“J’aime la difformité, la déviance”
Via la narratrice, une adolescente intersexuée qui vit dans une communauté libertaire avec ses parents, Emmanuelle Bayamack-Tam nous livre un roman d’apprentissage aussi jubilatoire que libérateur.
Liberté, égalité, nudité
La mère de Farah est électrosensible, elle a voulu s’installer avec son mari et sa fille dans une communauté libertaire située en « zone blanche », à distance des ondes de téléphonie mobile et des réseaux sociaux. On y vit souvent nu, et l’auteure, Emmanuelle Bayamack-Tam, en résume joliment le principe : « C’est la dernière réserve naturelle de désir sans fin et de plaisir gratuit. »
Plaisirothérapie
« Si on se penche sur l’histoire des communautés, phalanstères ou confréries médiévales, dont celle du LibreEsprit, ce thème est toujours central. Ce sont des utopies sexuelles. Ce principe de rotation des partenaires, c’est une sexothérapie. Car la sexualité contrainte est la source de nombreuses névroses. Sa libération éviterait beaucoup de malheurs et de guerres. »
De l’amour pour tout le monde
Liberty House et son vaste parc, où vivent une trentaine de personnes, c’est « la maison du jouir » – « J’ai repris là le nom de la dernière demeure de Gauguin. » La grand-mère lesbienne, le gourou bisexuel, le généreux donateur obèse et homosexuel, la vieille millionnaire coquette, les parents banalement hétéros mais ouverts à la sexualité de groupe, la jeune narratrice à l’identité de genre et à l’orientation sexuelle à géométrie variable s’en donnent à corps joie.
Ce que l’on n’ose pas
Jeunes ou vieux, fussent-ils parfois brillants, y sont tous plus ou moins bancals. « C’est aussi un refuge pour laissés-pour-compte du grand marché de l’amour », précise l’auteure. Elle n’en fait manifestement pas partie, ce qui ne nous empêche pas de lui demander si elle a elle-même fait l’expérience de la vie en communauté. « Non, pas du tout. C’est la magie de la littérature. Elle permet d’écrire – et de lire – ce qu’on n’oserait pas dans la réalité. »
Etre d’un sexe et de l’autre
Farah, personnage central de cette histoire avec l’irrésistible gourou Arcady, a des organes féminins atrophiés (syndrome de Rokitansky). En prime, des testicules lui poussent à la puberté, et sa préférence initiale pour les garçons se double d’une attirance pour les filles. « Dans mes romans, l’aspect transgenre est une constante : j’ai toujours créé des personnages intersexués. » Ce qui s’inscrit dans un cadre plus général : « Marginaux, taulards, travestis, on se pose plus facilement des questions sur la société depuis les marges. Et puis c’est mon esthétique : j’aime la difformité, la bizarrerie, la déviance… »
(*) Arcadie d’Emmanuelle Bayamack-Tam, éd. POL, 19 €.