La chronique de Lauren Collins
Correspondante à Paris du New Yorker
L’invitation compromettante est une bonne vieille blague, du Dîner de cons au Dr Fischer de Genève de Graham Greene, où un magnat de l’industrie du dentifrice convoque des gens dans sa villa lacustre pour manger du gruau froid et des homards vivants. En ce moment, c’est un président de la République, Emmanuel Macron, qui rassemble ses hôtes, quelques lundis par mois, dans des conditions, à mon sens, plutôt gênantes. Selon L’Express, il s’agirait là du « repas le
plus secret de la République » – un dîner en ville intime qui se compose d’une quinzaine de personnalités influentes, parmi lesquelles une seule femme jusqu’à présent, la première vice-présidente du Modem, Marielle de Sarnez. Brigitte Macron, elle, n’y passerait qu’une tête, le temps de l’apéritif, avant de s’éclipser. Macron l’avait promis : il a formé un gouvernement paritaire. La France profite aussi d’un rapprochement inédit vers la parité à l’Assemblée nationale, où 38 % des sièges appartiennent désormais aux femmes. Mais le véritable lieu de pouvoir ne serait-il pas cette salle à manger, que les femmes ont visiblement plus de mal à infi ltrer ? Je me suis demandé ce que je ferais dans une situation pareille, si l’on m’off rait, comme à Marielle de Sarnez, la seule place à une table à ce point déséquilibrée. Faut-il dire oui et rester complice de l’exclusion de toutes ses soeurs, ou dire non en réduisant l’effectif des femmes à zéro ? Jusqu’où est-on prête à aller pour obtenir un siège à la table du pouvoir ? Peut-être que la bonne stratégie serait d’être l’invitée indélogeable : la première arrivée et la dernière à partir. Mais attendez, on peut aussi s’inspirer d’une autre oeuvre, Serial
noceurs, dans laquelle deux célibataires squattent des mariages auxquels ils n’ont pas été conviés. Là est peut-être la solution, pas forcément la plus élégante mais la plus solidaire : proposer à une copine de vous accompagner. Je le ferais avec fierté. Une sorte de parrainage aussi socialement maladroit que politiquement avantageux. L’engagement véritable, c’est de s’incruster.