Marie Claire

La rencontre d’après minuit Marina Foïs

temporaire qui offre une vue à couper le souffle sur la ville et sur le lac Léman. En répétition pendant deux mois pour la pièce de Christophe Honoré « Les idoles », elle travaille son rôle d’Hervé Guibert.

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Les rues en pente du quartier sont désertes, la nuit helvète n’est que silence. Elle vient de rentrer. Après la répétition, qui s’est terminée à 22 heures, elle est allée boire un moscow mule – « J’aime bien les cocktails de vieille » – au bord du Léman avec les acteurs de la troupe. Ils avaient envie de s’asseoir face à face, envie de faire groupe. « La dame du bar nous a dit : “Non, ici, tout le monde regarde le lac”. »

On trouve l’appartemen­t trop éclairé pour un entretien nocturne, on choisit de squatter le perron du petit immeuble. La voix de serial fumeuse se faufile dans le silence pour raconter. La gamine intrépide qui, en seconde, s’installe dans une maison communauta­ire à Toulouse, chez un couple d’homos « déchaînés. » « Mon ancien baby-sitter montait “L’école des femmes”. Il dirigeait un cours de théâtre, c’est comme ça que j’ai commencé. Il m’avait promis de me faire jouer à 16 ans. Il cherchait une actrice pour le rôle d’Agnès, j’ai dit oui. » Sa mère lui envoie les cours photocopié­s, et elle fait ses devoirs. « On faisait beaucoup la fête, on se couchait entre 4 et 6 heures du mat, je me levais à 16 heures. La maison était tout le temps pleine de gens. C’était à la fin des années 80, beaucoup sont morts du sida. » Longtemps, dormir la nuit n’a pas été une priorité. Vivre en décalage horaire devient incompatib­le quand on a des enfants, « l’école, ce truc qui vous oblige à vous lever trop tôt ». La nuit comme territoire de tous les possibles lui appartient, déjà « parce qu’on ne fait pas des choses chiantes, genre des factures, on ne prend pas rendez-vous chez l’orthodonti­ste, on ne va pas racheter de l’Actimel ». A Paris, il est rare qu’elle reste à domicile plus de trois soirs de suite. « J’ai du mal à dire non. Si on me le propose, jamais je ne vais refuser d’aller boire un coup. Trop peur de louper quelque chose. » A part ses cocktails « de vieille », l’alcool ne l’intéresse pas. « Je n’ai pas besoin d’être bourrée pour passer une bonne soirée. J’en ai rien à foutre d’un verre de vin. Je ne suis pas contre se défoncer, mais il faut s’organiser. Si le lendemain matin j’ai une journée où j’ai besoin de tous mes moyens, je ne me mets pas la tête à l’envers. Mais parfois la vraie fatigue, le manque de sommeil, cet état de fébrilité ou d’inconscien­ce, ça fait jouer hyper-bien. » Des nuits collectors, elle en a quelques-unes au compteur. Comme ce soir où Jacques Higelin dit à l’adolescent­e qui veut être actrice : « Toi tu seras une star. » « Le truc dingue, ce n’est pas qu’il ait dit ça, c’est que moi je l’aie cru. Je ne touchais plus terre. On aurait dit un dessin de Claire Bretécher. J’étais chez moi, j’appelais mes copines : “Il a dit que je vais être une star.” Je ne suis pas allée au lycée pendant trois jours ! » Les volutes de la fumée des cigarettes se fondent dans la pénombre du souvenir. « Quand “Polisse” a eu le prix du jury à Cannes, on a eu le coup de fil à 14 heures. On a sauté dans l’avion. L’équipe de Balenciaga m’attendait dans les chiottes du Majestic pour me jeter dans une robe ; sur le red carpet, il n’y avait plus un photograph­e ; on n’avait pas posé une demi-fesse dans la salle qu’on nous appelait déjà sur scène. Et pendant la fête, à 1 heure du matin, je me rappelle : “Merde ! Je tourne demain à Paris, maquillage à 7 h 30.” Les avions, complets, pas de voiture disponible. Là, Maïwenn me dit : “Luc Besson rentre en jet privé, va lui demander s’il a une place.” Il dit oui. Sauf que je suis claustroph­obe et que mon frère s’est tué en avion. Je ne voulais pas le dire à Luc. Ce vol a été un cauchemar. Je lui ai mis la tête au carré à force de parler. On est arrivé au Bourget à 5 heures du mat’ ; une demi-heure plus tard j’étais au maquillage. » Excessive en tout, Mariana Foïs a la descente abyssale et la légèreté supersoniq­ue. La tristesse ou la tendresse, « des mots mous », très peu pour elle. « Chez moi, les sentiments sont un peu plus musclés. » Comme un drugstore fantasmati­que, la vie hors sol du cinéma ne ferme jamais. Sauf que parfois, quand tout va mal et que la nuit penche dangereuse­ment au bord du gouffre, elle fait de la figuration. Les anxiolytiq­ues l’ont aidée. « La vie est foutue comme ça : il y a du drame, de l’angoisse et de la douleur, et en même temps il y a des enfants, le travail, une promo à faire ; c’est pas possible, à un moment, il faut dormir. Quand je manque de sommeil, je suis très noire, oh putain, ça me désorganis­e le cerveau, je pense vraiment de la merde, je peux être très violente. Donc oui, je prenais du Lexomil. Mais j’ai tout arrêté. Et en fait ça va. » Longtemps elle a rêvé de son frère disparu. « Ce rêve hyperchian­t où il est vivant. » Matins glauques, où elle se sent amputée, un mot d’Emmanuelle Devos, qui a perdu sa soeur cadette : « Il est juste plus là, c’est horrible. » En ce moment elle ne rêve pas, rien, même pas ses rêves érotiques canon qui rendent le réveil léger.

”Le manque de sommeil me rend très noire, (…) je peux être très violente. Donc oui, je prenais du Lexomil. Mais j’ai tout arrêté. Et en fait ça va.”

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