Portfolio Des cactus, des anges et l’Espagne
Depuis dix ans, la photographe Cristina de Middel documente le vrai visage de son pays, au-delà des images d’Epinal et des clichés.
Qu’est- ce que l’Espagne ? A quoi ressemble ce pays si durement touché par la crise économique ; frappé par les scandales au sein de la famille royale ; à qui une bonne partie des Catalans veut tourner le dos ? Cela fait des années que la photographe Cristina de Middel tente de répondre à cette question obsédante. Comme elle est photographe, elle s’est dit que la meilleure façon d’apporter ses éléments de compréhension était de prendre des images. Du coup, depuis des années elle sillonne le pays. « Quand il s’agit de définir les notions compliquées telles que la nation, le pays natal, l’appartenance à un pays, on recourt souvent au plus simple, affi r me-t-elle : la géographie, le territoire, la fierté,
le sens de l’honneur, une mémoire commune… » Mais à l’heure des volontés indépendantistes, des migrations, des tensions politiques, que valent encore ces notions ? Elle-même est née en 1975 à Alicante, dans le sud du pays, d’une mère espagnole et d’un père belge. Elle parle le français et vit depuis huit ans
entre le Mexique et le Brésil. « Je reviens de temps en temps en Espagne, mais je ne veux plus y vivre. C’est trop triste. Ces inégalités, cette corruption, cette violence, la façon dont est gérée la demande d’indépendance de la Catalogne, tout ce qu’on lit dans les journaux. Le Mexique et le Brésil sont violents aussi, mais ce ne sont pas mes pays. » Ses images montrent des chiens tout maigres, des oiseaux en cage, des troupeaux de moutons et des chevaux ; des vieux messieurs et des vieilles dames, souvent tout seuls, comme coupés du monde ; des images pieuses et des rituels qui semblent d’un autre temps. Elle montre aussi un pays désespérément sec, poussiéreux, victime du réchauffement climatique mais où l’on s’obstine à faire pousser des fruits terriblement gourmands en eau. Et où de gros bonshommes se promènent torse nu et transpirant. « Je tends vers une façon de travailler plus artistique, plus conceptuelle, plus cynique aussi. J’essaie de mélanger sens de l’humour, critique des faits divers, questionnement du langage, du traitement médiatique. Je m’intéresse aussi beaucoup aux préjugés, comment ils naissent, comment on les crée. »
Une étude critique de l’identité nationale
Les riches n’ont presque pas leur place dans son travail, pas plus que la jeunesse dorée de Madrid, Barcelone ou Valence. Ses modèles, qui vivent bien davantage en périphérie des grandes villes ou à la campagne, sont modestes, vivent chichement, les intérieurs sont rudimentaires, comme s’ils étaient figés dans le temps. Comme s’ils étaient à l’image de ce pays tout entier qui, pense-t-elle, continue de se chercher entre la modernité et la place qu’il conviendrait de toujours accorder à la religion, au passé, à la monarchie, à la tradition en somme. « Mon projet se veut une étude critique de l’identité nationale espagnole à une époque où l’air se fait oppressant », ajoute-t- elle. Un voyage pour s’inter roger sur la « décomposition d’un pays, qui n’a jamais osé donner des paroles à son hymne national ».