Idées claires
A chaque numéro, Marie Claire interroge quatre personnalités, venues d’horizons différents, sur un thème universel.
« Enfant, j’étais attiré par la saleté, fasciné par les mauvaises odeurs, la fange et les cochons, ces animaux si intelligents. Puis on vous apprend à être propre, à bien vous tenir à table. Et je me mis à apprécier de me sentir nettoyé par des mains aimantes. Le bain et le savon sont associés à la renaissance, donc à l’amour originel. Mais, comme la vie est faite de revirements, voilà que, des années plus tard, de nouveau par le biais de l’amour, on retrouve le goût de la saleté (“filth” en anglais, le mot est plus délicat, ambigu). Mais ce n’est plus de l’amour maternel qu’il s’agit, mais de l’amour de l’autre – de la sexualité et de l’échange des fluides. La saleté est tout autant attirante que repoussante… Paradoxe esthétique par excellence. » Dernier ouvrage paru : Un emploi sur mesure, éd. Seuil. « La saleté, lorsqu’elle est imposée par l’extrême pauvreté et l’exclusion, me révolte.
Je n’ai en revanche pas un rapport répulsif à la saleté, c’est peut-être lié à l’enfance, où toucher une vitre sale ou jouer avec de la boue est une manière d’appréhender le monde et de surmonter une appréhension. Le rejet de toute trace de saleté, c’est aussi celui de toute trace d’humanité. Il faut défendre les traces de corps, de végétaux, de vie sensitive. En ce qui me concerne, je n’ai pas du tout cette habitude aseptisée. La saleté des longs retours de voyages ne me gêne absolument pas, c’est comme si je poursuivais une exploration du monde. Il y a quelque chose d’heureux chez moi dans ces moments-là. » Dernier ouvrage paru : Souvenirs de la marée basse, éd. Seuil. « Je ne sais pas si c’est une sorte de distorsion mentale, mais j’associe toujours la saleté à quelque chose qui encombre l’esprit. Quand je me mets au travail ou que j’ai besoin de réfléchir à une situation romanesque, je dois d’abord m’assurer que la pièce est propre. Alors, ça serait ça, la saleté ? Un barrage aux idées ? Pourtant, il n’est pas rare de pouvoir créer dans le chaos et la confusion. On a sûrement tout autant besoin de salir que de rendre propre. Les deux ont leurs vertus. La saleté est la représentation visuelle du laisser-aller. Et cela peut accentuer notre plaisir à ne rien faire. » Dernier ouvrage paru : Vers la beauté, éd. Gallimard. « J’ai été élevée d’une façon assez libre par rapport à la propreté, avec l’idée qu’il est bon de se confronter aux éléments organiques pour renforcer les défenses immunitaires. Cependant, si je n’ai aucun problème avec le désordre, je ne supporte pas la saleté lorsque je travaille, en particulier dans ma cuisine. Mon lieu de travail doit être propre, sinon je suis incapable de composer ou d’écrire. J’aime bien arriver sur scène avec les mains qui sentent bon. Il faut juste que ce soit une odeur très fraîche, de basilic, de fleur d’oranger, de verveine, de bergamote, d’orange… » En concert à Paris (Philharmonie) le 2 juillet.
“Enfant, je rêvais de me vautrer dans la fange comme le font les cochons.” “Il y a dans la vie d’aujourd’hui un côté clinique insupportable.” “Je ne peux pas avoir la moindre idée claire dans un royaume parasité par la saleté.” “Je me lave plusieurs fois les mains entre la balance et le concert. On a tellement de choses sur les doigts !”