Marie Claire

Portfolio Des cactus, des anges et l’Espagne

Depuis dix ans, la photograph­e Cristina de Middel documente le vrai visage de son pays, au-delà des images d’Epinal et des clichés.

- Par Alexandre Duyck — Photos Cristina de Middel/Magnum Photos

Qu’est- ce que l’Espagne ? A quoi ressemble ce pays si durement touché par la crise économique ; frappé par les scandales au sein de la famille royale ; à qui une bonne partie des Catalans veut tourner le dos ? Cela fait des années que la photograph­e Cristina de Middel tente de répondre à cette question obsédante. Comme elle est photograph­e, elle s’est dit que la meilleure façon d’apporter ses éléments de compréhens­ion était de prendre des images. Du coup, depuis des années elle sillonne le pays. « Quand il s’agit de définir les notions compliquée­s telles que la nation, le pays natal, l’appartenan­ce à un pays, on recourt souvent au plus simple, affi r me-t-elle : la géographie, le territoire, la fierté,

le sens de l’honneur, une mémoire commune… » Mais à l’heure des volontés indépendan­tistes, des migrations, des tensions politiques, que valent encore ces notions ? Elle-même est née en 1975 à Alicante, dans le sud du pays, d’une mère espagnole et d’un père belge. Elle parle le français et vit depuis huit ans

entre le Mexique et le Brésil. « Je reviens de temps en temps en Espagne, mais je ne veux plus y vivre. C’est trop triste. Ces inégalités, cette corruption, cette violence, la façon dont est gérée la demande d’indépendan­ce de la Catalogne, tout ce qu’on lit dans les journaux. Le Mexique et le Brésil sont violents aussi, mais ce ne sont pas mes pays. » Ses images montrent des chiens tout maigres, des oiseaux en cage, des troupeaux de moutons et des chevaux ; des vieux messieurs et des vieilles dames, souvent tout seuls, comme coupés du monde ; des images pieuses et des rituels qui semblent d’un autre temps. Elle montre aussi un pays désespérém­ent sec, poussiéreu­x, victime du réchauffem­ent climatique mais où l’on s’obstine à faire pousser des fruits terribleme­nt gourmands en eau. Et où de gros bonshommes se promènent torse nu et transpiran­t. « Je tends vers une façon de travailler plus artistique, plus conceptuel­le, plus cynique aussi. J’essaie de mélanger sens de l’humour, critique des faits divers, questionne­ment du langage, du traitement médiatique. Je m’intéresse aussi beaucoup aux préjugés, comment ils naissent, comment on les crée. »

Une étude critique de l’identité nationale

Les riches n’ont presque pas leur place dans son travail, pas plus que la jeunesse dorée de Madrid, Barcelone ou Valence. Ses modèles, qui vivent bien davantage en périphérie des grandes villes ou à la campagne, sont modestes, vivent chichement, les intérieurs sont rudimentai­res, comme s’ils étaient figés dans le temps. Comme s’ils étaient à l’image de ce pays tout entier qui, pense-t-elle, continue de se chercher entre la modernité et la place qu’il conviendra­it de toujours accorder à la religion, au passé, à la monarchie, à la tradition en somme. « Mon projet se veut une étude critique de l’identité nationale espagnole à une époque où l’air se fait oppressant », ajoute-t- elle. Un voyage pour s’inter roger sur la « décomposit­ion d’un pays, qui n’a jamais osé donner des paroles à son hymne national ».

 ??  ?? “Et si on montrait des gens sur le chemin de Compostell­e – pas pour un pèlerinage, juste pour s’y amuser, entre copines ? Telle est la propositio­n de ces trois jeunes   lles, qui incarnent une idée plus moderne, non convention­nelle, laïque, de...
“Et si on montrait des gens sur le chemin de Compostell­e – pas pour un pèlerinage, juste pour s’y amuser, entre copines ? Telle est la propositio­n de ces trois jeunes lles, qui incarnent une idée plus moderne, non convention­nelle, laïque, de...
 ??  ?? “Ces caisses vertes, au-dessus des cactus, sont des pigeonnier­s. Vers Valence ou Alicante, on organise des courses de pigeons : on lance une femelle, puis une quarantain­e de pigeons, et gagne celui qui réussit à se faire accepter par la femelle.”
“Ces caisses vertes, au-dessus des cactus, sont des pigeonnier­s. Vers Valence ou Alicante, on organise des courses de pigeons : on lance une femelle, puis une quarantain­e de pigeons, et gagne celui qui réussit à se faire accepter par la femelle.”
 ??  ?? “Un poster, dans une sorte de bordel clandestin. L’idée de la femme parfaite, sa virginité, la blondeur des cheveux, sa jeunesse, sa    nesse… on dirait une Suédoise de 16 ans, alors qu’elle est censée incarner l’Espagnole typique.”
“Un poster, dans une sorte de bordel clandestin. L’idée de la femme parfaite, sa virginité, la blondeur des cheveux, sa jeunesse, sa nesse… on dirait une Suédoise de 16 ans, alors qu’elle est censée incarner l’Espagnole typique.”

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