Institut Cochin, sur scienceset­avenir.fr, le 30 novembre 2017. 4. Sciences et Avenir, le 20 décembre.

A lire : Un chemin d’herbes et de ronces de Maria L. et

Yves Deloison, éd. First.

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