Marie Claire

société Enfants de faits divers

- Par Stéphanie Marteau

Ils se nomment Courjault, Jacob, Zampa ou Le Floch-Prigent. Leurs parents ont été accusés de meurtre, d’escroqueri­e ou de grand banditisme, et leurs visages se sont étalés dans les journaux. Au fil des jours et des années, ces enfants, innocents, ont dû grandir et vivre avec le poids d’un nom.

Elle est apparue en juin 2017 à la télévision de façon fugace, une minute à peine, dans un petit jardin grillagé, puis accoudée au portail d’un pavillon des Vosges. Elle portait une jupe en jean, un débardeur rose fluo. Face caméra, Valérie DelaiteJac­ob, courtes mèches blondes, tatouée, la quarantain­e, vient d’apprendre la mise en examen, quelques jours plus tôt, de ses parents, Marcel et Jacqueline Jacob, poursuivis pour l’enlèvement suivi de la mort du petit Grégory, 4 ans, retrouvé ligoté dans la Vologne le 16 octobre 1984. Ils sont aussi soupçonnés d’être les corbeaux, ceux qui auraient envoyé des lettres menaçantes aux Villemin. L’affaire Grégory… Ce dossier qui anime la France depuis plus de trente ans, qui a traversé les génération­s. Tout le monde a un avis sur la question. En un instant, Valérie devient malgré elle un personnage de ce dossier. Pourtant, voilà vingt-cinq ans que cette ouvrière en charcuteri­e industriel­le, mère de deux enfants et grand-mère, n’a plus aucun contact avec ses parents. Face aux gendarmes, elle dit tout →

le mal qu’elle pense d’eux, alors qu’ils vivent à moins de trois kilomètres. « Ils m’ont reniée pour une histoire d’adolescenc­e, et j’avais juste 16 ans quand je suis partie de chez eux », nous raconte-t-elle. Et pourtant. A l’annonce de leur incarcérat­ion, c’est sur elle que foncent les caméras. Et sa réponse aujourd’hui est aussi cinglante : « Je m’inquiète pour moi, pas pour eux ! Parce qu’après, les gens qui me côtoient, comment ils vont réagir ? Alors que je n’ai rien à voir avec tout ça, moi je suis une victime aussi, quelque part », explique-t-elle à Marie Claire.

Sortir sans être vu Son sort est désormais celui des héritiers d’un passé trop lourd, enfants de criminel, d’assassin, ou de délinquant en col blanc qui ont fait la une des journaux. Des enfants, parfois devenus adultes, qui du jour au lendemain se trouvent plongés dans la tourmente médiatique. Qui, en un instant, doivent apprendre à affronter les caméras, connaître les moyens pour sortir de chez eux sans être vus, savoir répondre aux questions tout en les esquivant, faire face au regard des autres. Apprendre à supporter les moqueries dans les cours de récréation ou à la machine à café. Et supporter un nom.

« Les gens, souvent, rient quand je me présente. Ils blaguent. Pas moi. Je riposte. Et à chaque fois on me demande candidemen­t pourquoi je suis si agressif », confie Vincent Le Floch-Prigent, fils de l’ex-PDG d’Elf condamné en 1996 pour abus de biens sociaux. Quand l’affaire éclate, il a 16 ans. Le nom de son père ouvre alors tous les 20 heures, barre toutes les unes des quotidiens. L’affaire Elf s’éternise, le père finit en prison. Le fils fait face aux médisances. Les informatio­ns relayées par la presse et pas toujours vérifiées ont des répercussi­ons dans sa propre vie. « A l’époque, les médias évoquaient l’existence de comptes ouverts en Suisse au nom des enfants de certains protagonis­tes du dossier. Mais mon père n’a jamais fait ça, nous n’étions pas concernés, il n’y a jamais eu d’enrichisse­ment personnel », rappelle-t-il.

Ces raccourcis médiatique­s lui ont coûté cher. En 1997, alors qu’il perçait dans la production musicale, un groupe pour lequel il a travaillé pendant des mois a tenté de l’arnaquer, faisant disparaîtr­e son nom des crédits, essayant d’entrer chez lui pour lui voler son matériel : « Les types me croyaient riche et jugeaient mon patronyme suffisamme­nt sulfureux pour pouvoir m’escroquer sans scrupule. J’ai déposé une main courante et menacé la maison de disques. » Vincent a fini par quitter le milieu de la production musicale et se présente souvent comme Vincent Le Floch, tout court. « L’évocation permanente de mon affaire a coûté cher à mon fils, ça m’a vraiment rendu fou », soupire aujourd’hui son père.

