Marie Claire

La rencontre d’après minuit Vincent Dedienne

comme un pop-up au bar de l’hôtel Grands Boulevards, à Paris. Une silhouette d’adolescent grandi trop vite, sweat-shirt bleu marine, casquette vissée sur la tête.

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Petit garçon, il avait peur de se faire assassiner la nuit. Pour tromper l’ennemi, il se couchait les bras en croix, jambes à la limite du grand écart. Pour augmenter ses chances de survie, en multiplian­t les zones de vide. Ainsi, le meurtrier armé d’un couteau, qui bien sûr agirait dans le noir, aurait plus de probabilit­é de poignarder les espaces plutôt que son corps. Grandir dans une vieille maison aux poutres craquantes et aux planchers grinçants stimule l’imaginatio­n. Quand Vincent Dedienne, aujourd’hui 31 ans, avait peur la nuit, plus des gens que des monstres, il faisait le bonhomme, dit-il. « Je ne voulais pas déranger mes parents, j’avais trop honte. » Même s’il ne voit aucun lien, les enfants adoptés, comme lui qui l’a appris à 11 ans, ont souvent peur de déranger.

Un peu plus loin dans ce bar d’hôtel, Frédéric Beigbeider a quitté les lieux, le groupe de Coréens qui tétait des spritz a regagné les chambres. L’acteur et humoriste diffuse le charme facétieux qui lui vaut le succès où qu’il passe, sur scène ou sur « Quotidien » l’émission de Yann Barthès. C’est lui qui a choisi cet endroit. Parce qu’il s’y sent bien. Et parce que c’est près du Théâtre de la Porte Saint-Martin, où il joue dans « Les jeux de l’amour et du hasard ». Il diffuse une énergie singulière à une heure où il n’est pas honteux de commencer à bâiller. « L’effet de l’adrénaline, se réjouit-il, encore surpris par le succès que rencontre la pièce. C’est tellement miraculeux, quand les gens sont là, c’est comme une fête réussie. Difficile de dire à demain et d’aller se coucher. » Ce soir, il a bu des coups au restaurant de l’hôtel avec deux copains. Il adorerait pouvoir donner tous ses rendez-vous à minuit. « Mais si je sors je me couche à 7 heures. Il faut être soit un oiseau de nuit et aller au bout, soit un animal diurne. Choisir. J’ai du mal à rentrer à 1 h 30. Françoise Sagan disait que, la nuit, les gens n’ont pas rendez-vous dans dix minutes, alors que dans la journée ils ont tout le temps rendez-vous dans dix minutes. Alors même si c’est des brigands, des escrocs, des gens dangereux, des loubards, le fait qu’ils aient la nuit devant eux les rend sympathiqu­es et inoffensif­s. »

Enfant gâté de la nuit, Vincent Dedienne dort comme un bébé, sans cauchemars, ni somnifère, ni insomnies. Dans « La fête des mères » de Marie-Castille Mention Schaar (sortie le 23 mai), le protégé de Laurent Ruquier joue le fils ultra-protecteur de Nicole Garcia. Rien à voir avec la nuit, mais on se dit que les enfants, la nuit, cherchent la protection de leur mère. Pas Vincent, « elle se levait tôt pour aller travailler ». Adulte, il est devenu le protecteur. « J’ai ce rapport-là avec tout le monde. Comme si j’étais payé pour aider les gens à traverser. Comme enfant unique qui, très tôt, a été le plus drôle, notre responsabi­lité est de faire passer un bon moment aux gens, de s’occuper de l’animation. Les faire rire, c’est les protéger un peu, leur faire oublier qu’ils vont mourir. » Une logique affective qui explique que ses nuits ne connaissen­t pas le mode avion. « Un ami c’est quelqu’un qui t’appelle à 5 heures du matin en disant : “Je viens de tuer quelqu’un.” Tu n’appelles pas la police, tu demandes : “Où est le corps ?” Et tu vas le rejoindre. » Il place l’amitié au-dessus de tout. « C’est une connaissan­ce de l’autre très particuliè­re, la plus juste. On sait bien ce qui cloche, mais on est débarrassé de l’exclusivit­é, la possessivi­té qui empoisonne­nt le sentiment amoureux. L’été dernier, on a passé une nuit, avec quelques amis, à se dire pourquoi on s’aimait. Pourquoi tu es unique dans ma vie, si cher à mon coeur. Pourquoi je ne t’échangerai­s contre rien au monde. » « Voyage au bout de la nuit » pourrait être la devise de Vincent Dedienne. Il a l’impression d’être une vraie personne la nuit, et le jour d’être cette vraie personne un peu déguisée. Avec des couches de maquillage et des costumes. Alors qu’il arrivait nu au début de son spectacle « S’il se passe quelque chose », créé en 2014, il a insisté aujourd’hui pour être maquillé et habillé pour la prise de vue. Certaines insécurité­s, comme celle d’avoir été un « petit garçon moche plein de cheveux », n’en finissent pas de réclamer leur dû.

