Désir, premier soir, consentement.... Ce que veulent vraiment les femmes
Selon notre sondage exclusif CSA/“Marie Claire”, 62 % des Françaises ont déjà vécu “une relation sexuelle non désirée”. Depuis les mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc, la notion de consentement est plus que jamais réinterrogée. Comme le sont nos ressentis et nos comportements de femmes et d’hommes – se forcer, céder pour ne pas vexer, avoir la paix, peur de “passer pour”, envoyer des signaux qui disent non et qui ne sont pas entendus ou volontairement ignorés… Cette prise de conscience va-t-elle enfin nous permettre de devenir les pleins sujets de notre sexualité ? Par Valentine Faure — Illustration Popy Matigot
Le 1er juillet prochain, le parlement suédois unanime devrait voter une loi interdisant toute relation sexuelle avec une personne qui n’aurait pas explicitement exprimé son consentement. Elle introduira aussi le « viol par négligence ». Aux Pays-Bas, une start-up spécialisée dans les solutions juridiques a lancé LegalFling (flirt légal), application permettant d’obtenir le consentement écrit de son partenaire à une relation sexuelle et à diverses options – utilisation de préservatif, enregistrements de vidéos, langage explicite, pratiques sadomasochistes… Aux Etats-Unis, un certain Michael Ellsberg a lancé un serment de consentement destiné aux hommes (Consent Pledge), à signer en ligne :
« Je suis un homme et je m’engage à m’assurer que toutes mes relations sexuelles sont pleinement consenties »… Quelque chose, décidément, a changé. Nos conceptions du viol, du consentement, même du sexe heureux ne sont plus ce qu’elles étaient il y a encore quelques mois. Même ici, où le conservatisme déguisé en art de la séduction s’est vite manifesté, et où l’on attend toujours les excès tant redoutés, l’air du temps a changé. Au dernier trimestre 2017, en plein mouvement #MeToo, les plaintes pour viol ont augmenté de 30 %. Preuve que, quarante ans après la criminalisation du viol, il faut encore actualiser notre conception du sexe consenti. La sociologue Maryse Jaspard ( 1), qui a coordonné, en 2000, la première grande étude française sur les violences faites aux femmes, mesure la différence d’impact entre cette enquête pourtant capitale et ce mouvement spontané qui « fonctionne
encore à plein ». Mais quelles seront les conséquences intimes de ce débat public ?
Quelques mois après le début du mouvement, nous avons voulu sonder les femmes pour essayer de voir si se dessinait déjà une nouvelle donne sexuelle. Le résultat le plus frappant est celui-ci : 62 % des femmes de 15 ans et plus ont déjà vécu « une relation non désirée » – qu’elles n’aient pas osé dire non, se soient senties obligées d’assouvir une relation qui les mettait mal à l’aise ou aient montré qu’elles ne voulaient
pas sans avoir été comprises. Un chiff re important, qui indique un progrès paradoxal, en ce sens que ces relations sont considérées comme telles. Ce sont d’ailleurs les plus jeunes (68 % des 15/24 ans) qui disent en avoir vécu le plus. Pour l’essayiste Camille
Emmanuelle ( 2), « la question du consentement est bien intégrée par la jeune génération. C’est un mot qui revient beaucoup, alors que moi, adolescente, je savais ce qu’était un viol, mais le mot consentement ne faisait pas partie du vocabulaire de la sexualité. Et c’est tant mieux. » Les sondées font aussi la distinction entre violence et usage de la force. Ainsi, 10 % d’entre elles déclarent qu’on a « utilisé la violence » pour obtenir d’elles une relation sexuelle, quand elles sont deux fois plus nombreuses, 19 % à dire avoir été « forcées ».
Autre résultat notable : 12 % des femmes qui ont dit avoir connu une expérience sexuelle non désirée « n’ont rien laissé paraître ». Des études précédentes indiquent une réalité terrible : la proportion des femmes qui consentent à faire l’amour avec leur conjoint sans le désirer est fortement corrélée à leur niveau d’études, contrairement aux hommes chez qui aucune différence culturelle ne transparaît. « Le refus du sexe, revendication des premières féministes, demeure l’apanage des privilégiées », écrit Maryse Jaspard.