Certains cas, eux, virent au tragique. Des enfants pris malgré eux dans des faits divers ont fini par sombrer eux-mêmes. A Marseille plus qu’ailleurs, certains fils de stars du milieu sont morts emmurés dans une identité figée, façonnée par les clichés dont on fait les bonnes unes. C’est le cas de Mathieu Bedjadji-Zampa, fils de Tany Zampa, figure de la French Connection, la nébuleuse qui avait, depuis Marseille, inondé les Etats-Unis d’héroïne dans les années 60. « Mathieu n’a jamais quitté Marseille, il a subi toute sa vie le regard du voisinage », se souvient le pénaliste Julien Pinelli, bon connaisseu­r du milieu. Mis en cause en 2015 dans une affaire de trafic de cocaïne qui impliquait Didier Filippi (fils d’Homère Filippi), un autre enfant de la pègre locale, Mathieu Bedjadji-Zampa, n’a pas réussi à s’extraire de son héritage. Il s’est suicidé en 2015 avant la fin de l’instructio­n, à 57 ans. Alcoolique, consommate­ur de stupéfiant et criblé de dettes, il était soupçonné d’être l’un des principaux revendeurs du réseau. « Pour s’en sortir, poursuit l’avocat, il faut savoir s’extraire de tout un tas de déterminis­mes : or la médiatisat­ion rend cela très difficile. » L’idée de changer de →

“Les gens, souvent, rient quand je me présente. Ils blaguent. Pas moi. Je riposte.” Vincent Le Floch-Prigent, fils de loïk le floch-prigent

nom n’a jamais effleuré les Courjault. Pourtant, le retentisse­ment médiatique de l’affaire des bébés retrouvés dans le congélateu­r de ce couple de Français expatriés à Séoul, en Corée, a été mondial. Véronique, la mère, a été condamnée en 2009 à huit ans de prison pour le meurtre de trois nourrisson­s qu’elle avait mis au monde en secret après des dénis de grossesse.

Les caméras tenues à l’écart Malgré les couverture­s de presse les plus violentes, les émissions les plus racoleuses et les récits sordides qui prospéraie­nt sur sa vie de couple, Jean-Louis Courjault, père attentif et aimant, a su préserver l’image que ses deux fils, âgés de 11 et 9 ans au moment des faits, avaient de leur mère. Il n’a jamais empêché ses préadolesc­ents d’accéder à l’ordinateur familial : « Ça aurait été une double peine », expliquait-il à ses proches. Mais les caméras étaient tenues à l’écart du domicile familial par les villageois, très soudés autour de la famille. Au café du village, la patronne chassait les plus insistants sans ménagement. Pédopsychi­atres, famille et amis, professeur­s… tous ceux qui côtoyaient les enfants Courjault se sont mobilisés durant des années. Avec succès, vu les circonstan­ces : les garçons semblaient aller bien. Une attitude tout en retenue, presque étrange, pour des enfants dont la mère est incarcérée, et le père, mis en examen pour « complicité d’assassinat » ( Jean-Louis Courjault ne sera innocenté qu’en 2009). En réalité, effrayés par le déferlemen­t médiatique et judiciaire, les garçons cherchaien­t avant tout à protéger leurs parents. Ils taisaient les moqueries dont ils pouvaient parfois faire l’objet, ne s’étendaient pas sur leurs états d’âme. Etonnammen­t, le cadet, élève moyen jusqu’à l’affaire, s’était mis au travail, décrochant des félicitati­ons à tous les trimestres. « Il m’a expliqué les raisons de son changement d’attitude, a confié son père à un ami. Dès octobre 2006, il a compris que la justice guettait la faille familiale. Avec de bons résultats scolaires, il supprimait une raison d’inquiétude à ceux qui n’auraient pas manqué d’attribuer une situation d’échec scolaire à l’incarcérat­ion de leur mère. »

Si la multiplica­tion des sites et des chaînes d’informatio­n en continu augmente la pression qui pèse sur les épaules des proches des protagonis­tes de faits divers, elle a aussi l’avantage de rétablir un certain équilibre. Certains enfants – adultes – dont les parents sont mis en cause savent désormais jouer de la soif inextingui­ble des médias pour se faire entendre. C’est le cas des filles de Gilles Tourny, Nelly et Valérie. Leur père, 67 ans, soupçonné d’avoir assassiné son voisin et ami Fernando Mourao, a été interpellé en février dernier à Châteaumei­llant, dans le Cher. Pour ses filles, Gilles Tourny est victime d’une erreur judiciaire.

« Au début, on se faisait discret avec les médias, parce qu’on ne voulait pas indisposer la juge et qu’elle le fasse payer à notre père », raconte Valérie Tourny, 44 ans, infirmière. Puis elle se mue, peu à peu, en chargée de communicat­ion : « Quand on a vu que rien ne bougeait, on a opté pour la stratégie inverse. » Les caméras ont alors débarqué dans son quartier, au centre du Puy-en-Velay, où son père est placé sous contrôle judiciaire : M6, RTL, Le Parisien, TF1… Puisque la presse se rue à sa porte, elle va s’en servir pour défendre son père. Gilles Tourny est épuisé moralement, il a perdu 10 kg durant sa détention. Alors c’est Valérie qui organise sa défense, rassemble un comité de soutien. Désormais elle rappelle, sollicite les rédactions. « Avoir accès à la presse, pour beaucoup de familles, est thérapeuti­que, observe un pénaliste. Et c’est bien plus facile qu’avant : il y a une demande permanente des sites d’informatio­n, une urgence qui permet aux familles de prendre la main. » Et de ne plus seulement subir l’incendie médiatique. – s.m.

Les enfants Courjault cherchaien­t avant tout à protéger leurs parents. Ils taisaient les moqueries, ne s’étendaient pas sur leurs états d’âme.

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