La mélancolie peut l’attraper la nuit, comme un mauvais rêve. « J’ai un peu de mal avec la solitude. Dans ces moments-là, quand, par je ne sais par quelle opération du Saint-Esprit, je ne peux pas dormir, j’écris. Je bois aussi, du vin blanc, en écoutant des chansons d’Anne Sylvestre, Barbara, Brel. Je me dis : “Cette nuit est faite pour ça.” Plus que de la déprime, c’est le jeu. » Alors que nous éclusons tranquille­ment la bouteille de mâcon, sa région natale, on lui demande si ce que nous sommes en train de nous dire cette nuit surgirait le jour. « Sûrement pas. Là, je suis saoul quand même. » Le jour, il penserait à qui va lire l’interview, il aurait peur de « dire des conneries. Mais c’est pas grave de dire des conneries. La langue de bois contamine beaucoup, elle est partout. Après les politiques, elle est chez les chanteurs, les acteurs ».

Il croit à la formule « In vino veritas ». « Avec le vin, la fatigue, la danse, le bruit, la pudeur et l’embarras tombent, on est plus proche de la vérité. C’est assez rare d’avoir à rougir de la nuit, même si on a fait des bêtises, qu’on n’a pas couché avec la bonne personne, c’est le sang qui bat à plein tube. » Le bar va fermer, le garçon le plus drôle de France pense à ses copains qui l’attendent au restaurant. « Je peux aller les retrouver ? Ils gardent mon sac. » La nuit reprend ses droits.

“C’est assez rare d’avoir à rougir de la nuit, (…) même si on n’a pas couché avec la bonne personne.”

18 questions d’après minuit —Votre boisson et nourriture nocturne ?

Quand j’étais ado, je fumais un peu plus de pétards que maintenant, du coup j’avais faim. Je mangeais à même le frigo. Maintenant, c’est plutôt l’envie d’eau gazeuse.

—Dormez-vous ?

Comme un bébé.

—Vivez-vous sous une bonne étoile ?

Oui, j’en suis convaincu. Je ne connais pas son nom, mais je l’ai souvent remerciée.

—Votre mère vous embrassait-elle avant de dormir ?

Elle me caressait le cuir chevelu. Encore maintenant, il suffit qu’elle me gratouille le cuir chevelu pour que je m’endorme.

—La nuit efface-t-elle le jour et les soucis ?

Le sommeil efface, la nuit comme le jour. Quand j’ai une contrariét­é, je dors cinq minutes et ça fait « ardoise magique ».

—Sur votre table de nuit ?

Un roman, le radio-réveil. Et mon chat, il dort sur la table de nuit.

— Quels carburants d’après minuit ? Alcool, Xanax, pilules, drogues, sexe, sucre ?

Le sucre pas trop. Des carburants de nuit plutôt qu’à 8 heures du matin. Je n’ai jamais pris un anxiolytiq­ue ni un médicament pour dormir. Ça m’évoque mes copains acteurs, tous plus névrosés les uns que les autres.

—La nuit la plus dingue ?

Ma première nuit d’amour, le dépucelage, j’avais 20 ans. Je n’ai pas dormi de la nuit, je me suis dit : « Ça y est, ma vie a changé. Sur mon lit de mort je m’en souviendra­i. »

—La dernière fois que vous vous êtes couché tôt ?

Quand j’avais une gastro. Sinon, je me couche vers 2 heures du matin et me lève à 9. J’attends les vacances pour pioncer pendant quarante-huit heures.

—Un pyjama ?

Pour mes 31 ans, ma mère m’a offert une grenouillè­re. J’ai pensé que je ne la mettrais jamais, mais il a fait très froid…

—Un doudou ?

J’en ai encore pas mal, mais on fait chambre à part. Il y a un Moumine, monstre blanc trop mignon, Scritch, l’écureuil de « L’âge de glace », et Nounours, une vieille peluche.

—Boule à facettes ?

Il faut que je sois très saoul pour danser dessous. J’admire les gens qui le font à jeun. —Le parfum de la nuit ? Le mélange de cigarette, vapeurs d’alcool et sueur. C’est assez aphrodisia­que.

—Le plus trash la nuit ?

Quand l’aube arrive trop tôt. On s’amuse, et tout d’un coup il va faire jour. C’est mi-trash, mi-glauque, mi-tragique.

— Ce que vous préférez la nuit ?

Les pudeurs qui tombent les unes après les autres. La nuit diffuse les secrets et, en même temps, les protège. Ce que je préfère la nuit, c’est le suspense, quand on est quasi sûr qu’on ne va pas la passer seul.

—Les mots de la nuit ?

Ce qu’on se dit la nuit est toujours imprévu, surprenant, folkloriqu­e, farfelu, bizarre.

—Un fantôme familier ?

Nos ex ! Il n’y a que la nuit qu’on est tenté de refaire un texto. C’est une mauvaise idée.

—L’endroit où les étoiles brillent le plus ?

Dans la forêt d’Aitone, en Corse. Apollinair­e disait : « Il faut rallumer les étoiles. » Dans cette forêt, elles sont bien rallumées.

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« Faire rire les gens, c’est les protéger un peu, leur faire oublier qu’ils vont mourir. »

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