Récemment, un employé new-yorkais à qui on demandait, dans le cadre de cette enquête, si la drague avait vraiment déserté son lieu de travail, répondait que non, pas totalement. Ainsi, il donnait l’exemple de ce patron qui avait invité sa secrétaire à sortir, laquelle avait accepté. Il ajouta quand même qu’il
“La question du consentement est bien intégrée par la jeune génération. Et c’est tant mieux.” Camille Emmanuelle, essayiste Avez-vous déjà poussé une personne à avoir des relations sexuelles avec vous alors qu’elle n’en avait pas envie ? 3 %. Oui : 97 %. Non :
déplorait que ledit patron n’ait pas pris en compte l’infériorité hiérarchique de sa secrétaire, dont le oui serait nécessairement entaché de soupçon de contrainte. Ce genre d’anecdote fait frémir ceux qui voient l’Amérique comme un cauchemar vers lequel nous pousserait le mouvement #MeToo, mais aussi ceux qui ont plus simplement une conception libérale du consentement. Les relations amoureuses ne devaient-elles pas transcender les rapports hiérarchiques ? Si ce genre de remarque raconte une certaine panique, elle dit aussi quelque chose de l’apport de ces débats publics : essayer de penser les conditions qui produisent le consentement dans ses nuances infi nies. Comme l’écrit la philosophe Geneviève Fraisse ( 3) : « Il existe un large spectre du consentement, un large éventail d’affects pour énoncer un “oui”. […] Le consentement peut être libre, ou forcé, le
“oui” oscille toujours entre choix et contrainte. » Dans le domaine médical, on parle de consentement éclairé. Comment appliquer cela à la sexualité ? En janvier dernier, le récit de l’histoire de Grace (4) et d’Aziz Ansari a posé la question de façon intéressante. Résumé : une photographe aborde le comédien américain, qui s’affiche volontiers féministe, à une soirée holly woodienne. Echange de numéros, puis rendez-vous à New York, où la star l’emmène dîner au restaurant avant de l’inviter chez lui. Là, l’interaction dévie. Sans qu’il ne soit jamais question de violence ni de menaces, la jeune femme raconte en substance l’avoir trouvé beaucoup trop pressant, faisant mine d’abandonner ses avances avant de retenter. Ce qu’on comprend à la lecture du témoignage, c’est qu’elle voudrait du temps, que lui n’en a pas à lui accorder et que c’est difficile à admettre.
Le texte décrit surtout cet exact instant de flottement, fait de confusion, de déception, d’ego blessé, de peur de « passer pour », où viennent se loger des relations obtenues non pas de force, mais arrachées quand même un peu. Après un échange de sexe oral, ils fi nissent par en rester là, se rhabillent et regardent un épisode de la série télé Seinfeld, puis il lui appelle
un taxi. Le lendemain, Grace écrit à un Aziz Ansari
visiblement ahuri : « Tu as ignoré des signaux non verbaux clairs. Tu as continué tes avances, tu aurais dû comprendre que j’étais mal à l’aise. »
Parfois le oui devient un non
L’histoire a fait fuser les commentaires. A qui la faute, dans cette interaction aussi banale que déplaisante ? Quel libre arbitre dans un rapport inégal en termes de pouvoir entre une femme de 23 ans et une star de 35 ? Il y eut celles (et ceux), outrées par la qualification faite par Grace de « pire soirée de [sa]
vie », qui pensaient que c’était à peu près là que devaient s’arrêter les griefs des femmes contre les hommes, à qui on ne pourrait tout de même pas demander de lire des « signaux non verbaux » , et qui considèrent que ce genre d’interaction fait partie de l’éducation nécessaire à une liberté sexuelle chèrement gagnée. De l’autre, celles pour qui le bon sens des aînées – dire non haut et fort, ne pas monter si on n’a pas envie de plus, partir si on n’aime pas le tour que prennent les choses, etc. – est une charge de trop, un supplément de vigilance qui ne
devrait pas leur échoir, et rejettent l’idée de zone grise comme un concept bien pratique pour masquer le manque de considération des hom mes, quand ce serait plutôt à eux d’apprendre à intégrer
la perception de leur partenaire. « Beaucoup d’hommes liront ce billet […] et y verront une interaction sexuelle banale et raisonnable, a écrit dans The Guardian l’essayiste féministe Jessica Valenti. Mais une partie de ce que les femmes disent en ce moment est que ce que la culture considère comme des rencontres sexuelles
“Tu as ignoré des signaux non verbaux clairs. Tu as continué tes avances, tu aurais dû comprendre que j’étais mal à l’aise.” Grace, 23 ans.