L’interview de Stéphanie D’heygère
Avec ses accessoires en trompe-l’oeil, héritiers des “ready-made” de Duchamp, cette ancienne des Beaux-arts d’Anvers passée par Dior et Margiela charge les objets d’une force poétique inédite.
—Vous détournez nombre d’objets familiers…
Je porte des lunettes de soleil, en général l’étui n’entre pas dans mon sac à main, ça m’énerve, alors j’en ai fait un petit sac. J’adore le détournement, j’ai travaillé chez
Margiela, mon premier boulot (elle y a été responsable des bijoux, et travaillé notamment avec Demna Gvasalia et Matthieu
Blazy, ndlr), ce concept y est utilisé tout le temps. J’aime prendre des objets quotidiens pour en faire quelque chose de joli. Marcel Duchamp qui prend un urinoir et dit « C’est une oeuvre », c’est génial. La manche Sleeve Pack part du fait qu’on noue souvent sa chemise à la taille. Je voulais créer un trompe-l’oeil. On voit une manche, on imagine une chemise derrière mais non, c’est un sac. Je ne porte quasi- ment que des chemises d’homme, depuis mes 12 ans, à l’internat où la chemise bleu ciel Oxford faisait partie de l’uniforme. Il était strict, avec peu de détails où affirmer sa personnalité : les chaussures, les chaussettes, quelques bijoux.
—Votre idée phare est d’accessoiriser l’accessoire…
Ma première idée, née il y a trois ans, c’est cette boucle pour accrocher des fleurs, j’adore acheter des fleurs. Je fais pas mal de free-lance – les bijoux pour Y/Project notamment – mais cette idée-là, très personnelle, j’ai voulu la garder pour moi. J’ai l’utopie qu’une seule paire de boucles d’oreilles suffise, qu’on puisse choisir les fleurs à y glisser selon sa tenue. Ici, rien n’est inutile, tout a une fonction. Comme on perd souvent ses gants, j’ai ajouté aux miens – faits avec Agnelle en agneau doublé de soie – un bouton pression : on peut ainsi les porter en bracelet et en collier. Ils ont trois fonctions. J’aime les trucs sans chichi, crus et très réels.
—Quels sont les chocs esthétiques qui vous ont changée à jamais ?
Marcel Broodthaers est mon artiste préféré, très conceptuel, il fait beaucoup d’oeuvres avec des mots, des objets. J’adore Erwin Wurm et ses One Minute
Sculptures, un travail où il demande aux gens d’intervenir. La sculpture n’existe pas sans la personne, il faut entrer dans l’oeuvre, c’est sublime. En mode, évidemment Margiela, pour son goût de l’accident, sa spontanéité. J’ai fait un collier, qui se transforme en bracelet, dans lequel on glisse une fleur ou une cigarette, et une styliste y a roulé un billet, c’était parfait. J’ai hâte de voir comment les gens vont utiliser ces pièces, j’espère des surprises. En vente aux Galeries Lafayette.