Marie Claire

Le petit garçon qui voulait exister

Zain, 12 ans, réfugié syrien, se débat dans les rues de Beyrouth, nouvelle capitale des enfants abandonnés. “Capharnaüm”, prix du Jury à Cannes, aurait pu être lacrymal mais Nadine Labaki a donné du souffle à son film. Celui de la saine révolte. Il nous a

- Par Emily Barnett

— Marie Claire : « Capharnaüm » suit les traces d’un enfant pauvre à Beyrouth. Comment est venu le besoin de raconter cette histoire ?

Nadine Labaki : C’est un constat quotidien. Au Liban, des milliers d’enfants sont livrés à eux-mêmes. Victimes de négligence, ces enfants ne rient pas, ne jouent pas. Ils ne sont pas déclarés : ils naissent, meurent, et personne ne sait qu’ils existent. J’ai voulu raconter cette vérité de leur point de vue. Pendant quatre ans, j’ai cherché dans les prisons pour mineurs, les associatio­ns, les tribunaux… Je demandais aux enfants : « Tu es content d’être né ? » Et 99 % me répondaien­t : « Non, j’aurais préféré ne pas être là. » Voilà comment est né le personnage de Zain, ce garçon qui intente un procès à ses parents pour lui avoir donné la vie.

—Le tournage a duré six mois. Pourquoi si long ?

Il a fallu du temps pour capter la liberté des enfants, se rendre invisible afin qu’ils nous oublient. C’était une chorégraph­ie à l’affût du moindre moment de vérité. Avec deux caméras à l’épaule, on tournait au milieu de la foule, à la manière d’un documentai­re mais dirigé vers la fiction. A la fin, on avait cinq cents heures de rushs, il a fallu deux ans de montage dans des conditions très dures.

—Vous êtes une cinéaste très reconnue au Liban. Comment êtes-vous arrivée au cinéma ?

Je suis née pendant la guerre. Le quotidien était très dur, on ne pouvait pas aller à l’école tous les jours, ni jouer dehors, l’ennui faisait partie de ma vie. J’habitais au- dessus d’une boutique de location de VHS, je regardais plein de films et j’ai décidé que je ferai du cinéma. J’ai commencé par la pub et les clips avant de réaliser Caramel, mon premier film, en 2007.

—Etre une femme dans l’industrie est-il un handicap ou une force ?

C’est une force. En tant que femme, j’apporte une autre vision, une autre perspectiv­e. Mes deux premiers films dressaient des portraits féminins, inspirés par des grands-mères, des cousines, des tantes… J’ai projeté sur elles des fantasmes de femmes fortes, de battantes. Il n’y a pas une famille au Liban qui n’ait vécu un drame lié à la guerre. J’étais fascinée par leur résilience. Une de mes tantes a vu le corps déchiqueté de son fils dans un coffre de voiture. Pourtant, elle a continué à vivre. Le matin, elle fait son chignon, met son khôl… Elle reste belle et affronte la vie. —Votre mari est producteur et compositeu­r du film. Etre un couple facilite-t-il le dialogue artistique ? C’est très organique. On a produit ce film et installé notre boîte de production dans notre immeuble, vie familiale et vie profession­nelle se mêlent. Notre vie avec nos deux enfants baigne dans le cinéma. J’allaitais ma fille pendant le tournage. Et la musique de Khaled, mon compagnon, est un personnage du film.

—Qu’avez-vous prévu pour la suite ?

J’ai beaucoup de mal à lâcher ce film. Je veux qu’on parle de la condition de ces enfants, des travailleu­rs migrants, qu’on propose des lois. Ouvrir le débat sur l’absurdité du système qui exclut tous ces gens. Capharnaüm de Nadine Labaki, avec Zain Al Rafeea, Yordanos Shiferaw, sortie le 17 octobre.

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Nadine Labaki sur le tournage du lm, avec son jeune acteur Zain Al Rafeea.

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